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La passeuse, Michaël Prazan : sur les traces de son père, une enquête familiale troublante

Michaël Prazan, avec La passeuse, explore son histoire familiale et livre une enquête troublante. Il tente de lever le voile sur le flou qui entoure un évènement fort de la vie de son père. Un moment crucial où tout aurait pu basculer. En 1942, alors que les rafles se succèdent, alimentant la folie meurtrière nazie sans discontinuer, Bernard Prazan, alors âgé de sept ans, accompagné de sa sœur aînée, tous deux juifs et orphelins de père et de mère, sont conduits en zone libre par une mystérieuse Thérèse Léopold. Si le courage de cette femme force l’admiration, en revanche, le regard qu’aurait surpris le jeune Bernard ne cessera de le tourmenter toute sa vie durant. Sur le quai de la gare des Aubrais, à proximité d’Orléans, où le passage s’effectuait, Bernard surprend au vol un regard équivoque lancé par la jeune femme. Qu’a t-il perçu dans ce regard qui aurait pu insinuer un doute quant à ses intentions ? Avait-elle initialement prévu de les livrer aux allemands, avant de se raviser au dernier moment ? Collabo ou résistante ? Le doute persistera jusqu’au décès de Bernard Prazan. Le fils de celui-ci, à qui l’on doit cette enquête minutieusement menée, ne pouvant interroger son défunt père et ne souhaitant plus laisser en suspens ce doute qui plombe l’histoire familiale, part à la recherche de la passeuse. Il espère obtenir de cette rencontre des réponses claires afin de clore ce chapitre de l’histoire des Prazan. Malgré les apparences, le contexte si particulier de la période collaborationniste ne lui permettra pas d’établir une dichotomie aussi nette qu’il le souhaiterait, avec les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. La réalité s’avère bien plus complexe que prévue. Et c’est là que réside la force de cette enquête. L’ambiguïté demeure, chaque individu conserve ses parts d’ombre, offrant ainsi une réalité plus nuancée. Les évènements obligeront chacun à se déterminer. Seuls les faits, tant d’années après permettent de juger du comportement de chacun. Il n’existe pas UNE vérité officielle, mais bien une multitude de fragments qui mis bout à bout éclairent le déroulement des événements.

La part d’ombre présente en chacun de nous

Bon nombre d’enquêtes portant sur cette période existent, néanmoins la façon qu’à Michaël Prazan d’insister sur cette part d’ombre présente en chacun de nous est inédite. S’il est vrai qu’on a tous tendance à préférer que les bons et les mauvais soient clairement identifiés, l’histoire ne se prête pas à ce type d’exercice simplificateur. La passeuse est l’occasion d’aborder cette porosité entre les réseaux de résistants et ceux qui vont basculer dans la collaboration avec les allemands.

Contrairement aux idées reçues, les vrais salauds ne courent pas les rues. La période de l’Occupation a permis de les révéler. Et, dans la compagnie des salauds, Pierre Lussac était un champion.

Le cas de Pierre Lussac est emblématique de ce que l’histoire peut produire de pire. En effet, la traque des juifs par le régime de Vichy représentera une véritable aubaine pour lui. Conscient de l’avantage pécuniaire à tirer de la situation, il mettra au point un système bien rodé. D’un côté, il fera miroiter aux juifs le franchissement de la ligne de démarcation ainsi que l’entrée en zone libre, de l’autre, il les livrera aux allemands. D’une pierre deux coups, sans aucun scrupule, Pierre Lussac bénéficie de l’argent des juifs tout en se faisant bien voir de l’occupant. Thérèse Léopold fréquentera sous l’occupation Pierre Lussac et sa compagne. Dubitative face au train de vie fastueux du couple, elle s’interroge. C’est de cette manière douteuse, que la future passeuse croisera la route des enfants Prazan. Michaël Prazan, désireux de rétablir la vérité, va tenter de confronter les versions afin de faire émerger un semblant de cohérence. Thérèse Léopold paiera lourdement son acte de résistance. Dénoncée par Pierre Lussac, elle sera arrêtée, puis déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau pour avoir aidé les deux enfants. Elle en ressortira vivante et témoignera auprès de Michaël Prazan des années plus tard. Tout en prenant soin de ne pas laisser ses sentiments influencer son appréciation, l’auteur parvient à nous faire rentrer dans son intimité. Il évoque avec beaucoup de respect la relation houleuse avec un père qu’il n’a jamais réellement su appréhender. Il n’omet pas de souligner le caractère ombrageux de son père, le comportement irascible de sa tante, tous ces traits de caractère peu flatteurs qui composent la singularité de chacun.

Une enquête familiale passionnante

Le roman s’articule en trois parties. Bernard Prazan relate son vécu dans une première partie, tandis que dans la seconde la passeuse nous donne sa version des faits. La dernière partie est consacré à la période de l’après-guerre. Si j’ai trouvé la première partie un peu légère, la seconde m’a totalement convaincue. Le témoignage du père est un peu faible. Cela s’explique certainement par les réticences que Bernard Prazan a à se confier. Ce qui a pour effet de freiner la narration, on reste un peu sur sa faim. Il faut attendre le témoignage de la passeuse, pour que le rythme s’accélère. Les questions restées jusqu’alors en suspens trouvent enfin des réponses. La brume entourant les évènements s’évapore. Les pièces du puzzle s’assemblent au gré de la collecte des nouveaux éléments. L’historien Michaël Prazan fouille scrupuleusement son passé pour rétablir la vérité soixante-quinze ans après les faits. Chaque détail retient son attention et sera minutieusement étudié. L’auteur a le sens du suspens, puisque celui-ci perdure jusqu’à la toute fin de l’enquête.

Conclusion

Au-delà du travail colossal que cette enquête a du nécessiter, j’espère que la rédaction de ce roman aura eu des vertus cathartiques pour son auteur. Que Michaël Prazan, en remontant le passé, a trouvé les réponses qu’il cherchait et a pu se réconcilier avec sa mémoire familiale. La passeuse offre une vision plus nuancée de cette période sombre de l’histoire de France. Une version, peut-être, plus humanisée.

