Alexia Stresi avec son ouvrage Looping signe un premier roman, coup de maître. L’auteure nous offre le portrait saisissant d’une femme hors du commun au destin fabuleux et au caractère bien trempé. Une femme indépendante, forte et moderne. Looping a d’ailleurs été salué par la critique dès sa sortie et sélectionné par le jury du Prix Goncourt du premier roman. Prix décerné par ailleurs à Maryam Madjidi pour son ouvrage Marx et la poupée. Ce roman est un petit bijou tant par le portrait de femme particulièrement réussi, que par la manière qu’à l’auteure de nous faire voyager. Looping a été l’occasion pour moi de découvrir une conteuse hors pair et une écrivain au talent indubitable.
Résumé
Au début du XXe siècle, Noelie voit le jour dans une ferme italienne. Née d’un père inconnu, élevée par une mère analphabète, elle semble destinée à la vie des paysans pauvres de l’Italie d’alors.
Soixante ans plus tard, Noelie invite à déjeuner des célébrités de Cinecittà, ses amis du gouvernement, des ministres libyens du pétrole, des poètes, des huiles du Vatican et des amis d’enfance, restés ouvriers agricoles. Entre-temps, elle aura parcouru le Sahara à dos de chameau, piloté des avions pour rendre visite à des Bédouins, amassé une fortune pour faire vivre ses rêves.
Qui est-elle ? D’où lui vient cette force, et son talent pour la vie ?
De ce qu’elle ne dit pas.
Éditions Stock
Un portrait féminin à la modernité détonante et à la liberté revendiquée
Looping est l’occasion pour Alexia Stresi de nous présenter son héroïne avant-gardiste, Noelie. Noelie se démarque des femmes de son époque en refusant de se cantonner à la place qui lui est allouée par la société machiste de l’époque. Éprise de liberté, elle s’approprie à sa manière les codes sociaux et s’octroie le droit de conserver son indépendance tout en respectant les règles tacites qui structurent cette société. Loin d’être une idéologue, elle n’affiche pas une volonté de renverser l’ordre social afin de favoriser l’émancipation de la femme. Non, Noelie cherche sa propre émancipation et la concrétisation de ses projets. Elle n’a absolument pas pour ambition d’être la figure de proue d’un quelconque mouvement féminin contestataire, là n’est pas l’objectif de ce roman. La prise en main de son destin lui suffit amplement. Et c’est un fabuleux destin justement qu’elle se forge, fait de voyages en avion qu’elle pilote toute seule, de rencontres poétiques dans le désert avec des Touaregs, de contrats signés avec des hommes d’affaires libyens… Ces périples elle ne les vit pas seule. Son époux l’épaule et la soutient constamment dans la mise en oeuvre de ses différents projets qui souvent inclus des poules 😉 Ce couple est en avance sur son temps, loin de l’image que l’on peut avoir des unions du milieu du XXe siècle. Cette quête de liberté, elle la poursuit donc de concert avec son mari. Les progressions et succès de Noelie n’altèrent en rien sa dynamique de couple. Lorsque celle-ci fera le triste constat du manque d’aptitudes de son mari pour les affaires, ça n’altérera en rien l’estime et le respect qu’elle éprouve pour lui. Le gain de l’un n’implique pas une perte réciproque pour le conjoint. Cette dynamique vertueuse atteste de la modernité d’une union bien en avance sur les moeurs de son époque.
Même dans sa façon de s’habiller Noelie parvient à exprimer sa singularité. Son style vestimentaire n’est pas sans rappeler celui d’une autre femme au destin hors norme, Coco Chanel. Celle-ci vécut à la même époque que notre héroïne et affirma sa modernité par un style minimaliste et épuré que partage Noelie. La recherche du confort primant sur les froufrous et l’élégance se devant d’être naturelle.
