Récompensé par le Prix Décembre 2016, Alain Blottière signe un roman magistral, inspiré d’une histoire vraie, dans lequel il relate la captivité du jeune Baptiste enlevé avec toute sa famille par un groupe de djihadistes. Baptiste sera le seul à être libéré. Pris en charge par une cellule psychologique à son retour, il ne parvient pas à reprendre pied avec la réalité. Baptisé Yumaï – renard du désert – par ses ravisseurs, il finit par adopter son nom de guerrier. Alain Blottière relate le calvaire vécu par l’adolescent, ainsi que les étapes de son embrigadement. La force du récit réside dans le parti pris de l’auteur dont l’intention n’est pas de réaliser une démonstration à valeur universelle ayant pour vocation d’expliquer scientifiquement le processus d’endoctrinement, mais d’étudier le basculement opéré chez Baptiste. Comprendre comment à travers des rites de passage, d’une cruauté inouïe, Baptiste est mort. Comment devient-on un enfant soldat ? Comment finit-on par perdre tout à fait son identité ? Autant de questions qui restent en suspens à la lecture de ce roman mais que l’auteur a le mérite de soulever. Alain Blottière scrute avec finesse les liens invisibles qui se tissent entre l’otage et ses ravisseurs. Il étudie cette forme insidieuse d’emprisonnement, reposant sur le conditionnement. Victime du syndrome de Stockholm, son hostilité se mue en attachement. Confondant aliénation et libération, il bascule dans la folie. La vie au contact de ses oppresseurs et la prise régulière de « comprimés de courage » anéantissent en lui toute velléité de s’échapper. Ils lui inculquent l’envie de tuer, lui apprennent les gestes à effectuer. Baptiste finit par être totalement déstabilisé par le chaud, froid, la cruauté et la tendresse soufflés par les djihadistes. Il perd ses repères. Alors qu’il refuse de livrer ses secrets, les digues de sa conscience finissent par lâcher. Les souvenirs affluent, la vérité finit par s’imposer. Le sort réservé à sa famille glace les sangs. D’une concision absolue, ce texte aborde admirablement la complexité et les rouages du processus d’endoctrinement.
Les étapes du processus d’embrigadement
Baptiste a quatorze ans lorsqu’il est enlevé avec sa mère, son père et ses deux frères. Si le récit de la captivité de Baptiste est inventé, il est toutefois largement inspiré de faits réels. En février 2013, toute une famille française fut kidnappée puis libérée par Boko Haram. Ce fut l’une des seules fois où des enfants occidentaux ont fait l’objet d’un rapt. À quatorze ans, Baptiste qui deviendra bientôt Yumaï, a l’âge qu’ont les futurs guerriers du djihad. Cet âge charnière explique en partie l’intérêt que les ravisseurs lui ont porté. Néanmoins, ce qui a attisé leur curiosité pour l’adolescent reste inexpliqué. Témoin de la faiblesse de son père et de la détresse de sa mère, Baptiste éprouve de l’écœurement pour ses parents. La vue d’un tel dénuement l’indispose. En plein cœur du désert, la chaleur est assommante, l’eau et la nourriture manquent. La vie s’étend à l’infini, bercée par un ennui profond, lui-même ponctué par les prières à intervalles réguliers. Doucement le lien entre Baptiste et sa famille s’étiole. Les conditions extrêmes, la perte de considération pour la figure paternelle concourent à cet éloignement. Pourtant rien ne prédisposait Baptiste à se rapprocher des ravisseurs. Sans que l’élément déclencheur ne soit clairement identifié, le basculement s’opère. Une intimité se créé entre eux. Baptiste cède peu à peu la place à Yumaï. Yumaï dort avec les djihadistes, apprend l’arabe, récite des sourates du Coran, dont le sens lui échappe. Afin de tester sa résistance, il est envoyé dans une grotte. Ce séjour achèvera de le transformer. Yumaï délire. Il est persuadé d’effectuer une sorte de parcours initiatique le faisant voyager dans le temps. Ce passage est d’une beauté inouïe. La cruauté des hommes en qui il met sa confiance est infinie. La confusion naît entre sa condition d’otage et le sentiment d’avoir été choisi par ses ravisseurs. Puisqu’ils l’ont élu pour devenir un guerrier, pour combattre à leur côté. Ils ont vu en lui ce qu’ils n’ont pas perçu chez les autres membres de sa famille. Il est le premier Yumaï, le seul, l’unique. Personne avant lui n’avait suscité un tel intérêt. Insidieusement tout se met en place. Le lien est établi. Le lavage de cerveau a commencé. Les rites de passage renforce son sentiment d’appartenir à une communauté. Il est désormais l’un des leurs. Être témoin de cet isolement est terrible, on comprend ce qui est en train de se jouer. Baptiste sera le seul rescapé. Mais que s’est-il passé ? La fin dépasse ce que l’on peut imaginer. L’auteur livre à demi-mot l’issue terrible qui attend le reste de la famille. L’épilogue est abrupt. Alain Blottière excelle dans l’art de faire monter la pression. Le récit est tendu, on pressent le drame final inéluctable. La plume de l’auteur est d’une efficacité redoutable. Chaque mot est pesé. Tout est parfaitement dosé. Une pépite !
Conclusion
Je suis étonnée que ce roman court et percutant n’ait pas plus fait parler de lui. Le sujet est d’actualité, le récit maîtrisé et la plume de l’auteur un vrai régal. Je suis totalement conquise et vous le recommande chaudement ! 😀
Ce roman vous a plu ? Découvrez :
>>> L’orangeraie, Larry Tremblay