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L’affaire Mayerling, Bernard Quiriny : rentrée littéraire d’hiver 2018 (#RL2018)

Aujourd’hui, j’ai décidé de vous parler d’une lecture réjouissante plus légère que les précédentes, L’affaire Mayerling. Celle-ci va de pair avec le beau ciel bleu et le printemps qui approche à grands pas (ou pas d’ailleurs 😉 ). Bernard Quiriny nous livre un ouvrage à mi-chemin entre la fable satirique et le récit humoristique. Cette chronique ironique de la vie urbaine est portée par le ton caustique de l’auteur, qui prend un malin plaisir à pointer du doigt les travers de l’urbanisme contemporain. C’est qu’au Mayerling, la vie en cohabitation n’est pas de tout repos. Si vivre en ville suppose d’accepter une certaine promiscuité, il s’avère qu’au Mayerling cette proximité non désirée ne va pas tarder à devenir un véritable calvaire. Les relations entre voisins vont rapidement virer à l’aigre. Mais que se passe-t-il dans cet immeuble entièrement neuf pour que ses occupants en viennent à de telles extrémités ? La folie semble s’être emparée des habitants, qui comme maraboutés, présentent des symptômes pour le moins préoccupants. Les couples saisissent le moindre prétexte pour s’entretuer. D’autres, affligés que leurs sanitaires se soient mués en fosse septique commune pour tout l’immeuble sont au bord de la crise de nerf. Il s’en faut de peu pour qu’un voisin un peu trop porté sur la techno et le rap de bon matin ne finissent dépecé et préalablement massacré à coups de marteau. Avant que la situation ne tourne au pugilat général, les habitants prennent conscience de l’aura maléfique dont est doté l’immeuble. Une femme pieuse d’un certain âge se transforme en une dangereuse nymphomane. Un enfant tente d’égorger sa maman. Quand d’autres échappent d’un cheveu aux pièges tendus par l’immeuble, bien décidé à pourrir la vie de ses locataires. Poutres en pleine tête, portes condamnées, effondrement de la cloison… Dès lors, nul ne peut mettre en doute les intentions meurtrières du Mayerling à l’égard de ses occupants. Ni une, ni deux, les habitants décident de prendre les choses en main. Et ça va secouer !

Une critique acerbe de l’urbanisme moderne

L’affaire Mayerling est à la fois drôle et piquant, léger et grinçant, sous ses airs de fable fantastique, se cache une vive critique de la manière avec laquelle architectes et urbanistes façonnent nos villes. Ou plutôt à en croire Bernard Quiriny dénaturent le paysage. L’auteur utilise l’humour pour faire passer un message très simple, si les villes attirent de plus en plus, nous finirons par vivre entassés comme des sardines dans une boîte de conserve. Ou bien, nous périrons engloutis sous des tonnes de béton. Les deux options, vous en conviendrez, ne semblent pas particulièrement enviables. L’affaire Mayerling fait état de cette situation inextricable dans laquelle nous nous trouvons. Trop de gens, pas assez de place, des constructions à la va-vite, qui sous l’appellation « haut standing » cachent une réalité souvent bien moins reluisante. Le ton est léger, drôle, pétillant, on se prend à attendre le prochain tour joué par la résidence aux locataires. Vont-ils finir par périr sous les gravats ? Se jeter par la fenêtre ? Se tuer à coups de clé à molette ? La lecture du roman vous le dira, je ne compte pas vous dévoiler toute l’intrigue et mettre à mal le suspense.

Conclusion

L’affaire Mayerling est ce que j’appelle une lecture de plage. Mettez-vous en situation, un transat, le soleil qui tape, une citronnade à la main, le clapotis des vagues qui vous berce, et pour couronner le tout, vous savourez un roman désopilant. Ça y est, vous y êtes ?

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Le chagrin des vivants, Anna Hope : le poids du passé

Anna Hope signe un premier roman époustouflant. Elle ausculte à travers des portraits de femmes, la difficulté pour les survivants de continuer à avancer malgré le poids du passé. La construction subtile du roman fait s’entrecroiser trois femmes, Ada, Evelyn et Hettie, dont les destins sont intimement liés. Au cours des cinq jours qui précèdent la commémoration de l’Armistice, le 11 novembre 1920, et l’inhumation du soldat inconnu – censé cristalliser la douleur de ceux qui vivent dans l’ignorance de ce que sont devenus les êtres aimés, on suit le quotidien de ces trois femmes. Ada, la plus âgée, peine à se remettre de la disparition de son fils. Tenue à l’écart par l’administration militaire, aucune information quant au lieu de la sépulture de son fils, ni des causes l’ayant conduit dans la tombe, ne lui ont été communiquées. Vivre dans l’ignorance ne cesse de raviver la douleur de la perte. Hettie, la plus jeune, manifeste une soif de liberté. Sa jeunesse, elle n’entend pas la vivre claquemurée au côté d’une mère acariâtre et d’un frère devenu neurasthénique. Choc post-traumatique. Danseuse le soir au Hammersmith Palais, une rencontre inopinée lui permettra d’exprimer sa vitalité trop longtemps réprimée. Hettie incarne le besoin vital de toute une jeunesse alourdie par le poids des morts, mais surtout des survivants qui ne cessent de se rappeler à leurs yeux, pareils à des fantômes faisant planer le spectre de la guerre. Evelyn, quant à elle, se refuse à vivre une vie oisive et fait le choix de se confronter à l’aigreur et au ressentiment des rescapés. Si désormais elle occupe un poste au sein du bureau des pensions, la guerre elle l’a expérimentée. Ancienne employée dans une usine de munitions, elle y a laissé un doigt, et son fiancé. L’auteure parvient avec une maîtrise folle à retranscrire les sentiments contradictoires qui tiraillent les personnages. Entre douleur, rancoeur, remords et culpabilité. Anna Hope a depuis confirmé son talent avec son second roman, La salle de bal (chronique ici ;)). Elle est désormais de ces auteurs dont l’annonce d’un prochain roman tient lieu de promesse d’un moment hors du temps.

Un premier roman époustouflant

Dès les premières pages, le lecteur est happé par la plume extrêmement fluide de l’auteure. Celle-ci vous enveloppe pour ne plus vous lâcher, et ce jusqu’à la toute fin du roman. C’est étonnant l’aisance avec laquelle Anna Hope tisse son intrigue, la faculté qu’elle a de jongler entre les préparations de la commémoration et le destin de ces trois femmes, liées par des liens invisibles. La construction narrative est habile. Les liens entre les personnages sont subtilement dessinés. Ce qui lie chacune de ces femmes entre elles se dévoile au fil des pages, sans que le lecteur ne l’ait initialement auguré. Tout est savamment dosé. Le chagrin des vivants est porté par une écriture délicate. Le chagrin des vivants est un véritable page turner. Une fois entamé, impossible de le lâcher !

