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Chambre simple, Jérôme Lambert : rentrée littéraire d’hiver 2018 (#RL2018)

Ayant été conquise par le premier roman de Jean-Baptiste Andrea, publié aux éditions de L’Iconoclaste et paru à la rentrée littéraire 2017, c’est avec grand plaisir que j’ai décidé de me plonger dans Chambre simple, publié également par cette maison d’édition. Mal m’en a pris. Puisque si ce roman polyphonique promet une immersion en plein cœur du milieu hospitalier, au chevet d’un homme victime d’une crise d’épilepsie, il se révèle superficiel et creux. Jérôme Lambert livre un récit désincarné qui n’a pas réussi à m’émouvoir. Une fois n’est pas coutume, ma chronique sera particulièrement courte, n’ayant que peu de choses à dire. Chambre simple est ce que l’on appelle plus communément un roman choral ou roman polyphonique. Chaque chapitre est l’occasion d’offrir au lecteur le point de vue d’un des personnages. Ce procédé narratif a l’avantage d’offrir une multiplicité de perpectives. En général, cela est synonyme de richesse narrative. Jérôme Lambert a découpé son roman de telle sorte à ce que nous ayons le point de vue du patient, de son ex-conjoint, ainsi que du personnel hospitalier au contact du malade. L’auteur développe deux thèmes principaux : la fin d’une histoire d’amour et la maladie. Au fil des pages, l’on comprend que Roman, qui s’est précipité au chevet du narrateur après avoir reçu un appel d’urgence de l’hôpital, est son ex conjoint. Que le narrateur l’a brutalement quitté quelques temps auparavant sans réelles explications. On assiste à quelques réminiscences de leur histoire d’amour, mais là encore nous ne disposons que de bribes sans réel intérêt. À aucun moment on ne rentre dans le vif du sujet, dans la matière de leur histoire, à laquelle je n’ai pas cru une seconde. Ce roman est trop lisse, fade, plat. Mon reproche principal est qu’il manque de saveur. Il n’y a aucune aspérité permettant de donner corps à l’histoire. Si je devais assimiler ce roman à quelque chose de physique, ce serait une sorte de brume, une substance inconsistante, intangible. C’est une sensation assez particulière que je ne saurais décrire autrement. Aussitôt lu, aussitôt oublié. Il existe tellement de romans qui méritent d’être lus que je ne considère pas qu’il faille s’attarder sur cet ouvrage. Cela étant dit, Chambre simple présente l’avantage d’être relativement court – 182 pages, et donc de se lire rapidement. N’hésitez pas à me dire en commentaires ce que vous avez pensé de ce roman, je serais curieuse de découvrir les raisons pour lesquelles cet ouvrage vous a plu.

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Dans les angles morts, Elizabeth Brundage : un thriller psychologique dérangeant

Elizabeth Brundage signe un thriller psychologique haletant avec Dans les angles morts. La narration s’ouvre sur une journée neigeuse, dans une petite ville américaine. Un homme fait une découverte macabre. Le corps de sa femme gît, le cou tranché par une hache, dans le lit conjugal. Comble de l’horreur sa petite fille, Franny, se trouvait sur les lieux au moment du meurtre. L’enquête policière conclut rapidement que Catherine Crale a bien été assassinée sauvagement dans la nuit du 23 février 1979. Et, si aucun indice ne vient étayer la culpabilité du mari, il semble néanmoins que tous tendent à le désigner comme coupable. Un an plus tôt, le jeune couple de New-Yorkais a emménagé dans l’ancienne demeure des Hale, obtenue pour une bouchée de pain aux enchères. Et pour cause, les précédents locataires, un couple de fermiers perclus de dettes, s’y étaient donné la mort. Laissant leurs trois fils Eddy, Wade et Cole orphelins. Le drame familial qui s’est joué dans cette maison lugubre semble y avoir laissé une trace indélébile, s’être incrusté dans les murs. La mort violente des anciens locataires flotte dans l’air, distillant une présence angoissante et rendant l’habitation sinistre. George et Catherine Crale, parents d’une petite fille, forment un couple étrange. Leur union s’est scellée sous la pression d’une naissance imminente, quoique non désirée. Chacun conscient de la nécessité de jouer le rôle qui lui a été attribué. Se résignant, pour elle, au statut de femme au foyer avec une soumission toute naturelle fruit d’une éducation religieuse sévère, tenant son ménage au cordeau et prédisposée à tous les sacrifices. Pour lui c’est avec une soumission feinte, bien enclin à assouvir ses désirs ailleurs, qu’il entend diriger sa vie. On assiste au délitement de ce couple énigmatique, bâti sur des faux-semblants. La personnalité névrotique de Catherine s’accentue au contact d’un époux aux instincts pervers. La peur s’immisce dans le couple. Les non-dits, mensonges et trahisons s’accumulent. Une tension sourde et menaçante s’installe entre les époux. L’atmosphère mortifère imprègne les lieux, annonciatrice d’un dénouement funeste. Contribuant au suspense du récit, qui repose sur la personnalité psychotique du mari, dont l’auteure dresse un portrait psychologique saisissant.

