« Yunus me décore en bleu, un corset bleu, des bas bleus, un collier. Des bagues bleues aux doigts. Ses coups me gravent un diadème sur le front. » Septième sur une fratrie de dix enfants, Filiz vit dans un petit village reculé de Turquie. Un foyer dont l’épicentre est son père, autour duquel les femmes sont perpétuellement affairées. Filiz n’a que treize ans le jour où les yeux noirs de Yunus se posent sur elle. « Tu m’appartiens » : les trois mots tombent comme un couperet. Yunus est un homme, il a le droit. Son désir fait loi, il a fait son choix et désigné sa proie. Filiz se sent femme. Fière. L’arbre sacré a entendu ses prières. Répudiée par sa famille, elle épouse l’homme qu’elle désire, ne soupçonnant rien de la jouissance qu’il prendra à briser sa volonté. C’est une enfant qu’une vie d’esclave attend. Un quotidien fait d’humiliations, à servir de défouloir à un homme dont le sexe – seul – autorise à agir en toute impunité. Elle avait une chance sur deux, la pièce est tombée du mauvais côté. Alors, coup après coup, de ses mains, son mari étouffera chaque velléité de résistance. Feliz se résumera à une cavité, dont la seule mission consiste à enfanter et à permettre à son homme de se décharger. Se transformant au fil des années passées dans la maison de « l’araignée », en une tache aveugle, aux contours flous. Sa belle-mère étant du même acabit que le fils qu’elle a enfanté. Interdiction de sourire, les orifices restent fermés, les yeux baissés. Quant à Yunus : « Il ne travaille pas. Il est l’homme au foyer. C’est suffisant. » En s’inspirant d’une histoire vraie, Katharina Winkler rend compte du quotidien insoutenable de ces femmes parées de bijoux bleus, dont les teintes embrassent tout le nuancier. Une réalité tue, indicible. Puisqu’à qui en parler ? Qu’espérer quand toutes les portes sont fermées et les féminicides banalisés ? Le cycle de la violence des hommes semble éternellement se répéter. En parler, l’écrire, la lire sont le moyen du remédier.
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 2017. Aux Éditions Chambon (Actes Sud), traduit de l’allemand par Pierrick Steunou, 240 pages.