Trois femmes, trois manières distinctes d’exprimer la douleur face à la perte d’un être cher

La richesse du récit provient du choix de l’auteure de structurer la narration à la manière d’un roman choral. Ada, Evelyn et Hettie appartiennent à des générations différentes. L’une est mariée depuis vingt-cinq ans, a été mère et a perdu son fils sur le champ de bataille. La douleur vécue est donc celle d’une mère pour son fils disparu. En miroir, face à cette douleur il y a celle de son mari, qui a non seulement perdu un fils mais également sa femme. Cette dernière ne parvient pas à se faire à l’idée que son fils ne reviendra pas. Sa présence la hante au quotidien. Présence parfois réconfortante, mais surtout terriblement oppressante. De l’autre côté, Evelyn est l’objet de moqueries de la part de sa famille. Elle, qui aurait du être mariée et vivre dans l’oisiveté, se retrouve à côtoyer des mutilés de guerre. On l’accuse d’être aigrie, d’être une vieille fille. Mais que doit-elle faire quand le souvenir de son ex-fiancé ne cesse de la hanter ? Quand pour le retrouver, il ne lui reste plus que ces hommes blessés à aider ? Sauf qu’un jour, un homme vient troubler ce quotidien morne. Il se présente à son bureau et lui demande de l’aider à retrouver un ancien officier. Peu à peu, Elle prend conscience que cet homme est le dépositaire d’un terrible secret. L’affaire implique une personne de sa famille. Elle découvre une facette de la personnalité d’un proche qui lui a été jusqu’alors dissimulée. La guerre étant certainement le catalyseur propice aux dérapages de ce type, créant ainsi un décalage impossible à résorber une fois le retour à la vie réelle réalisé. Mais la réalité c’est que confronté au mutisme général, chacun se contente d’avancer sans rien évoquer du passé. La vérité une fois dévoilée lui laissera un goût amer. La petite dernière, Hettie, tout comme Evelyn est le reflet de son époque. Elle incarne la femme moderne. Ces libertés nouvellement acquises, tel que le droit à l’autonomie financière marque un bouleversement des codes pour l’époque. Ce sont les prémices d’une redéfinition des rapports hommes femmes qui s’annoncent. La Première Guerre mondiale fut l’occasion pour les femmes de travailler pendant que les hommes partaient combattre au front. Ainsi, Hettie est celle qui fait vivre le foyer. Son travail devient le moyen de s’évader loin d’une famille comme figée dans le temps. Pétrifiés par la guerre, telles des statues de sel, son frère et sa mère, sont bloqués dans le passé, incapables de se réveiller. À travers ces trois portraits de femmes, Anna Hope évoque une époque tiraillée entre son passé impossible à occulter, le poids de la culpabilité et la nécessité d’aller de l’avant. Parmi ces rescapés, il y a ceux qui arpentent les rues une pancarte autour du cou condamnés à faire l’aumône, ceux ayant perdu l’usage d’un membre mais pas suffisamment blessés pour espérer être indemnisés. Ce sont des hommes humiliés et brisés qu’Anna Hope décrit. Face à eux, les femmes apprennent à composer. Il leur faut dès lors, faire preuve de subtilité psychologique pour entrevoir à travers les silences des hommes ce qu’ils tentent de communiquer. Anna Hope excelle dans l’art de faire émerger ce qui est tu, de donner la parole à ces silences porteurs de sens.

Conclusion

Traduit de l’anglais, Le chagrin des vivants atteste du talent de son auteure à brosser des portraits minutieusement composés, ainsi qu’à aborder sous un angle nouveau un pan de notre histoire. Il suffit de se laisser porter par les mots de l’auteure, en quelques pages elle parvient à nous transporter il y un siècle en plein cœur de Londres auprès d’Ada, Evelyn et Hettie. On assiste avec émotion à l’inhumation du soldat inconnu à Westminster Abbey. Anna Hope signe un roman d’une grande beauté !

>>> Chronique du seconde roman de l’auteur, par ici !

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Fief, David Lopez : rentrée littéraire 2017 (#RL2017)

Attention !!! Vous avez entre les mains une grenade dégoupillée, une petite bombe littéraire ! Fief est LA révélation de la rentrée littéraire 2017. David Lopez reprend les codes de la rue pour coller au plus près à la réalité des jeunes des quartiers. Un roman déroutant, terriblement puissant ! Il s’exprime dans une langue crue, en évitant l’écueil de la vulgarité, se dispense de préliminaires inutiles et va droit à l’essentiel. Fief tape là où ça fait mal. L’auteur réalise un véritable tour de force. Pour un premier essai, c’est un coup de maître. Sortie de ma zone de confort, j’ai été sidérée par la façon avec laquelle l’auteur pulvérise les carcans de la littérature, habituellement plus conformiste. On suit Jonas, dont l’activité principale consiste à tromper l’ennui, la vacuité d’une existence passée à fumer des joints entre potes et tirer des plans sur la comète. Leur fief, c’est leur façon de s’exprimer. Ils remanient la langue pour mieux se l’approprier. Une façon de refuser de se conformer, d’affirmer leur singularité, leur identité et leur droit à transgresser. L’écriture de l’auteur est nerveuse. Les mots fusent, l’énergie est palpable, l’agressivité à fleur de mots. On est constamment sur le qui-vive, prêt à esquiver les conséquences d’une remarque mal interprétée. Cette rage sourde tapie en chacun d’eux se tient prête à exploser. Coincés entre la banlieue et la campagne, ils ressassent à longueur de journée la même litanie. C’est un roman à deux vitesses. La fougue de la jeunesse est bridée par le manque de perspectives qui s’offrent à eux. Cette prise de conscience laisse peu à peu la place à l’indolence. David Lopez utilise les mots justes pour évoquer ce fatalisme latent. Cette désillusion précoce. La chute inéluctable qui les guette. À la fois percutant, mais également touchant, Fief est le constat amer de cette désillusion. Pour éviter d’avoir à se confronter à la réalité, chacun se berce d’illusions, de rêves d’évasion. Ils se lancent à la poursuite de chimères, espérant ainsi déjouer les pronostics. À constamment fuir la réalité, elle finit par les rattraper. Au risque de leur exploser en pleine gueule.

Une temporalité figée

Ce qui est terrible dans Fief, c’est cette impression de voir Jonas et sa bande faire du sur-place. Ils répètent inlassablement les mêmes actions sans pour autant aspirer à un quelconque changement. Cet immobilisme est la conséquence de leurs choix, ou plutôt justement de leur incapacité à en faire. Puisque chaque infime variation pourrait modifier leurs habitudes, ils s’attellent à ne jamais rien faire évoluer. L’adage on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne leur sied comme un gant. C’est cette peur du risque qui les pétrifie. Comme bloqués dans des sables mouvants, chaque mouvement les rapprochant un peu plus du fond, ils préfèrent vivre bercés d’illusions plutôt que de fournir un effort qui pourrait les en libérer. Néanmoins, David Lopez ne formule pas de jugement à leur égard. Au contraire, il porte un regard compréhensif sur eux. On y décèle même une profonde tendresse. Car finalement, qu’est-ce-qui s’offre à eux ? Jonas pourrait devenir boxeur professionnel. Il en a l’étoffe, quoiqu’il faudrait encore qu’il s’en donne les moyens. Le souci, c’est qu’ils manquent tous de confiance en eux. Leur agressivité vient de là. En somme, ce n’est qu’une forme de protection, ce qu’ils leur restent puisqu’ils ont l’impression de n’être que peu de choses. David Lopez met à jour ce cercle vicieux, ce serpent qui se mord la queue. La violence se nourrit de ce sentiment d’infériorité, d’être constamment rejeté, de n’être à sa place nulle part, pour finir par en devenir la cause même.

Un premier roman fulgurant

J’ai rarement lu un premier roman aussi réussi. L’auteur maîtrise son sujet de bout en bout. Et pourtant, ce n’était pas gagné. Fief réunissait sur le papier tous les ingrédients qui pouvaient me rebuter. Des jeunes de quartiers constamment défoncés, un brin désabusés, évoluant dans un patelin paumé. Bref, tout ce que j’aime. 😉 Et là, BAM !! La magie opère, les astres s’alignent. Je suis subjuguée par la plume de l’auteur, emportée par la vie de cette bande de quartier. David Lopez est un sorcier. Dans son roman tout est savamment dosé. La plume est fine, incisive. Les mots claquent. Une énergie folle se dégage de Fief. Ce qui pourtant peut sembler paradoxale, puisque le sujet du roman est justement cet ennui que Jonas tente d’endiguer. Alors, ils se créent des subterfuges destinés à occuper leurs journées. On fume, on joue aux cartes, on s’embrouille, bref on meuble le temps comme on peut. Et c’est là tout le talent de l’auteur. Le lecteur, lui ne s’ennuie jamais. Au contraire, on décèle derrière les tempéraments nerveux, une fragilité touchante. Les carapaces se fissurent. Il finit par en émerger une certaine candeur. Mais encore faut-il se donner la peine de la chercher. Au moindre mouvement elle se carapate, elle ne se donne pas à voir si facilement. Il est rare de tomber sur une scène de sexe réussie en littérature. Trop mièvre, peu vraisemblable, nunuche ou carrément porno, en général le lecteur est le témoin gêné d’une scène qui ne colle pas du tout à la réalité. David Lopez prouve qu’il est possible de faire surgir des mots, des émotions, de rendre palpable le désir de ceux qui la vivent. Sincèrement, je suis bluffée par le talent de l’auteur. Tout simplement, bravo !

Conclusion

Passer à côté de ce roman aurait été une grosse erreur, et pourtant j’étais plus que récalcitrante. À mon avis, c’est un roman clivant, soit on adore, soit on déteste. Je vous laisse le découvrir et choisir votre camp. 😉 N’hésitez pas à me dire en commentaires, si vous l’avez lu, ce que vous en avez pensé. Je serais curieuse d’avoir vos avis.

>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)

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Le chœur des femmes, Martin Winckler : #HappyValentines

Voici un roman qui tombe à pic ! En ce 14 février – jour de la Saint-Valentin – j’ai choisi de vous parler de mon dernier (très) gros coup de cœur littéraire, Le chœur des femmes signé Martin Winckler. Je profite de ce jour, où l’amour est à l’honneur, pour évoquer ce processus lent, qui au vu des récents événements a connu une nette accélération : la libération de la parole dans l’espace publique. À base de hashtags bien sentis, devenus les leitmotivs de cette lutte anti-machiste, type #BalanceTonPorc et #MeToo – pour le meilleur, comme pour le pire – les femmes ont enfin osé exprimer ce qui a toujours été su mais trop longtemps tu. Publié en 2011, Le chœur des femmes, à travers le prisme de l’environnement hospitalier abordait déjà tous ces sujets au cœur de notre actualité. Jean Atwood, jeune interne surdouée, major de sa promo, se voit dans l’obligation de réaliser un stage de six mois dans le service du docteur Karma. Il faut dire que ce service consacré à la « Médecine de La Femme », n’est pas exactement ce à quoi elle aspirait. Très peu pour elle les discussions de gonzesses, les « ma pilule ne me convient pas » et autres réjouissances du même acabit. Mais au contact de ces femmes, elle devra faire face à une toute autre réalité et reléguer ses préjugés au placard. Mis bout à bout, les témoignages recueillis composent une mosaïque porteuse d’un éclairage nouveau quant à la perception du corps féminin. L’auteur aborde sans tabou et avec une grande finesse la question de l’identité sexuelle, les constructions culturelles liées au genre, le désir féminin mais également le sujet épineux des maltraitances médicales, la nécessité de se masculiniser pour espérer exercer des postes à responsabilités… Martin Winckler dresse un portrait au vitriol des hôpitaux, ces institutions où le patriarcat est profondément ancré, où l’humour graveleux des carabins est toléré, les remarques sexistes et les comportements misogynes une réalité. C’est un roman porteur d’un message fort, à lire d’urgence, si ce n’est pas déjà fait !

La question de l’identité

Dès les premières pages, l’auteur joue sur l’ambiguïté. Ambiguïté sur le genre, le prénom Jean étant mixte, il peut tout aussi bien être porté par une femme que par un homme. L’ambiguïté au sein des rapports humains : rapports de forces, amitié, relations de pouvoir, domination, altérité, réciprocité… L’ambiguïté quant à notre identité sexuelle.Le chœur des femmes à travers le duo de soignants, particulièrement attachant, Karma/Jean interroge le principe même de féminité. Qu’est-ce qui nous définit comme étant femme ? Est-ce une question de chromosomes ou de ressenti ? Cela relève-t-il du médical ou du psychologique ? Martin Winckler brise les tabous mais n’entend pas pour entend apporter des réponses précises là où il n’en existe pas. À travers son travail de collecte des témoignages de femmes, le docteur Karma met le lecteur face à une multitudes d’interrogations et de situations. Le personnage incarné par Jean est emblématique de ce brouillage des genres. Sans aucun jugement de valeur, le propos tenu par l’auteur nous incline à plus de tolérance, au respect de l’autre et à accepter de ne pas tout maîtriser.

L’enfer au cœur du milieu hospitalier

Dans Le chœur des femmes, le milieu hospitalier en prend pour son grade. Martin Wrinckler évoque les techniques ancestrales pratiquées en milieu médicale, qui à défaut de soulager les patientes, les placent en position de vulnérabilité vis-à-vis du personnel soignant. Il apparaît que nombre de médecins semblent enclins à émettre des jugements d’ordre moral au cours des consultations. Jugements qui au demeurant ne relèvent absolument pas de leur domaine de compétence. Ce roman est d’autant plus d’actualité, qu’il y a peu les violences obstétricales et gynécologiques ont fait l’objet d’un véritable tollé général visant à les pointer du doigt. De nombreuses femmes aujourd’hui souffrent de ces médecins dont les métiers les placent au plus proche de leur intimité. Certaines d’entre elles se retrouvent démunies face à des hommes qui ont la fâcheuse tendance à se prendre pour des demi-dieux. Si certaines pratiques sont sues, elles ne font que trop peu souvent l’objet de poursuites. Pourquoi ? Honte du patient, respect de la sacro-sainte confraternité, les raisons sont multiples. Le milieu hospitalier est un microcosme, et comme tout microcosme, il est régi par des règles tacites, qui sont pour la plupart archaïques. L’une d’entre elles étant la loi du silence. Ainsi, certains médecins s’insurgent face à la féminisation de la profession. Il ne faudrait pas que ces petites pisseuses aient l’outrecuidance d’imaginer pouvoir faire aussi bien que les mecs, alors qu’à tout moment elles peuvent vous pondre un chiard. Non mais ! Charmant, je vous dis. Martin Winckler entreprend de replacer le patient au cœur du processus médical. Il propose une refonte du code déontologique plus en adéquation avec les avancées actuelles. Si les propos tenus par l’auteur – lui-même membre du corps médical – n’ont certainement pas du rencontrer l’adhésion de toute la profession, sa parole libère et fait du bien !