Un thriller psychologique haletant

Il faut reconnaitre à Elizabeth Brundage, un sens aigu du suspense. Tous les ingrédients du roman noir sont réunis et fonctionnent à merveille. L’intrigue se déroule dans une petite ville américaine, dont les fermiers à court de ressources, laissent la place à de riches new-yorkais. Les Hale, un couple de fermiers, en proie à des soucis financiers se retrouvent dans l’incapacité d’honorer leurs dettes. Ne sachant comment se sortir de cette situation inextricable, ils choisissent de se donner la mort par inhalation de gaz. Le plus jeune de leur fils découvre ainsi les corps inanimés de ses parents le lendemain matin. Les trois garçons se voient dans l’obligation de céder la ferme à des inconnus faute de disposer des moyens financiers nécessaires pour la conserver. L’arrivée dans ce contexte du couple Crale, éveille la curiosité des habitants du coin. Bien que tous deux passionnés d’art, Catherine a du renoncer à son travail de peintre afin de se consacrer pleinement à l’éducation de sa fille Franny. Quant à George, il poursuit des études médiocres en histoire de l’art, jusqu’à prétendre au statut d’enseignant à l’université de Chosen. Leur histoire est l’histoire banale de deux jeunes étudiants qui faute de courage se retrouvent empêtrés dans un couple discordant au quotidien morose. La naissance de leur fille maintenant leur union à bout de souffle. George mis au courant du drame survenu à la ferme, décide de cacher la vérité à sa femme. Les semaines passant, celle-ci est pourtant témoin à plusieurs reprises de phénomènes troublants. Les portes claquent, une musique s’échappe du piano, des bruits de pas se font entendre. Consciente de l’étrangeté de la situation, elle est pourtant convaincue de partager sa maison avec les anciens locataires. En parallèle, son couple se délite au rythme des mensonges de son mari. La situation s’enlise jusqu’à devenir suffocante.

La finesse de l’analyse psychologique des personnages

L’angoisse ressentie à la lecture du roman d’Elizabeth Brundage provient des personnalités névrotiques des personnages. George Crale, véritable pervers narcissique, souffre de troubles psychologiques, le conduisant à asseoir sa position de mâle dominant au sein de son couple. Bien décidé à faire plier sa compagne au gré de ses humeurs. La terrassant si besoin est et la réprimandant violemment. Ce besoin de puissance se manifeste dans sa manière de soumettre son épouse. La dévalorisant et la dénigrant continuellement. Lui renvoyant à la figure le dégoût qu’elle lui inspire. La maintenant dans une situation de dépendance affective. La menaçant de lui retirer la garde de sa fille si l’envie lui prenait de mettre les voiles. Fin manipulateur, il éprouve au fil des jours le pouvoir que lui confère sa position de tortionnaire, exerçant une pression psychologique permanente sur sa femme. Le personnage imaginé par Elizabeth Brundage prend un plaisir jubilatoire à adopter un comportement de prédateur sexuel. Catherine, bien que victime d’un harcèlement moral qui va en s’intensifiant, ne peut se résoudre à être séparée sa fille. Élevée selon les préceptes de la religion catholique, elle ne conçoit pas de quitter le domicile conjugal. Elle est imprégnée du rôle de mère et d’épouse modèle qui lui a été inculqué depuis l’enfance. Face à l’échec cuisant de son mariage, elle joue la carte de l’aveuglement. Jusqu’au dénouement final.

Conclusion

Dans les angles morts est un thriller efficace, l’auteure distille avec brio une angoisse tenace au fil des pages. Qui ne fait que s’intensifier. Dotée d’un véritable don pour décortiquer la psychologie des personnages, l’auteure nous fait assister en qualité de témoin au lent processus de destruction d’une cellule familiale, sous le joug d’un pervers narcissique. Je vous recommande ce roman à la fois angoissant mais terriblement exaltant.

>>> GRAND PRIX DES LECTRICES DE ELLE 2018 (#GPLE)

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Fugitive parce que reine, Violaine Huisman : un portrait de mère d’une beauté inouïe

Violaine Huisman signe un premier roman magistral, d’une beauté inouïe. Roman qu’elle consacre à sa mère, Catherine. Mère excessive, fantasque, instable, indubitablement défaillante mais terriblement aimante. Écrire sur la figure maternelle, sujet galvaudé me direz-vous ? Maintes et maintes fois rebattu en littérature. De la mère dévouée vouant un culte à son fils chez Romain Gary, à la mère indigne décrite par Hervé Bazin, à la mère autodestructrice racontée plus récemment par Delphine de Vigan, la littérature regorge de descriptions de figures maternelles. Fugitive parce que reine était donc un pari osé, remporté avec succès. Violaine Huisman s’essaye à un exercice périlleux, qu’elle relève haut la main en évitant tous les écueils. Dans ce roman elle interroge, en filigrane, la question de l’identité féminine. Une identité supplante-t-elle une autre ? L’amante doit-elle s’effacer devant la mère ? Le désir avilie-t-il la figure maternelle ? Catherine n’aura de cesse que de jongler avec la multiplicité des facettes qui définissent une femme, sans pour autant réussir un jour à les concilier. Tour à tour femme fatale, amante audacieuse, épouse soumise, mère attentionnée et dépassée. Catherine, née Cremnitz, ne portera pas moins de sept noms différents. Toute sa vie, elle sera tiraillée par la question de son identité. Issue d’un viol, à une époque où l’avortement n’était pas légalisé. Enfant non désiré. Elle naît un 1er avril, comme un clin d’oeil du destin. Ses premières années, c’est à l’hôpital Necker qu’elle les passera, alors atteinte d’une maladie infantile. Par la suite diagnostiquée maniaco-dépressive. Marquée par la sécheresse d’une mère revêche, elle tentera dans les bras des hommes de combler ce manque affectif. Violaine Huisman raconte sa mère, ses lacunes affectives inapaisables qui ont laissé une empreinte indélébile. Elle nous offre un premier roman fulgurant, un destin de femme – avide d’amour, sublime et tragique, rattrapée continuellement par un passé trop lourd à porter. Le tout dans une langue exquise qu’on savoure avec délectation. Roman à découvrir d’urgence !

Un portrait psychologique saisissant

Le plus ardu dans ce type d’exercice littéraire consiste à trouver la distance adéquate avec le sujet. Écrire sur sa mère pose évidemment le problème de la mise en perspective. Cela touche intimement l’auteur. Il faut s’assurer de ne pas se laisser submerger. Essayer de faire preuve de neutralité. Ne pas laisser la subjectivité interférer, ce qui pourrait in fine altérer l’authenticité du propos. Le nuancer à l’extrême, pour finalement le dénaturer. Le projet de Violaine Huisman n’est en aucun de cas de fustiger l’éducation que sa sœur aînée et elle ont reçue. Puisque si elles ont grandi dans une famille que les adultes s’évertuent à torpiller joyeusement, de l’amour elles en ont reçu. Maladroitement mais généreusement. D’un père aux abonnés absents et d’une mère psychologiquement fragile. Dans la seconde partie de l’ouvrage, Violaine Huisman révèle les fêlures sur lesquelles sa mère s’est construite. Un terrain friable, qui au premier coup de vent s’effrite, faisant basculer Catherine dans les limbes de la folie. Seul l’amour qu’elle éprouve pour ses filles pourra alors la faire sortir de sa torpeur. Comme une béquille, sa mythomanie elle ne l’a développé que pour occulter voire sublimer ce qui était insupportable. Alors Catherine s’invente, oscille dangereusement d’un excès à l’autre. C’est cette exubérance qui est relatée ici. Cette propension à l’hubris. Une vie de famille rythmée au gré des humeurs d’une femme instable. Partagée entre sa vie de femme et son rôle de mère.

Un récit biographique honnête et émouvant

L’auteure porte un regard honnête sur sa mère, dénué de ressentiment. Consciente de ses faiblesses, elle fait preuve de bienveillance à son égard et ne lui fait pas grief de son inaptitude à offrir un cadre familial stable et apaisant. Au contraire, il émane de ce texte une empathie profonde et sincère de la part de l’auteure à l’égard de sa mère. Fugitive parce que reine est un récit bouleversant, et une très belle manière de rendre hommage à celle qu’elle et sa sœur appelaient « maman chérie que j’aime à la folie pour toute la vie – et pour l’éternité du monde entier ».

Conclusion

Violaine Huisman parvient avec brio à se délester de sa subjectivité pour raconter sa mère. La comprendre, se mettre à sa place et imaginer au vue de son passé le défi qu’à pu être sa vie. Partie avec les mauvaises cartes en main, elle a pourtant su transmettre tout l’amour dont elle était capable à ses filles. Ce roman est un énorme coup de cœur. Au-delà du talent indéniable de l’auteure en tant que conteuse, il faut souligner la beauté de la langue. Vous ne pouvez pas passer à côté de cet ouvrage de la rentrée littéraire 2018 ! 😉

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Le passé, Tessa Hadley : un huis clos familial en plein cœur de la campagne anglaise

Tessa Hadley imagine un huis-clos familial évoluant dans un temps suspendu, une sorte de sursis, un temps de latence,  qu’elle nous octroie avant l’issue inéluctable de cette réunion de famille. Le prétexte à cette réunion est la mise en vente de la maison de leurs grands-parents, lieu où se cristallisent toutes les tensions. Maison dotée d’un certain magnétisme où les souvenirs affluent. Réminiscence confuse d’une enfance mouvementée mais heureuse. D’un passé révolu auquel chacun se rattache imperceptiblement sans en avoir pleinement conscience. Un passé qui entrave leur liberté d’action.Tessa Hadley plante le décor de son roman en plein cœur de la campagne anglaise, dans un cadre bucolique typique de la littérature victorienne. Une végétation luxuriante propice à une certaine effusion des sentiments, l’austérité morale incarnée par la présence silencieuse d’un bâtiment religieux.  Dans cette ambiance crépusculaire, on observe la lente déliquescence de cette bourgeoisie anglicane de campagne. Une mélancolie diffuse s’inscrivant dans la tradition romantique. L’explosion d’une cellule familiale à bout de souffle, soumise à une promiscuité qui coûte à chacun de ses membres et qui accélérera le processus déjà entamé. Cette proximité non désirée agira comme un catalyseur, libérant les névroses de chacun. Il émane de ce roman une sensualité rance accentuée par le style chargé de l’auteure. Tessa Hadley dresse des portraits psychologiques extrêmement fins. Sa plume souligne avec subtilité les traits de caractère de chacun des membres de la famille. Elle s’évertue à décortiquer chacune des aspérités des personnages avec le plus de justesse possible. Dans ce temps en suspens déconnecté de la réalité, la tension monte. Les enfants s’initient à des jeux dangereux, des adolescents découvrent les joies de la sensualité, tandis que des pulsions violentes secouent le quotidien morose de ceux qui s’étaient résignés. L’ambiguïté s’insinue dans les rapports, la tension est palpable, jusqu’à atteindre son paroxysme.

Un huis-clos familial dans la veine de la littérature victorienne

Tessa Hadley a conçu un roman qui s’inscrit dans la plus pure tradition de la littérature victorienne avec un soupçon de modernité. Le récit oscille entre passé et présent, entre mai 68 et l’époque actuelle. L’auteure jongle habilement entre ces deux époques, les imbriquant avec doigté pour mieux souligner les implications de l’une sur l’autre. Le lieu de l’intrigue, soit la campagne anglaise, est emprunt d’un charme désuet. Le climat, oscillant entre chaleurs estivales et averses interminables, imprègne le récit d’un certain romantisme. Le tempérament des personnages se fixant au diapason du climat ambiant. Le lieu dans lequel chacun évolue occupe une place prépondérante. Il confère au récit une dimension énigmatique, une aura mystérieuse. Il agit sur l’état psychique de chacun, laissant infuser une tension sourde. Les descriptions sont d’une telle précision, que les images se fixent sur la rétine du lecteur. Les relations complexent qui lient chaque membre de la famille sont soumises à l’œil scrutateur de l’auteure. Révélant leur caractère malsain, quasi incestueux. La mise à nue des angoisses de chacun rend les personnages à la fois attachants, mais également irritants. Les jalousies enfantines se sont muées en rancunes féroces. La frustration a laissé place à un ressentiment tenace que chacun finit par expérimenter. Tessa Hadley excelle dans l’art de révéler les émotions imperceptibles, les maux qui pourrissent les relations familiales. On assiste en qualité de témoin à la lente dissolution du noyau familial. À la coupure salvatrice du cordon ombilicale.