À l’intérieur du petit milieu colonial, où régnait un strict conformisme vestimentaire non moins que de vues, Noelie détonnait. On accepta qu’elle porte le pantalon et qu’elle remplace les élégants colliers de perles par d’abstraits bijoux africains. S’il n’était pas en vogue d’avoir un style à soi, Noelie avait déjà trouvé le sien, et réussit à l’imposer. Elle n’en dérogerait plus, adaptant seulement sa tenue aux saisons et à ses moyens financiers. Que ce soit en voilage ou en cachemire, son long corps maigre serait toujours revêtu d’un large pantalon et d’une chemise ample, noirs ou blancs tous les deux. Ses cavaliers lui reconnaissaient une classe folle, et tombaient tous sous le charme.
Il est aisé de s’imaginer l’incapacité pour un businessman d’arrêter de faire des affaires même quand le conjoncture n’est pas favorable à ses projets. Il l’est moins d’observer cette soif de défis chez une femme à la limite de l’obsession et de la névrose. Il faudra attendre l’épilogue pour détenir les clés de compréhension de cette rage de vivre.
Un roman solaire comme une promesse de dépaysement et d’éveil des sens
Looping nous fait voyager à travers des décors solaires d’une grande poésie et des époques chargées historiquement. De la ville d’Imperia – située dans la Ligurie, région d’Italie située dans le nord-ouest de la péninsule – à la Libye d’avant son Occidentalisation, à l’Italie dévastée d’après-guerre, nous suivons notre héroïne qui connut moult déracinements. Ce sont justement ces arrachements successifs qui seront à l’origine de sa capacité d’adaptation hors norme.
Alexia Stresi décrit avec intensité la Libye italienne et nous offre un tableau saisissant. Les descriptions sont d’un tel réalisme que pour peu le lecteur se mettra à humer les effluves émanant de Tripoli, l’air iodé, l’odeur de jasmin… Cette Libye non encore industrialisée par les alliés, qui ne tarderont pas à percevoir le potentiel de cette région de par la richesse de son sous-sol, se révèle être d’une très grande richesse olfactive. Tous les sens sont en alerte. Après l’odorat, la vue. Il me semblait discerner la lente marche des Touaregs accompagnés de leurs chameaux dans le désert libyen. L’écriture est d’une efficacité redoutable puisque l’auteure restitue à la perfection les impressions, les ressentis de Noelie et communique au lecteur des émotions brutes.
À la Libye succédera l’Italie vaincue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cette Italie dévastée et ruinée se muera en l’Italie où tous les espoirs sont permis, celle de la « dolce vita ». Il en est fini des années fascistes, une page de l’histoire italienne se tourne. Cette nouvelle impulsion va se traduire par une prospérité nouvelle. On parlera alors de miracle économique. À partir des années 50, l’Italie connaîtra des années d’insouciance et de bouillonnement artistique. Ce sera l’occasion de balades en famille, chacun sur sa Vespa – symbole de la « dolce vita ». Le film de Federico Fellini La Dolce Vita marque l’apogée de cette période. L’auteure évoque notamment le film Vacances Romaines (1953) qui valut l’Oscar de la meilleure actrice à la fabuleuse Audrey Hepburn.
Un style sec et une écriture ciselée
Nulle surprise pour ceux qui ont déjà lu certains de mes précédents articles – Un fils parfait / VIP / Chanson douce – j’affectionne particulièrement les auteurs à la plume mordante et tranchante. Dénués de pathos et d’artifices, je les trouve d’une efficacité redoutable. Alexia Stresi est de ces auteurs. Looping dévoile une écriture qui va droit au but, un style simple et percutant. Il délivre un message brut. Pour un coup d’essai c’est un coup de maître de la part d’Alexia Stresi. Ce que je trouve impressionnant pour un premier roman, c’est qu’on a l’impression que le roman dans sa globalité est le fruit d’un seul et unique jet. L’auteure semble parfaitement maîtriser son récit et ce sans aucune hésitation ou approximation.
Conclusion
N’ayant pas encore lu les autres romans nominés au Prix du Goncourt du premier roman, je ne peux pas vous dire comment je situerais celui-ci face à ses concurrents. Néanmoins, Alexia Stresi met la barre très haut avec son roman Looping. Dont le titre évoque cette soif de liberté que l’héroïne étanchera en pilotant l’avion de son mari. Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce magnifique ouvrage. J’espère que l’auteur nous offrira un second roman incessamment sous peu et de la même trempe.
PREMIER ROMAN
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