Conclusion

Le chœur des femmes est un livre dont on ressort grandi, l’esprit en éveil. Martin Winckler signe un roman qui épouse toutes les facettes de la femme. Dénué de pathos, cet ouvrage d’une richesse thématique inouïe est à mettre entre toutes les mains.

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L’infinie patience des oiseaux, David Malouf : rentrée littéraire d’hiver 2018 (#RL2018)

Traduit que récemment, L’infinie patience des oiseaux a en réalité été écrit il y a près de quarante ans par l’un des plus grands écrivains australiens contemporains. Sous la forme d’un conte initiatique, David Malouf livre une réflexion féroce sur l’absurdité de ce que fut la Grande Guerre. Une boucherie humaine à ciel ouvert, ni plus, ni moins. Le temps occupe une place prépondérante dans le roman. Le temps d’avant, celui de l’insouciance, ce temps révolu qui n’existera plus. Le temps présent, celui d’une guerre vaine, d’une boucherie humaine. Et puis, comme un événement hors du temps, la découverte tout près des tranchées ennemies d’un fossile de mammouth. L’occasion d’une mise en perspective, d’un arrêt sur image, d’une prise de conscience de l’absurdité de la situation. Le sentiment d’appartenir à une même humanité, d’être le fruit d’une histoire commune. Puis l’injonction à tuer, à laquelle nul ne peut se soustraire. Alors, survient le sentiment d’être l’acteur de sa propre extinction. Puis celle d’être un pion, substituable et non indispensable, une denrée périssable, de la chair à canon. Tout l’ouvrage est construit sur une succession d’oppositions. L’immuabilité des mouvements migratoires auxquels se plient les oiseaux au fil des saisons, illustrant la permanence de la nature, tranche avec la mise en branle d’une machine à tuer. Leur silence offre un contraste saisissant avec la cacophonie des hommes. La coexistence simultanée de ces deux réalités verticalement opposées ne fait qu’attester de la folie des hommes, leur propension naturelle à s’entre-tuer. Et une fois terminé, à tout recommencer. C’est ce mouvement perpétuel, cette constance avec laquelle l’homme reproduit des schémas déjà expérimentés, que David Malouf décrit dans ce récit. Si le texte se clôt sur une note d’espoir, la perspective d’un renouveau, il émane de ce roman une réalité fataliste. L’homme semble enclin à reproduire inlassablement les mêmes erreurs. Doté d’un tempérament belliqueux, il est aveuglé par sa rage et devient incapable de prendre du recul, de mettre en perspective les événements. Cette caractéristique semble inhérente à l’homme, inscrite dans ses gênes.

Une forme hybride : entre le roman et la nouvelle

L’infinie patience des oiseaux tient plus de la nouvelle que du roman. Il n’y pas à proprement parler d’intrigue qui tient le lecteur en haleine. Ce dernier suit le parcours de Jim. Le passage d’une vie préservée en Australie, consacrée à l’observation des oiseaux, en fin ornithologue qu’il est, à la réalité abrupte de la guerre. La vie des tranchées, l’air putride plein des exhalaisons des corps en charpie. Jim devra apprendre à composer avec un environnement mortifère où sa vie est en jeu à chaque instant. Néanmoins, certains éléments narratifs m’ont laissée dubitative. Par exemple, Ashley présent au début du roman est inexistant par la suite. Pourtant, il aurait pu être intéressant de découvrir une autre vision de la guerre puisque la classe sociale à laquelle appartient Ashley lui confère un statut privilégié au sein du régiment. Il n’est pas simple soldat comme son ami, mais officier. De même, nulle trace d’Imogen, la photographe qui partage la passion des deux hommes. Le récit se concentre sur Jim et les deux autres personnages sont largement éclipsés. Il ne me semblait donc pas nécessaire de les introduire au début du roman pour ensuite ne pas les exploiter. Jim est le témoin de la fin d’une époque. Il n’a pas d’intérêt propre dans la narration. David Malouf le cantonne à son rôle d’observateur. Le seul bémol de cet ouvrage, à mon sens, est le fait que les personnages manquent de matière. Je ne me suis pas attachée à eux.

De l’absurdité de la guerre

L’infinie patience des oiseaux est une critique acerbe de la Première Guerre mondiale. David Malouf y dénonce cette apologie de la violence savamment orchestrée par les états. Jim ne sait pas ce qu’il compte faire de sa vie lorsqu’il fait la rencontre d’Ashley Crowther. De retour au pays natal, ce dernier vient de terminer ses études sur le continent. Il s’installe à Queensland pour administrer la propriété léguée par son père. Les deux hommes vont très vite se découvrir un point commun. Leur amour des oiseaux les conduira à imaginer un projet d’envergure. La création d’un sanctuaire consacré aux oiseaux migrateurs. Ce projet aura à peine le temps de voir le jour que déjà la guerre éclate, projetant les deux hommes au cœur d’une guerre qui n’est pas la leur, à des milliers de kilomètres de chez eux. Jim découvrira l’horreur de la guerre. Les conditions de vie insoutenables dans les tranchées, la puanteur, les rats, les corps surgissant d’entre les murs de boue. La guerre grignotera chaque élément susceptible de le raccrocher à la vie, supprimera le plus infime espoir de revoir son pays, ses oiseaux. C’est cette désillusion, cette lente descente aux enfers, qui est contée ici. David Malouf raconte avec une infinie poésie le parcours initiatique du jeune homme, ses rêves avortés. Les descriptions sont frappantes, pour peu on aurait l’impression d’y être. Malgré le sujet abordé, l’écriture de l’auteur est délicate. Il décrit avec finesse le sentiment de claustrophobie, l’angoisse de se retrouver coincé dans une situation inextricable que l’on n’a pas provoquée. Ce sentiment d’impuissance qui conduit au fatalisme inévitablement. L’épisode du fossile est fulgurant. En peu de mots, David Malouf parvient à saisir l’essentiel. L’inutilité d’une guerre qui fera des millions de morts en vain.

Conclusion

L’infinie patience des oiseaux est le premier ouvrage de David Malouf que je lis. Malgré quelques réserves, je suis plutôt conquise par le style de l’auteur. Il signe un récit initiatique touchant, un appel au respect de la condition humaine.