Un style lyrique (un peu trop) chargé

Adepte d’un style plus concis et percutant, j’ai trouvé la plume de l’auteure quelque peu filandreuse par moment. Certains passages traînent en longueur, l’auteure pêche par manque de clarté. Certains détails s’avèrent inutiles et ne font qu’alourdir le propos de l’auteur, sans rien apporter à l’intrigue. L’écriture lyrique contribue à l’impression d’être hors du temps, isolé, retranché dans cette maison de campagne. Néanmoins, j’ai relevé quelques maladresses. Certaines métaphores tombent à plat. Le roman ayant été traduit de l’anglais, il est possible que ces détails soient imputables au travail de traduction, cela dit ne l’ayant pas lu dans sa version originale je ne pourrais aucunement trancher.

Conclusion

Malgré quelques bémols, je trouve ce roman plutôt réussi. L’auteure parvient à créer une atmosphère lourde, oppressante. L’analyse psychologique des personnages contribue au sentiment de malaise qu’éprouve le lecteur à la lecture de ce roman. Les personnages tiraillés par leurs névroses se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît. Je vous conseille ce roman en cette période de fêtes de fin d’année, muni d’un verre de vin chaud, d’un plaid, les pieds au chaud près d’un feu de cheminée 😉

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Max et la grande illusion, Emanuel Bergmann : le pouvoir de l’émerveillement

Max et la grande illusion est un premier roman réussi, qui, sur un ton faussement léger aborde l’enfer de la Shoah. L’effroi pointe sous l’apparente légèreté dans un récit pétillant et emprunt d’humour. Nous sommes en Europe centrale, à Prague, à l’orée de la seconde guerre mondiale. Mosche Goldenhirsch, fils de rabbin – ou du voisin du dessus, sa filiation n’ayant jamais été clairement élucidée – fugue du domicile familial. Quelques jours auparavant, une rencontre a bouleversé sa vie. La princesse Ariana, officiant dans un cirque itinérant, l’a littéralement subjugué par sa beauté. La découverte du monde du spectacle, de l’univers de la magie et de l’illusion a agi comme une révélation sur le jeune garçon habitué à vivre dans l’austérité de l’enseignement hébraïque. Ressorti émerveillé de la prestation, il n’aspire qu’à une chose, rejoindre le Cirque magique. Susciter l’admiration et maintenir l’illusion. De cette exaltation, naîtra sa vocation. Pour cela, face à la montée du nazisme et à l’antisémitisme ambiant, Mosche Goldenhirsch disparaîtra pour laisser place au Grand illusionniste Zabbatini, venu des confins de la Perse. Un demi-siècle plus tard, un jeune garçon dénommé Max Cohn fait la douloureuse expérience du principe de réalité. Mom et Dad, qui ne cessent de se disputer – le point névralgique de leurs désaccords étant principalement une obscure prof de yoga particulièrement souple – lui annoncent qu’ils vont divorcer. Son univers vole en éclats. Jusqu’à ce qu’il fasse une découverte qui va tout changer. Max trouve, tombé d’un carton de déménagement, un vieux vinyle ayant appartenu à son père. Sur la pochette de ce vinyle figure la photo du Grand Zabbatini ! Ce dernier promettant détenir la formule de l’amour éternel. Il n’en fallait pas plus pour que l’imagination du petit Max s’emballe. Cette découverte est une véritable aubaine, Max y voit là le moyen de réconcilier ses parents et de résoudre tous ses soucis. Petit bémol, le disque est rayé. Ni une, ni deux Max part à la recherche de l’illustre magicien bien décidé à obtenir la formule magique.

Un conteur est né !

Avec Max et la grande illusion, Emanuel Bergmann signe un premier roman addictif. Une fois entamé, impossible de le lâcher ! Une lecture réjouissante parfaitement de saison. La rentrée littéraire 2017 a été particulièrement sombre, laissant peu de place aux récits fruits de l’imagination des auteurs. La tendance actuelle veut que le réel prenne le pas sur la fiction. Avec Max et la grande illusion, l’auteur allemand rééquilibre la balance et nous en met plein les yeux. Le rythme est soutenu, l’intrigue bien ficelée, les personnages attachants, et ça fait du bien. Max et la grande illusion n’est pas forcément un grand roman, l’écriture est fluide mais le style manque de caractère, néanmoins c’est un très beau roman. On se laisse porter par la plume de l’auteur. Le cynisme du Grand Zabbatini, devenu un vieillard aigri, se marie à merveille avec la candeur du jeune Max prêt à tout pour rabibocher ses parents. Les deux compères forment un duo détonnant et attachant.

Un ton enjoué pour mieux cacher une réalité difficile à évoquer

Sous couvert du ton enjoué qui rythme le récit, se dessine une réalité cruelle. Celle de la Shoah, des camps de concentration, des rafles et de la délation. Avec Max et la grande illusion, le lecteur suit deux destins en parallèle, amenés à se croiser. Le Grand Zappatini découvrira que l’on ne peut nier indéfiniment qui l’on est, les événements se chargeront de lui rappeler le petit garçon qu’il a été. Le monde merveilleux dans lequel il s’était réfugié ne pourra le protéger, l’histoire finit toujours par nous rattraper. Si Zabbatini en vieillard désabusé de la vie, fait figure du clown triste – porté sur les club de striptease, il s’efforcera de maintenir l’illusion, l’enchantement dans les yeux du jeune garçon. Laissant ainsi le charme de la magie opérer une dernière fois avant que la dureté de la réalité ne lui soit révélée.

Conclusion

Max et la grande illusion est un premier roman qui nous entraîne dans l’univers merveilleux de l’art de la magie, où un jeune garçon croit encore au pouvoir miraculeux des mots prononcés par un grand magicien. Le duo de choc formé par le Grand Zappatini et le petit Max est doté d’un charme fou. Nous entamons avec eux un voyage à travers l’Europe centrale, à un moment de l’histoire où l’enchantement a cédé la place à l’horreur.

>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)

 

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« Arrête avec tes mensonges », Philippe Besson : le récit autobiographique d’un premier amour

«Arrête avec tes mensonges» le sermonnait sa mère, gamin, lorsque lui reprenait cette manie d’inventer des histoires. Prémices des travers de l’écrivain pour qui le rapport avec le réel demeure complexe, la réalité offrant une multitude de perspectives, d’interprétations. Dès l’enfance Philippe Besson prenait un malin plaisir à affabuler, distordre la réalité. Il ne le sait pas encore mais bien plus tard il en fera son métier. Une fois n’est pas coutume Philippe Besson fouille son passé et décide de se pencher sur un épisode fondateur de sa vie amoureuse, son premier amour. Homosexuel assumé, l’auteur n’a jamais ressenti le poids de la culpabilité ou de la honte pesait sur lui. Très jeune son orientation sexuelle s’impose à lui. Et pour Philippe Besson, il n’a jamais été question de la refouler, l’occulter comme un secret inopportun. Dans un style épuré et sobre, une langue déliée, dénuée de pathos, Philippe Besson évoque cet amour adolescent. Lui, le fils du prof, à à peine dix-sept ans, lunettes d’intello et pull jacquart, s’éprend de Thomas Andrieu, fils de paysans, au charme ravageur. Contrairement à lui, Thomas n’a pas la force d’assumer qui il est. Ces premiers émois, qui au fil des rendez-vous se muera en affection, attachement, amour (?), se vivent cachés. Conscients de ce qui les sépare, cette histoire a une fin programmée. Philippe Besson, élève brillant est promis à de belles études. L’un partira, l’autre restera. L’histoire prend fin. Des années plus tard, Philippe Besson tombe sur le fils de l’homme qu’il a aimé. Les langues se délient, la vérité surgit et les souvenirs remontent. Philippe Besson nous offre un récit poignant, d’une sincérité désarmante. Il interroge des thèmes forts, tels que l’identité sexuelle, le rejet amoureux, l’absence, le manque, les rendez-vous manqués. Thèmes de prédilection de l’auteur.

Un récit autobiographique qui sonne juste

Nous sommes dans les années 80, à Barbezieux, commune du sud-ouest de la France. Philippe Besson n’a pas encore embrassé la carrière d’écrivain. Il est un adolescent appliqué, dont les résultats scolaires augurent de longues études. Pétri de doutes, il ne perçoit pas ce que les autres pressentent chez lui, ceux qui le prédestinent à une brillante carrière. Thomas Andrieu est de ceux-là. Il sait qu’un jour, bientôt, Philippe partira. Il connaît l’issue inéluctable de leur relation avant même qu’elle ne commence. Philippe lui n’ouvrira les yeux que plus tard, aveuglé par ses sentiments. Si à l’adolescence tout est remis en cause, il y a bien une chose de certaine, c’est son attirance pour les garçons. Celle-ci ne souffre aucun doute. Si l’auteur s’amuse à composer avec le réel, ses préférences il n’a jamais été question de les travestir. À cette époque cette différence isole. Philippe Besson sera la cible des railleries de ses camarades. C’est dans ce contexte que Thomas Andrieu surgit dans sa vie. L’attraction est d’abord charnelle. Ils répondent au désir impétueux des corps. Cependant, l’ardeur des étreintes laissent place peu à peu à des sentiments chez Philippe, qui jamais ne franchira le cap de les exprimer à voix haute. À formuler clairement ce qu’il ressent, pressentant chez celui qu’il aime une réticence à prononcer certains mots. Il respectera la loi du silence imposé par son amant qui n’entend pas divulguer sa véritable identité. Philippe Besson aborde avec finesse le sujet si délicat de l’identité sexuelle. Il choisit de livrer un moment clé de sa construction, un pan de son intimité. L’écriture souple et pénétrante relate à merveille la confession de l’écrivain.

Aux origines de l’écrivain

Philippe Besson lève le voile sur le mystère qui entoure l’écrivain. L’homme démystifie le romancier en nous donnant les clés de compréhension de son œuvre. Puisque finalement, c’est de ça dont il s’agit. De la matière première dont se servira un jour le romancier. Le terreau de ses romans. Lui-même, fait de cette relation amoureuse, la matrice de son œuvre, la thématique centrale sur laquelle s’appuie chacun de ses ouvrages. Inlassablement il refera vivre à ses personnages des situations déjà vécues. Il serait judicieux, alors, de se replonger dans les ouvrages du romancier. De les appréhender sous un oeil nouveau, plus vif, éclairé. Un œil alerte saura déceler la réalité maquillée.

Conclusion

Salué par la critique et lauréat du Prix de la Maison de la presse 2017, «Arrête avec tes mensonges» est un récit autobiographique touchant. Philippe Besson se confie sans fards sur cette relation amoureuse fondatrice. Avec des mots simples, parfois crus, il sait toucher le lecteur.

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Spécial noël : une sélection de livres à offrir pour les fêtes

Les fêtes de fin d’année approchent à grande vitesse, et pour l’occasion Books’nJoy a décidé de vous proposer une sélection d’ouvrages à placer sous le sapin ! 🎄Des difficultés à trouver le cadeau idéal pour votre trisaïeul ou pour votre petite cousine ? Pas de panique, je suis sûre que vous trouverez parmi les ouvrages ci-dessous quelques idées de cadeaux 🎁 😉

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SÉLECTION PREMIERS ROMANS

🤐 Je me suis tue est un premier roman aux allures de fable diabolique, un huis clos familial, intense et étouffant. Victime d’une agression sexuelle, le mutisme total de l’héroïne finira par occuper tout l’espace jusqu’à la révélation finale. La plume de l’auteur, que l’on retrouve dans son excellent second ouvrage Un fils parfait, se révèle incisive et féroce. Ce premier roman est tout simplement bluffant ! (lien vers l’article)

👑 Ma reine, lauréat du prix du premier roman 2017, est une ode à l’enfance et à la différence. Jean-Baptiste Andréa livre un conte onirique et poétique d’une rare douceur. Un jeune garçon se sachant différent des autres entame un voyage initiatique au cours duquel il découvrira la notion d’amitié. Cette amitié agit comme une promesse d’évasion. Un premier roman tout doux ! (lien vers l’article)

🧣 Une bouche sans personne aborde des thèmes forts tels que la marginalité, le handicap et l’exclusion sociale sous une plume fine et délicate. Gilles Marchand substitue à la tristesse d’un quotidien morose l’extravagance et la fantaisie d’un monde rêvé. Un premier roman envoûtant ! (lien vers l’article)

SÉLECTION GONCOURT

🎶 Chanson douce signé Leïla Slimani, un thriller psychologique haletant. L’auteur se glisse avec brio dans la tête d’une nounou criminelle, accusée d’un double infanticide 💉. Un portrait psychologique réussi sous une plume blanche, féroce et incisive comme un scalpel. Un roman glaçant ! ❄ (lien vers l’article)

💀 L’ordre du jour, Éric Vuillard démystifie l’Allemagne nazie. Il décortique l’enchaînement des événements qui ont conduit Hitler au pouvoir et à l’hégémonie de l’Allemagne nazie. L’écriture est puissante et sobre. Éric Vuillard ne s’embarrasse pas d’effets de styles inutiles et va droit à l’essentiel. Dans un style dépouillé, concis et incisif l’auteur nous donne une véritable leçon d’histoire ! (lien vers l’article)

 

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Croc-Blanc, Jack London : un chef d’œuvre intemporel

Croc-Blanc s’inscrit dans la droite lignée de ce qu’on appelle plus communément le « nature writing » ou encore les récits d’écrivains voyageurs, avec toutefois cette originalité de se glisser dans la peau de l’animal. Grand classique, voire incontournable de la littérature américaine, Croc-Blanc est injustement catégorisé littérature jeunesse. Alors qu’en réalité, ce roman d’apprentissage d’une grande modernité de ton s’adresse à un public averti. Jack London nous emmène sur les traces d’un chien-loup au cœur du Grand Nord. Il dépeint un univers cruel, une nature à l’état sauvage où la loi du plus fort sévit de manière impitoyable, sous une plume féroce et confondante de réalisme. Il émane de l’écriture de Jack London une force vitale telle que l’effet de réel est total. Fruit d’une observation minutieuse de cette « nature sauvage »- thème de prédilection de l’auteur et sujet central de son œuvre – et de ses expéditions qui lui ont fournies la matière de ces romans, Jack London parvient à communiquer au lecteur sa fascination pour les grands espaces, ces paysages polaires, quasiment lunaires. La langue de Jack London est nette, brute, sans fioriture, ce qui contribue au réalisme des scènes dont le lecteur est témoin. C’est à travers les yeux de Croc-Blanc, trois quart loup, un quart chien, que l’on découvre le Grand Nord. Tour à tour recueilli par des Indiens qui en feront un chien de traîneau et lui enseigneront à renier sa nature de prédateur, il sera par la suite racheté par un homme cruel qui en fera un chien de combat, attisant ses plus vils instincts. Aveuglé par la haine et la rage ainsi que par sa peur des hommes, pour lesquels il n’approuve que méfiance, il sera secouru par un homme qui lui apprendra à aimer en l’obligeant à travailler sur sa nature profonde. Jack London est un des premiers auteurs à s’immiscer dans la tête d’un animal et à tenter de disséquer sa psychologie. Taxé d’anthropomorphisme, Croc-Blanc n’en est pas moins un chef d’œuvre de la littérature !

La nature sauvage

Dès les premières pages, Jack London met un point d’honneur à souligner l’hostilité de la nature sauvage, sa cruauté et sa dureté. À aucun moment il ne cherche à enjoliver, ni à sublimer, la réalité. La mort d’un homme dévoré par des loups affamés suffira de vous convaincre que ce roman ne s’adresse nullement à un public exclusivement jeune. N’étant pas particulièrement friande de « nature writing » et étant même plutôt réfractaire aux écrits d’écrivains voyageurs, en relisant Croc-Blanc j’ai été subjuguée par la beauté des paysages décrits. La dynamique entre les espèces, cette loi immuable qui consiste à tuer ou être tué et la place particulière qu’occupe l’homme dans le règne animal sont parfaitement expliqués sous la plume de l’auteur américain. Un chapitre en particulier m’a interpellé, celui consacré à la mue du jeune louveteau. Il découvre l’environnement qui l’entoure, sa condition de chasseur s’impose à lui. Soit le rôle inné qu’il doit jouer pour garantir l’équilibre au sein d’un écosystème fragile. Chaque expérience sera l’occasion pour Croc-Blanc de parfaire son apprentissage. Ainsi, il apprendra à ses dépens que le feu brûle.

