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Comment Baptiste est mort, Alain Blottière : le récit d’une aliénation & d’un endoctrinement au radicalisme djihadiste

Récompensé par le Prix Décembre 2016, Alain Blottière signe un roman magistral, inspiré d’une histoire vraie, dans lequel il relate la captivité du jeune Baptiste enlevé avec toute sa famille par un groupe de djihadistes. Baptiste sera le seul à être libéré. Pris en charge par une cellule psychologique à son retour, il ne parvient pas à reprendre pied avec la réalité. Baptisé Yumaï – renard du désert – par ses ravisseurs, il finit par adopter son nom de guerrier. Alain Blottière relate le calvaire vécu par l’adolescent, ainsi que les étapes de son embrigadement. La force du récit réside dans le parti pris de l’auteur dont l’intention n’est pas de réaliser une démonstration à valeur universelle ayant pour vocation d’expliquer scientifiquement le processus d’endoctrinement, mais d’étudier le basculement opéré chez Baptiste. Comprendre comment à travers des rites de passage, d’une cruauté inouïe, Baptiste est mort. Comment devient-on un enfant soldat ? Comment finit-on par perdre tout à fait son identité ? Autant de questions qui restent en suspens à la lecture de ce roman mais que l’auteur a le mérite de soulever. Alain Blottière scrute avec finesse les liens invisibles qui se tissent entre l’otage et ses ravisseurs. Il étudie cette forme insidieuse d’emprisonnement, reposant sur le conditionnement. Victime du syndrome de Stockholm, son hostilité se mue en attachement. Confondant aliénation et libération, il bascule dans la folie. La vie au contact de ses oppresseurs et la prise régulière de « comprimés de courage » anéantissent en lui toute velléité de s’échapper. Ils lui inculquent l’envie de tuer, lui apprennent les gestes à effectuer. Baptiste finit par être totalement déstabilisé par le chaud, froid, la cruauté et la tendresse soufflés par les djihadistes. Il perd ses repères. Alors qu’il refuse de livrer ses secrets, les digues de sa conscience finissent par lâcher. Les souvenirs affluent, la vérité finit par s’imposer. Le sort réservé à sa famille glace les sangs. D’une concision absolue, ce texte aborde admirablement la complexité et les rouages du processus d’endoctrinement.

Les étapes du processus d’embrigadement

Baptiste a quatorze ans lorsqu’il est enlevé avec sa mère, son père et ses deux frères. Si le récit de la captivité de Baptiste est inventé, il est toutefois largement inspiré de faits réels. En février 2013, toute une famille française fut kidnappée puis libérée par Boko Haram. Ce fut l’une des seules fois où des enfants occidentaux ont fait l’objet d’un rapt. À quatorze ans, Baptiste qui deviendra bientôt Yumaï, a l’âge qu’ont les futurs guerriers du djihad. Cet âge charnière explique en partie l’intérêt que les ravisseurs lui ont porté. Néanmoins, ce qui a attisé leur curiosité pour l’adolescent reste inexpliqué. Témoin de la faiblesse de son père et de la détresse de sa mère, Baptiste éprouve de l’écœurement pour ses parents. La vue d’un tel dénuement l’indispose. En plein cœur du désert, la chaleur est assommante, l’eau et la nourriture manquent. La vie s’étend à l’infini, bercée par un ennui profond, lui-même ponctué par les prières à intervalles réguliers. Doucement le lien entre Baptiste et sa famille s’étiole. Les conditions extrêmes, la perte de considération pour la figure paternelle concourent à cet éloignement. Pourtant rien ne prédisposait Baptiste à se rapprocher des ravisseurs. Sans que l’élément déclencheur ne soit clairement identifié, le basculement s’opère. Une intimité se créé entre eux. Baptiste cède peu à peu la place à Yumaï. Yumaï dort avec les djihadistes, apprend l’arabe, récite des sourates du Coran, dont le sens lui échappe. Afin de tester sa résistance, il est envoyé dans une grotte. Ce séjour achèvera de le transformer. Yumaï délire. Il est persuadé d’effectuer une sorte de parcours initiatique le faisant voyager dans le temps. Ce passage est d’une beauté inouïe. La cruauté des hommes en qui il met sa confiance est infinie. La confusion naît entre sa condition d’otage et le sentiment d’avoir été choisi par ses ravisseurs. Puisqu’ils l’ont élu pour devenir un guerrier, pour combattre à leur côté. Ils ont vu en lui ce qu’ils n’ont pas perçu chez les autres membres de sa famille. Il est le premier Yumaï, le seul, l’unique. Personne avant lui n’avait suscité un tel intérêt. Insidieusement tout se met en place. Le lien est établi. Le lavage de cerveau a commencé. Les rites de passage renforce son sentiment d’appartenir à une communauté. Il est désormais l’un des leurs. Être témoin de cet isolement est terrible, on comprend ce qui est en train de se jouer. Baptiste sera le seul rescapé. Mais que s’est-il passé ? La fin dépasse ce que l’on peut imaginer. L’auteur livre à demi-mot l’issue terrible qui attend le reste de la famille. L’épilogue est abrupt. Alain Blottière excelle dans l’art de faire monter la pression. Le récit est tendu, on pressent le drame final inéluctable. La plume de l’auteur est d’une efficacité redoutable. Chaque mot est pesé. Tout est parfaitement dosé. Une pépite !

Conclusion

Je suis étonnée que ce roman court et percutant n’ait pas plus fait parler de lui. Le sujet est d’actualité, le récit maîtrisé et la plume de l’auteur un vrai régal. Je suis totalement conquise et vous le recommande chaudement ! 😀

Ce roman vous a plu ? Découvrez :

>>> L’orangeraie, Larry Tremblay

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La vie parfaite, Silvia Avallone : Est-on maître de son destin ?

Le sens de la vie, c’est à cette question existentielle, que les personnages tirés du second roman de Silvia Avallone tentent de répondre. Le sens revêt ici une double dimension. