Le sens de la vie, c’est à cette question existentielle, que les personnages tirés du second roman de Silvia Avallone tentent de répondre. Le sens revêt ici une double dimension. Celle de la direction et de la signification. Et pour agir sur sa vie encore faut-il être maître de ses choix. Ce que les personnages de Silvia Avallone ne sont pas. Ce roman est porteur d’un message sociologique et politique fort. Véritable fresque sociale où chaque situation vécue prend la forme d’un tableau. Les personnages ont ceci en commun qu’ils sont tous amputés, vulnérables et fragilisés. Ils évoluent à l’aveugle et sont influencés par leur passé. La blessure originelle est à chercher dans l’enfance : père absent, parents défaillants, familles dysfonctionnelles. Avec un héritage pareil, il est difficile de ne pas reproduire l’unique schéma que l’on connaît. La vie parfaite est un roman d’une puissance inouïe, porté par un souffle rageur. Les destins sont imbriqués. Les choix des uns conditionnent nécessairement ceux des autres. Le rythme est dual : à la fois stagnant et porté par un élan vital. À l’image de la vie de ces êtres cabossés. Partagés entre la résignation et l’espoir d’échapper à la fatalité. Puisqu’on le veuille ou non, l’histoire se répète à travers nous. Nous sommes tous issus d’un alliage unique brassant d’où l’on vient et ce que nous sommes. Notre héritage génétique, social et culturel entre en jeu. Silvia Avallone a le sens du détail. Elle décrit avec soin les sentiments humains. Cette façon d’être totalement démuni face à la vie. La plume est clinique, s’ancre dans le réel et le rend avec justesse. Elle s’attache à donner de la matière aux êtres décrits, à les rendre vivants. Les mots sonnent juste. Ils font écho à la colère salvatrice qui bouillonne en eux. L’auteure excelle à décrire la frustration des êtres entravés par le poids du déterminisme social. Des existences brisées, avant même parfois qu’elles n’aient commencé. Chez Silvia Avallone, nul n’échappe à son passé.
Des destins brisés, des rêves avortés : le poids du déterminisme social
Silvia Avallone traite ici du thème de l’exclusion. Elle met le doigt sur les travers de la société. Une société italienne qu’elle juge inapte à offrir à ses citoyens une alternative à la reproduction sociale. Alors qu’Adele n’a pas encore dix-huit ans, elle découvre qu’elle est enceinte. Manuel, Son petit-ami, lui gît en prison. L’auteure a le sens de l’humour puisque le jeune homme fera une brève apparition à la maternité abordant un t-shirt avec l’inscription Born To Lose. Prémonitoire…
Ils étaient nés pour perdre, sa fille et lui, malgré leur ténacité et leur entêtement.
Une mère mineure, un père inévitablement absent, tous les ingrédients pour accueillir un enfant… Adele a conscience de la difficulté d’élever un enfant dans un tel environnement. Elle songe à se séparer du bébé pour le faire adopter. Pourtant, elle l’avait désiré. Juste une fraction de seconde. Le temps d’une pilule oubliée. C’était un jeu, une bravade. Adele souhaitait titiller le destin. Rien de plus. Un jeu dangereux. Le verdict tombe. Adele est stupéfaite. Le sort s’acharne. Élevée par sa mère Rosaria, Adele a très peu connu son père. Pourtant, avant d’atterrir à la cité des Lombriconi, elle avait gouté à autre chose. Une enfance préservée. Des parents présents. Mais un jour son père disparaît sans rien laisser. On lui annonce qu’elle ne le verra plus. Et la vie continue. Cette fois, le décor a changé. L’air est vicié, les tours imposantes. Elle étouffe à vivre claquemurée. Elle sent que Manuel lui échappe. Ses rêves de grandeur l’éloigne d’elle. Il va la quitter, elle le sent. C’est une question de temps. C’est à ce moment que l’idée d’avoir un enfant se met à germer dans son esprit. Un moyen de le retenir. Tandis que de l’autre côté de la ville, dans les beaux quartiers, un couple s’acharne à procréer. Ironie du sort, puisque Dora et Fabio ont tout pour eux. Ce qui n’était au départ qu’un désir d’enfant tourne à l’obsession. Une obsession quasi fanatique. Dora est handicapée. Découvrir qu’à son handicap s’ajoute l’infertilité achève de la miner. Elle le vit comme une malédiction. Le sort s’acharne contre elle. Ce n’est pas possible autrement. À la déception succède la folie. Celle de voir les autres arriver là où elle a échoué. La vue d’une femme enceinte suffit à faire naître en elle des pulsions meurtrières. Un ventre rond est le signal déclencheur de sa déraison. Elle finit par perdre pied avec la réalité. Pendant ce temps son couple se délite. On suit chacun de ces destins habilement entremêlés. À mesure que les pages défilent, le lien qui les unit apparaît. Sans que jamais l’auteure ne force le trait. Tout est subtilement dosé. Le désir avorté d’enfanter de Dora qui la pousse à ces excès est à envisager sous l’angle de son passé. Estropiée, elle a conscience d’être différente. Les épreuves auxquelles elle est confrontée ne cesse de le lui rappeler. Elle a un manque à combler, une revanche à prendre sur la vie. Quelque chose qui lui est dû. Les personnages de Silvia Avallone souffrent tous. Chacun d’eux porte un secret. La vie est une épreuve qu’il faut affronter. Ils évoluent comme sur un ring, prêts à en découdre. C’est justement ces fêlures qui les rendent si humains. La tension qui les habite est rendue par l’écriture nerveuse de l’auteure, qui fait des exclus le cœur de son sujet. Ceux qui ne naissent pas avec une cuillère d’argent dans la bouche. Pour qui chaque jour est un défi, la vie une succession d’obstacles à éviter sans rien à la fin pour les récompenser. L’auteure dénonce la difficulté qu’il y a à s’élever. À s’extirper de sa condition. Les personnages de son roman font l’expérience de cette fatalité. Silvia Avallone est colère.
Conclusion
Je vous conseille fortement la lecture de ce roman. Le message est fort, l’écriture puissante, il se lit en apnée, d’une traite. J’ai adoré le rythme que Silvia Avallone insuffle à son récit. C’est une auteure que je compte suivre de près 😉
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