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La belle n’a pas sommeil, Éric Holder : rentrée littéraire d’hiver 2018 (#RL2018)

Éric Holder signe, avec La belle n’a pas sommeil, un roman délicat, intimiste, au charme suranné. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tenais à souligner la beauté de la photo en couverture. Rien que pour ça, je ne pouvais passer à côté. Le promeneur téméraire, après s’être aventuré par des chemins escarpés, découvrira à la lisière de la forêt, reculée, cachée par la végétation luxuriante de la presqu’île, une habitation surprenante. Antoine vit reclus dans cet espace confiné, qui, accessoirement lui sert également de gagne pain. En effet, c’est dans ce lieu insolite, coupé du monde, qu’il a décidé d’installer sa bouquinerie. Située aux confins de la presqu’île, seuls les initiés connaissent son existence. Faisant fi des questions pécuniaires, Antoine ne peut compter que sur le bouche à oreille pour attirer la clientèle. Un brin échaudé, il s’est résigné à mener une vie de célibataire endurci. Cet amoureux des livres semble se complaire dans cette vie d’ermite, cette solitude qu’il s’efforce de protéger. Cependant, l’arrivé d’une jeune femme va tout bouleverser, le temps d’un été. Antoine et Lorraine offrent un contraste saisissant. À première vue, ils forment un couple mal assorti. Aventureuse, passionnée et pétillante, elle rêve de voyages quand lui reste attaché au passé. En peu de temps, elle saura insuffler un élan nouveau dans la vie d’Antoine, éveiller ce qui sommeillait en lui depuis des années. À son contact, il s’animera. La belle n’a pas sommeil est une histoire d’amour décalée, une romance à l’échéance programmée, à la fois poétique et enchantée. Éric Holder nous offre un récit touchant, porté par un personnage désuet aux manières d’un autre temps. Il émane de ce roman quelque chose de précieux, de rare. S’y plonger c’est se déconnecter de la réalité, se couper du reste du monde. La belle n’a pas sommeil se lit en apnée.

Un roman au charme suranné

Ce qui frappe à la lecture de La belle n’a pas sommeil, c’est l’extrême délicatesse du roman. On ressort de cette lecture comme engourdie. Ce n’est pas impunément que l’auteur a choisi la profession du personnage féminin. Lorraine est conteuse. Son métier consiste à envoûter un public, à le bercer au son de sa voix, pour le transporter dans des contrées lointaines. À la manière de son personnage, Éric Holder captive le lecteur. Il nous fait aller à la rencontre de ses personnages. Des personnages peu ordinaires, qui mènent une existence en marge de la société. Reclus entouré de livres, conteuse nomade ou parisien en fuite, à la recherche de nouveaux repères. Tous ont cette particularité de trancher avec la normalité. Épris de liberté, ils forment tout de même une petite communauté, prêts à s’entre-aider. Les histoires se nouent et se dénouent avec naturel. Chez Éric Holder, nul rapport de force, on se comprend à demi-mot. Il est rare de tomber sur un livre, comme celui-ci, qui vous propulse immédiatement hors du temps.

Une bouffée d’air frais

Se plonger dans le roman d’Éric Holder procure une sensation vivifiante semblable à un grand bol d’air frais. Les sorties littéraires récentes, sont placées sous le signe de la noirceur, alternant entre la seconde guerre mondiale, le nazisme, l’autofiction, l’exofiction, la bio romancée, la vengeance, la maltraitance, les histoires plus tordues les unes que les autres… Bref, que des sujets particulièrement joyeux, à même de nous offrir un moment de répit dans une actualité déjà mouvementée. Ici, rien de tout cela. Et c’est tant mieux ! Éric Holder place l’humain au centre de son roman. Il décrit avec beaucoup de justesse les relations ente chaque personnage, nous faisant pénétrer leur intimité, sans jamais trop en montrer. Il signe un récit tout en retenue.

Conclusion

Ce roman, noyé parmi les nouveautés de la rentrée littéraire, a peu été relayé par la presse et le public. Et c’est bien dommage, car il vaut le détour. Il offre une parenthèse délicate et se distingue, par sa qualité notamment, de beaucoup d’autres ouvrages encensés… Je vous le conseille vivement, si vous êtes à la recherche d’un roman hors du temps. Installez-vous confortablement, préparez-vous une boisson chaude (ou un verre de vin, ça marche aussi 😉 ) et laissez-vous transporter par les mots d’Éric Holder. Dépaysement garanti !

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Pactum salis, Olivier Bourdeaut : rentrée littéraire d’hiver 2018 (#RL2018)

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Olivier Bourdeaut était attendu au tournant avec ce second roman. Il est délicat pour un auteur qui a connu un succès retentissant avec son premier roman – En attendant Bojangles – de satisfaire les exigences de ses lecteurs. Dans le cas d’Olivier Bourdeaut, cette pression s’est traduite par un excès de zèle. À la lecture de Pactum salis, j’ai observé un phénomène singulier, le style de l’auteur s’est modifié. En attendant Bojangles était porté par une plume déliée, qui permettait à l’auteur de sublimer le tragique d’une situation familiale chaotique, tout en conférant au récit une dimension extrêmement touchante. Les scènes n’étaient que plus poignantes du fait même de cette concision stylistique. Pactum salis est le miroir inverse d’En attendant Bojangles. Olivier Bourdeaut déploie la panoplie de l’écrivain modèle, accumulant les effets de style. Le lecteur assiste à une surenchère du mot bien tourné et de la phrase qui claque. Ce n’est pas péjoratif, puisque j’ai apprécié la lecture de ce roman, mais je déplore le manque de fluidité de l’œuvre. Le roman semble fabriqué, un brin artificiel. Il pêche par manque de naturel et de vraisemblance. La langue est plus lourde que le précédent, trop recherchée. Un décalage s’installe au fil des pages entre la plume de l’auteur et le sujet traité. Les deux romans offrent un contraste saisissant. Toutefois, une distinction entre le fond et la forme s’impose. L’histoire en elle-même s’avère plutôt réussie. Olivier Bourdeaut imagine une histoire d’amitié entre deux hommes aux antipodes l’un de l’autre. L’un, ayant fui la capitale pour devenir paludier dans les marées salants de Guérande. L’autre, agent immobilier fortuné un peu paumé. La rencontre improbable entre les deux hommes se mue en une sincère amitié totalement barrée.

Où est passée la plume d’Olivier Bourdeaut ?

Olivier Bourdeaut nous avez émerveillés avec En attendant Bojangles. Il avez alors imaginé une famille dansant sur le rythme endiablé de « Mr. Bojangles » interprété par Nina Simone. Un petit garçon et un mari prêts à tous les sacrifices pour répondre aux caprices d’une femme atteinte de folie. L’auteur jouait avec les sonorités, livrant un roman musical. Olivier Bourdeaut nous avait offert un conte à la fois tragique et poétique. Émotion garantie ! Ce qui lui avait valu de rafler un certain nombre de prix. Avec Pactum salis, l’auteur signe son grand retour. Hélas ! Je ne peux pas vraiment dire que l’engouement soit au rendez-vous. Comme je l’ai indiqué plus haut, l’auteur a opéré un virage à 180 degrés d’un point de vue stylistique. En ce qui me concerne, c’est une légère déconvenue. Autant En attendant Bojangles était pétillant, autant Pactum salis s’avère un brin pesant. Les dialogues sont l’occasion pour l’auteur de réaliser un exercice de style, tirés au cordeau, ils en deviennent caricaturaux. On assiste à des joutes verbales peu plausibles dans la réalité. Le grotesque atteint son paroxysme avec le personnage d’Henri. Ancien ami de Jean et ivrogne notoire, soit disant passant, Henri est un personnage tout droit sorti d’un Tex Avery. Leur amitié se soldera par un combat au fleuret en conclusion d’un diner bien arrosé…

Un roman qui s’annonçait prometteur…

Je déplore d’autant plus ce revirement stylistique que tous les ingrédients étaient réunis pour faire de ce second roman un pur moment de plaisir. Le décor des marais salants de Guérande est propice au dépaysement. N’ayant jamais lu d’ouvrages à ce sujet, j’étais ravie de découvrir le quotidien des paludiers. J’ai trouvé le personnage de Jean plutôt réussi. Le jeune homme qui décide de quitter Paris pour se lancer dans un métier manuel en lien avec le milieu naturel est une idée intéressante qui aurait pu être davantage développée. La façon qu’on les deux hommes de se chercher prête à sourire. Tous les opposants, chacun fait preuve d’une certaine maladresse. Je m’attendais à découvrir un roman sur l’amitié masculine, malheureusement celle-ci est traitée en superficialité.

Conclusion

Si vous n’avez encore jamais lu Olivier Bourdeaut, je vous conseille de vous précipiter sur son premier roman ! Toutefois, et cela n’engage que moi, vous pouvez faire l’impasse sur celui-ci 🙁 J’espère que le prochain sera l’occasion de renouer avec le style de son premier.

>>> Chronique du premier roman d’Olivier Bourdeaut, par ici !

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Gazoline Tango, Franck Balandier : une satire décapante de la vie de banlieue

Quelle jolie découverte que ce roman de Franck Balandier ! L’auteur signe un ouvrage à mi-chemin entre le roman d’apprentissage et la satire sociale. Il rédige les chroniques de la vie d’un quartier, ou plutôt d’une cité. Benjamin Granger, enfant non-désiré naît dans les années 1980. Fruit des amours éphémères entre la batteuse d’un groupe punk et d’un admirateur d’une nuit, évaporé au petit matin. Il n’y a pas à dire, la venue au monde de Benjamin ne s’est pas réalisée sous des auspices favorables. Faute de voir les fées se pencher au dessus de son berceau, et comme si cela ne suffisait pas, le destin – au sens de l’humour contestable – lui joue un tour cruel. Très tôt l’on décèle chez Benjamin une hypersensibilité de l’ouïe. Le diagnostic tombe, Benjamin souffre d’une d’hyperacousie sévère. Cet handicap le contraindra au quotidien à porter un casque antibruit sur les oreilles. Un comble quand on a une mère joueuse de batterie dans un groupe de rock. Ou juste retour de bâton. Puisqu’il semble que dans le ventre de sa mère, Benjamin ait été bercé au rythme des mélodies stridentes du répertoire du groupe de rock féminin. Face au manque manifeste d’instinct maternel de la jeune mère, les habitants du quartier se mobilisent. Chacun se relaie pour s’occuper du bébé. À la richesse chromatique limitée de la vie de banlieue, qui semble se fondre dans les nuances d’un gris maussade, Franck Balandier oppose des personnages hauts en couleur. On retrouve dans Gazoline Tango des thématiques similaires à celles abordés par Gilles Marchand et Jean-Baptiste Andrea. Franck Balandier aborde avec piquant le sujet délicat du handicap. Faisant du rêve l’unique moyen de s’évader pour échapper à une réalité étriquée. Ce roman fait à la fois l’éloge de la différence et de l’enfance mais surtout de l’amitié et de la solidarité. Solidarité qui joue un rôle clé lorsqu’il ne reste plus grand chose à quoi se rattacher. La verve de l’auteur, associée à son ton caustique, confèrent à l’ouvrage une ironie moqueuse savoureuse.

Un roman totalement barré !

Il faut dire que le roman commence sur des chapeaux de roue, la mise au monde du petit Benjamin n’est pas de tout repos. Isabelle, peu enthousiaste à l’idée de devenir mère, est atteinte d’un mal bien connu, le baby blues. À cela s’ajoute les cris incessants du bébé qui semble réagir au moindre bruit. Cela ne va pas sans agacer profondément la maman qui semble faire face à un enquiquineur de première. Elle tentera maintes fois d’écourter la vie du nourrisson, le plaçant volontairement sur le ventre, espérant ainsi en abrégeant les jours de son enfant, mettre fin à son calvaire. Benjamin n’est pas de cet avis et s’accroche à la vie, telle une moule sur son rocher. Le retour à la cité des peintres s’accompagne d’une profonde lassitude. Il est vrai que la vie là-bas n’offre que peu de divertissements. Contre toute attente, l’arrivée du petit Benjamin sonne le glas de l’existence morose des habitants du quartier. Chacun met la main à la pâte pour soulager la jeune maman, où plutôt pour éviter la mort prématurée du bébé. Franck Balandier réalise un portrait au vitriol de la vie de banlieue sous couvert d’une ironie mordante. En deux coups de crayon, l’auteur parvient à planter un personnage en faisant ressortir les détails infimes qui font tout leur charme. Les habitants du quartier, un brin stéréotypés mais totalement barrés, se révèlent terriblement attachants. Pour n’en citer que les principaux, nous avons Mémé Lucienne, dealeuse d’herbes, le père Germain, consommateur de marijuana qui n’hésite pas à détourner l’usage du vin de messe pour sa consommation personnelle, Isidore, ambulancier, prêtre musulman par intermittence… Tout un programme, je vous dis !

Entre ironie et poésie

Gazoline Tango dissimule subtilement, sous ses airs loufoques, une critique sociale acérée. La vie dans ses quartiers est dénuée de saveurs. Chacun tente, tant bien que mal, d’égayer un quotidien morose. Franck Balandier dénonce cette réalité sans pour autant faire peser son récit du poids de cette amertume, de la désillusion amère des habitants. Puisque c’est bien de cela dont il s’agit. Les rêves d’évasion se sont effacés avec le temps. Chacun se retrouve confiné dans une vie limitée. C’est dans l’échange qu’ils se réaliseront. Les liens d’amitié qui se tisseront permettront à chacun de trouver sa place. Gazoline Tango fait de l’humour le moyen d’appréhender la notion du handicap. Puisque de l’autodérision, il en faudra au jeune Benjamin. La vie ne l’ayant pas gâté. Franck Balandier saupoudre le récit d’épisodes cocasses. On suit les étapes de la vie de Benjamin qui apprend à apprivoiser son handicap. Celui-ci lui permettra même de se distinguer des autres et de développer des facultés rares. Gazoline Tango n’est pas à prendre au premier degré, puisque le lecteur évolue entre réalisme des situations et onirisme poétique. Il faut se laisser porter par la faconde de l’auteur.