Un récit anthropomorphique ?

Jack London décrit Croc-Blanc comme un animal rusé, capable d’éprouver un sentiment de vengeance et de choisir le moment adéquat pour mettre celle-ci à exécution. Objet de moqueries lorsqu’il se brûle le museau, il associera immédiatement le rire au sentiment de honte. L’agilité dont Croc-Blanc fait preuve au cours de ses combats laisse deviner des capacités d’analyse hors norme. Les similitudes entre l’homme et la bête sont telles, qu’à certains moments la limite les séparant semble poreuse. Personnellement, cela ne m’a pas dérangé. Bien au contraire, je trouve que Jack London réussit merveilleusement bien à nous glisser dans la peau de Croc-Blanc. Nous sommes bien loin de l’anthropomorphisme à la Disney ou des fables de Lafontaine. Jack London est un des rares auteurs à avoir disséquer avec tant de précision les émotions animales et c’est qui contribue à faire de ce texte un récit intemporel. Il a su capter et rendre le combat intérieur que mène en permanence Croc-Blanc entre ses origines de chien domestiqué par l’homme et de grand prédateur.

Conclusion

Croc-Blanc est incontestablement un chef d’œuvre intemporel ! Le texte est sublime, l’écriture d’une très grande modernité, le récit passionnant. Il fait partie des grands classiques de la littérature à relire une fois tous les dix ans, histoire de se replonger dans ce texte mythique. Si vous ne l’avez pas déjà lu, je vous conseille vite d’y remédier, vous ne serez pas déçus.

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Sheppard Lee, Robert Montgomery Bird : un grand roman oublié de la littérature américaine

Sheppard Lee oscille entre la fable moralisatrice et la comédie burlesque savamment dosée, orchestrée, qui ne tombe jamais dans le grotesque et s’avère bien plus fine qu’elle n’y paraît. À défaut de vous demander si vous avez déjà lu cet ouvrage – qui grâce à la maison d’édition Aux forges de Vulcain vient pour la première fois d’être traduit en français, je vous demanderais si vous en aviez déjà entendu parler ? Car si Sheppard Lee est sans conteste un grand roman de la littérature américaine, il jouit d’une postérité égale au néant. Et pourtant, bien qu’écrit en 1836, il s’agit d’un récit résolument moderne. L’écriture est fluide, le ton caustique, Robert Montgomery Bird livre un récit fantasque emprunt d’ironie, saupoudré d’épisodes jubilatoires. Né Sheppard Lee, le narrateur reçoit en héritage de son défunt père un domaine agricole à administrer. Petit bémol, celui-ci est frappé d’une paresse telle qu’il est bien incapable de fournir le moindre effort. Il laisse ses terres en friche, se retrouve non seulement ruiné mais également accablé de dettes. Las de son existence, dans une énième tentative d’échapper à ses créanciers, il porte foi à une vieille légende et se met à la recherche d’un trésor enfoui. Aussi habile qu’il est débrouillard, Sheppard Lee se plante la pelle dans le pied et trépasse. Son âme s’échappe de son corps, erre un instant, puis finit par tomber sur le corps d’un homme fraîchement décédé. Sheppard Lee formule le vœu d’occuper le corps vacant. Dès lors, il se découvre un don pour la métempsychose, soit le transvasement d’une âme dans un autre corps. C’est ainsi que débutent les aventures de Sheppard Lee. À travers les multiples personnalités endossées par le narrateur et ses diverses réincarnations, l’auteur porte un regard critique sur la société américaine du 19e siècle. Il décrit avec une grande justesse, et force détails, les travers de cette société. Il nous donne à voir une société des apparences, qui se révèlent comme bien souvent, trompeuses.

Une farce drôle et parfaitement maîtrisée

R.M.B jongle habilement avec tous les codes de la farce – comique de répétition, personnages caricaturaux, le narrateur se retrouve en permanence empêtré dans des situations absurdes… sans jamais basculer dans le grotesque, ni le vulgaire. Chaque ingrédient est dosé à la perfection. Sheppard Lee campe un personnage attachant, un brin candide, avec une tendance assumée à la procrastination. Indolent, il se laisse porter par l’existence. Il n’a rien du héros vaillant et courageux. Il endossera au fil de ses réincarnations un homme riche terrorisé par sa femme, un dandy séducteur sans le sou, un avare méprisable, un philanthrope crédule, un esclave noir révolté pour finir dans la peau d’un jeune homme oisif guidé par la simple satisfaction de ses besoins primaires. Porté par l’idée que l’herbe est toujours plus verte ailleurs, Sherppard Lee part du principe qu’il est toujours préférable d’être autre que soi-même. Il ira de déconvenue en déconvenue jusqu’à se rapprocher au plus près de sa personnalité initiale. À la manière d’un conte philosophique, l’épilogue dispense une leçon de morale qui peut se comprendre comme la capacité qu’à chacun de choisir son destin en fonction de ce dont il a été doté à l’origine, rien ne sert d’envier son voisin. L’auteur développe l’idée également que le corps et l’âme sont intrinsèquement liés. Ils exercent une action réciproque l’un sur l’autre. Le comique de la situation réside dans le fait qu’en quittant son corps pour un autre, Sheppard Lee troque les traits de personnalité caractéristiques du corps qu’il abandonne pour ceux dans lequel il emménage. R.M.B possède un talent manifeste d’observation pour dresser des portraits d’une telle justesse. On décèle dans ses descriptions un souci du détails. Une volonté de coller au plus près des tics de comportements. La transformation en avare prêteur sur gage est tout simplement jubilatoire.

Une critique dissimulée de la société américaine du 19e siècle

Quel meilleur procédé aurait pu trouver l’auteur pour divertir son lecteur tout en dressant un portrait critique de la société dans laquelle il évolue ? Le don pour la métempsychose dont est doté le narrateur est une aubaine, celui-ci illustrera les différents acteurs de la société, offrant par la même occasion une vision quasi exhaustive de ses travers. Chacun est guidé par son intérêt particulier, même lorsqu’il revêtira les habits d’un bienfaiteur, il se découvrira floué. La société américaine du 19e siècle est déjà gangrénée par l’argent, au cœur de toutes les préoccupations. Amère constat que de découvrir que la culture de l’argent-roi était déjà bien ancrée il y a un siècle. R.M.B dénonce la facilité avec laquelle le peuple est manipulé. Ce texte apporte un témoignage édifiant sur le fonctionnement de la société américaine, il dispose d’une actualité peu glorieuse. Ainsi, toute une société apparaît en filigrane sous la plume de l’auteur et au rythme des tribulations du narrateur.

Conclusion

Merci Aux forges de Vulcain d’éditer pour la première fois ce texte en français ! J’avais découvert cette maison d’édition avec les romans de Gilles Marchand, que j’avais adoré, et c’est encore une belle découverte que je fais là.

 

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14 juillet, Éric Vuillard : un récit historique indigeste

Que dire de ce « roman » ou plutôt devrais-je dire de ce court essai portant sur la prise de la Bastille – le 14 juillet 1789 – qui inaugura la révolution française et marqua la fin de la monarchie ? Que ce fut pour moi une amère déception. Amère, puisque j’avais été totalement conquise par son dernier ouvrage couronné par le prix Goncourt de cette année. Déception, puisqu’on assiste sur 200 pages à un gigantesque name dropping révolutionnaire. Tout le peuple de Paris est passé au peigne fin par l’auteur, qui s’est donné pour mission de recenser tous les sobriquets grotesques présents ce jour-là. Le projet de l’auteur consiste à adopter le point de vue des « petites gens », des oubliés de l’histoire qui n’ont pas résisté à la postérité. 14 juillet est une sorte de gros bottin révolutionnaire, touffu, dense, étouffant voire plombant.Le rendu est indigeste. Ma lecture fut fastidieuse. Je me suis ennuyée page après page. J’avais la désagréable impression d’assister à un cours d’histoire mal digéré. L’auteur a souhaité réalisé une démonstration de force, étaler ses connaissances et briller par son savoir encyclopédique, mais cette fois-ci ça n’a pas pris. Le style d’Éric Vuillard dans L’ordre du jour m’avait enchanté par sa concision, sa férocité, dans 14 juillet je le trouve boursoufflé, ampoulé, sur-travaillé. Certes le sujet ne m’attirait pas particulièrement, mais tout sujet traité selon un angle original et intéressant saurait convaincre un lecteur initialement récalcitrant. Maylis de Kérangal parvient bien à rendre passionnant le récit d’une transplantation cardiaque racontée étape après étape sous une plume nerveuse. 14 juillet n’a pas su me transporter, je suis restée parfaitement hermétique au projet de l’auteur. cet ouvrage jouit d’une presse dithyrambique, par conséquent je ne peux que vous conseiller de vous faire votre propre avis 😉 .

Une idée astucieuse plombée par une érudition qui alourdit le propos

De la première à la dernière page, je n’ai eu de cesse de pousser des cris d’ennui. J’avançais péniblement, comptant les pages qui me séparaient de la fin. C’était à peine si je parvenais à sortir la tête de l’eau, pour prendre une bouffée d’air frais et me replonger dans cet amas d’informations formant une masse informe dans laquelle je ne parvenais pas à me diriger. 14 juillet s’ouvre sur les conditions de vie misérables des parisiens sous le règne de Louis XVI. La famine qui sévit, les salaires insuffisants pour se nourrir, tandis qu’à Versailles, l’on festoie allègrement. L’angle adopté, est celui des individus qui bientôt se rassembleront pour former une foule titanesque qui se déversera dans les rues de paris et prendra d’assaut la Bastille. Cette date emblématique de l’histoire de France qui a marqué un tournant inéluctable n’avait jamais encore été abordée sous cet angle. Éric Vuillard en faisant de cette foule, cette somme d’individualités, le cœur de son roman, a cherché à leur rendre hommage. Ce sont eux qui ont fait l’histoire, qui ont balayé des siècles de soumission passive au pouvoir monarchique. Ce qui était impensable fut fait. En cela, l’idée ne peut être que saluée. Sauf qu’une idée astucieuse ne fait pas tout. Loin de là. Encore aurait-il fallu que l’auteur ne nous abreuve pas d’une liste de noms sans fin ne présentant aucun intérêt. Qu’il dessine un schéma narratif clair, qu’il suive un fil directeur. Car la question qui reste en suspens est la suivante : où l’auteur souhaite t-il nous mener ? Que doit-on retenir de ce trop plein de détails historiques ? En ce qui me concerne, pas grand chose. Sinon que la prise de la Bastille n’est pas un sujet littéraire qui me passionne. Sur ce point, je ne suis pas plus avancée qu’avant d’ouvrir le roman d’Éric Vuillard. Les phrases sont alambiquées, inutilement longues. Le style est lourd. Le résultat est tout simplement décevant.

Conclusion

Je pense que vous l’aurez compris, mon avis concernant 14 juillet est plutôt tranché. Il m’est tombé des mains mais peut-être que vous trouverez à la lecture de cet ouvrage un texte riche et passionnant. N’hésitez pas à me donner votre avis. Qu’il soit positif ou négatif, je serai ravie de le connaître.

>>> Chronique de L’ordre du jour, lauréat du Prix Goncourt 2017, par ici !

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