Qui est donc Moura ? Née Maria Zakrevskaïa, épouse Beckendorff, devenue par un second mariage baronne Budberg – que les mauvaises langues transformeront en bedbug. Femme insaisissable aux multiples visages, personnage historique énigmatique, elle fut mariée deux fois, maîtresse d’un diplomate britannique, de l’illustre Maxime Gorki – écrivain du régime bolchevique dont la fréquentation lui valut le statut de figure de proue de l’intelligentsia russe, ainsi que du grand écrivain H.G Wells. Issue de l’aristocratie tsariste, elle adopta les idéaux égalitaires de la Russie bolchevique sans pour autant renier son identité. Elle passera constamment entre les mailles du filet, faisant preuve d’une agilité morale et d’une conscience politique flexible. L’éclectisme de ses relations et de ses passions atteste de son goût pour la liberté et le refus de brider celle-ci au nom d’une cause politique. Moura sera toute sa vie soupçonnée d’activités d’espionnage. Si à l’Est on l’accusera d’entretenir des relations ambiguës avec les puissances occidentales – ce qui lui vaudra d’être enfermée par trois fois. À l’Ouest, elle sera suspectée d’être un agent à la solde des bolcheviques. Mata Hari redoutable, informatrice zélée ou femme amoureuse éprise de liberté ? La richesse du personnage ne permet pas de trancher. Alexandra Lapierre rend parfaitement compte du caractère insaisissable de cette femme en raison de la pluralité de ses identités. Le choix de la biographie romancée était recommandé, puisqu’il permet de relater des faits dont l’authenticité est avérée, tout en conservant une certaine liberté dans leur traitement. La vie de Moura présente des zones d’ombre qui ne peuvent être appréhendées que par la plume d’un romancier. Le résultat est saisissant, Alexandra Lapierre signe un roman épique porté par un souffle romanesque digne des romans d’Alexandre Dumas. Elle nous emporte dans la vie mouvementée d’une figure féminine romantique en plein cœur des intrigues politiques du 20e siècle.
Un personnage historique romanesque
Le roman d’Alexandra Lapierre a été récompensé par le Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2016, et c’est amplement mérité. En s’attaquant à la vie de Moura, Alexandra Lapierre a choisi un sujet hautement romanesque. Une femme intrépide, aux multiples facettes. Élevée selon les préceptes de l’aristocratie russe au début du 19e siècle, Maria Zakrevskaïa, que l’on surnomme Moura, connaîtra un destin mouvementé. Elle sera un acteur privilégié des bouleversements politiques qui frapperont la Russie au cours du 20e siècle. Obligée de renoncer aux avantages que lui confèrent sa naissance, elle perdra sa fortune et son rang avec l’arrivée des bolcheviques au pouvoir. Malgré la dureté des épreuves que sa famille a traversé, Moura fera preuve d’une conscience politique aiguë et de clairvoyance quant à l’issue tragique qui attend la classe aristocratique russe à l’aube de la Première Guerre mondiale. Conflit qui lui donnera l’occasion de jouer un rôle du côté des alliés. Pendant cette période, elle nouera des relations étroites avec les diplomates des délégations étrangères. Dotée d’une aura magnétique, Moura électrise tous ceux qu’elle rencontre. Son pouvoir de séduction ne laisse personne indifférent. L’échec de ses mariages ne l’empêchera pas de vivre sa vie de femme librement, faisant fi du qu’en-dira-t-on. Par amour, elle est prête à tous les excès. Comme ce jour, où elle n’hésitera pas à glisser un mot à destination de son amant emprisonné à la Loubianka au nez et la barbe du fondateur de la Tchéka. Qu’elle se rendra par trois fois en Russie visiter son amant alors qu’elle est persona non grata. Moura possède un don inné pour la politique, capable de jouer tous les rôles à la fois, elle se met au diapason des dispositions de ses interlocuteurs, leur mentant effrontément si le besoin s’en fait sentir. As de la diplomatie et des échanges de bons procédés, Moura jouera un rôle dans le monde du renseignement. En tant qu’aristocrate, ennemie naturelle du nouveau régime en place, elle parvient à tirer son épingle du jeu, pactisant avec les uns, jurant fidélité aux autres. Faisant surtout preuve d’une grande intelligence humaine. Consciente toutefois des enjeux, privilégiant ses intérêts et faisant confiance à son instinct. Contrairement aux apparences, Moura n’est pas une femme légère. Au contraire, elle tente de concilier son rôle de mère, sa vie de femme et ses activités politiques tout en mettant un point d’honneur à ne pas sacrifier sa liberté et à protéger ceux auxquels elle tient. On la sent constamment tiraillée entre ses différents rôles, privilégiant l’un au détriment de l’autre au gré des situations. Ce qui lui vaudra le ressentiment de ses enfants. À travers elle, c’est tout un pan de l’histoire qui nous est racontée. On pénètre dans l’intimité des acteurs principaux de l’histoire. Derrière la figure historique, l’homme se dessine. Gorki est décrit comme un homme capricieux auprès duquel Moura jouera le rôle d’intendante. Son rôle consistera à lui faciliter la vie. Mère nourricière avec Gorki, amoureuse passionnée avec Lockhart, elle devra juguler les crises de jalousie de H.G Wells, plus connut pour ses frasques amoureuses que sa persistance à vouloir passer la bague au doigt à ses conquêtes. Alexandra Lapierre souligne avec talent le paradoxe saisissant au cœur du projet soviétique, incarné par l’écrivain russe Gorki. Entre égalitarisme et volonté de hisser la Russie au rang des nations éclairées, en dispensant aux classes pauvres une culture en libre accès, Gorki s’est fourvoyé, aveuglé par les promesses d’un gouvernement dont les actes ne cesseront de démentir les promesses. Sur le plan politique, elle sera accusée d’avoir participer à l’attentat contre Lénine, ainsi que d’avoir pris part au complot Lockhart visant à déstabiliser pour le compte des alliés le régime bolchevique. Sa position, son manque de parti pris et sa versatilité politique lui vaudront les pires accusations. Jamais blanchie, ni totalement disculpée, un flou entoure sa vie. Des zones d’ombre persistent malgré les efforts d’Alexandra Lapierre, qui durant trois ans n’a cessé d’écumer les bibliothèques du monde entier à la recherche du moindre détail touchant à la vie de son héroïne. La personnalité complexe de Moura résistera au travail d’investigation méticuleux et colossal entrepris par l’auteure. Tout comme chaque personne l’ayant côtoyée, à la lecture de ce roman le lecteur pourra se targuer de détenir une clé de lecture de sa personnalité sans toutefois en visualiser la totalité.
Conclusion
Alexandra Lapierre dresse un portrait de femme passionnant à travers ce roman. Si vous recherchez une lecture addictive, un pavé à dévorer sur la plage cet été, foncez !! 😉
>>> Chronique du Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2017, par ici !
>>> Chronique du Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2015, par ici !
HISTORIQUE
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