Conclusion

Gazoline Tango semble être passé inaperçu dans l’actualité littéraire. Sorti pour la rentrée littéraire 2017, il a été très peu relayé, que ce soit par les médias, la critiques ou les lecteurs. Pourtant, c’est un roman qui vaut le détour et que je vous conseille de lire. Surtout, si vous avez aimé Ma reine et Un funambule sur le sable.

>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)

 

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Les rêveurs, Isabelle Carré : Grand Prix RTL-Lire & Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro (#RL2018)

Isabelle Carré fait figure d’exception dans le monde du cinéma. Sa carrière exemplaire ainsi que son statut de « people » ne l’ont pas empêchée de protéger jalousement une part d’anonymat. Un jardin secret tenu à l’écart des yeux du public, auquel rien n’échappe et, qui plus est, avide de détails sur l’intimité de ses icônes. Si les médias la décrivent comme une actrice « discrète et lumineuse », son roman est à son image. Avec une franchise désarmante, faisant fi de toute chronologie, Isabelle Carré évoque avec pudeur son enfance, puis son adolescence au sein d’une famille post-soixante-huitarde. D’actrice à écrivain, il n’y a qu’un pas. Pas qu’elle franchit avec une telle aisance naturelle, qu’il semble que l’accouchement de ce roman se soit réalisé en douceur. Comme issu d’un processus inéluctable initié des années auparavant. Lorsque adolescente, l’actrice remplissait ses carnets intimes. Le charme opère et réside dans la justesse de ton. Isabelle Carré pose un regard bienveillant sur chacun des membres de cette tribu hétéroclite. Avec délicatesse, elle évoque cette mère fragile, inadaptée. Pour laquelle, la moindre action s’inscrit dans un combat permanent qu’il lui faut mener pour avancer. Une fille-mère abandonnée par sa famille pour avoir osé jeter l’opprobre sur les siens. Un père qui mettra des années à s’accepter tel qu’il est et à s’assumer. Elle-même se dévoile en nous confiant ses angoisses existentielles, ses rêves contrariés qui l’ont conduite à faire une tentative de suicide. Révélant cette part d’ombre présente en chacun, qu’elle dissimule au quotidien sous un sourire amène. L’actrice, désormais auteure, nous livre un récit autobiographique particulièrement touchant, teinté d’une certaine nostalgie.

L’actrice

Lire Les rêveurs, c’est pénétrer dans l’intimité d’une actrice qui a su s’imposer dans le cinéma français. Nul n’oserait remettre en doute le talent indéniable d’Isabelle Carré, sa capacité à se glisser dans chacun des personnages qu’elle interprète, son agilité à se muer au gré des rôles qui ont jalonnés sa carrière. Dans ce récit autobiographique, elle se confesse et nous donne les clés d’explication de sa vocation. Elle explique les raisons qui l’ont poussée à exercer cette profession. Elle s’interroge sur cette incapacité à laisser s’exprimer ses émotions sans la présence rassurante de la caméra. Cette dernière se voit attribuer le rôle de garante de la normalité d’une situation, elle est l’intermédiaire nécessaire, le cadre protecteur tout autant que le catalyseur. La caméra, les équipes, le décor, tous concourent à jouer ce double rôle. Permettre à l’actrice de lâcher prise tout en préservant sa sécurité. Puisque Isabelle Carré n’est pas de ces actrices dont le métier est indissociable de leur vie privée. D’une nature exubérante, dotées d’une assurance naturelle, elles s’épanouissent aussi bien sous l’oeil vigilant de la caméra que sous l’oeil scrutateur du public. Interprétant leur rôle en continu. Non, Isabelle Carré est d’un naturel discret, certains diront effacé. Dès lors, il lui faut cette mise en scène qui tranche avec la réalité pour se révéler.

Le portrait d’une famille décalée

Isabelle Carré est issue d’une famille post-soixante-huitarde biberonnée aux slogans revendiquant une liberté sans entraves. Une génération tiraillée entre un modèle traditionnel dépassé et une folle envie de s’émanciper. Pourtant, ses parents n’ont pas forcément les clés. Ils vont tenter de construire un modèle familial qui leur est propre, rafistolé. Le récit s’ouvre sur sa mère claquemurée dans un appartement isolé en banlieue parisienne. Un an après Mai 68, il n’est toujours pas bon d’être fille-mère à dix-neuf ans. Surtout si à cela s’ajoute sa situation de mère célibataire. Qu’à cela ne tienne, sa grossesse elle la mènera jusqu’à terme, seule. Sa rencontre avec un étudiant des Beaux-Arts mettra fin à son exclusion. Isabelle Carré née de cette union entre une femme esseulée et un homme divisé. Dès lors, ce sera les montagnes russes à la maison. La normalité ne fait partie du vocabulaire de cette famille recomposée. La mère s’enferme à mesure que son mari se libère. Mutique face aux changements qui s’opèrent, consciente de son inutilité dans une partie qui se joue sans elle, qui lui échappe et s’annonce perdue d’avance. Le temps attise les anciennes blessures et fait ressurgir les fêlures qu’ils ont tentées de colmater. L’air est vicié, le climat délétère. Isabelle Carré a quinze ans lorsqu’elle décide de prendre son indépendance. Elle nourrit des rêves de ballerine, se voit déjà enchaîner pirouettes et arabesques. Cependant, confrontée à ses limites elle doit se soumettre à un constat implacable, elle n’a pas les qualités nécessaires pour devenir danseuse étoile. La déception est grande pour celle qui concevait la danse comme une échappatoire. Un moyen de s’extraire d’une réalité morose. Son désarroi est tel qu’elle tentera de mettre fin à ses jours. Contre toute attente, une fois internée son désir de vivre se manifeste et prend la forme d’une promesse, celle de s’inscrire à des cours de théâtre. Isabelle Carré recompose les étapes de sa vie qui lui ont permis de trouver sa place. Le théâtre sera le lieu de sa libération. Il lui permettra de mettre fin à ce sentiment d’enfermement. Ce repli sur soi qui la caractérise et dont elle ne se départira jamais totalement. Ce qui peut être pris pour de la pudeur est surtout une manière quasi-systématique de taire ses émotions. À aucun moment, elle n’émet de jugement à l’égard de sa famille. Isabelle Carré constate la nature changeante de l’âme humaine. Elle explore ses replis. La lente éclosion du désir chez son père, les retournements inattendus de l’existence pour sa mère. C’est toute une vie de famille qui se déplie sous nos yeux, portée par une écriture déliée toute en légèreté.

Conclusion

Isabelle Carré nous livre un très beau texte. Elle se met en scène ainsi que toute sa famille pour nous dévoiler la femme derrière l’actrice. Néanmoins, je ne saurais dire si ce roman marque le début d’une véritable carrière d’auteure. Les rêveurs sera-t-il l’oeuvre unique d’Isabelle Carré ou sera-t-elle capable d’écrire sur une autre thématique que le récit autobiographique ? À voir 😉

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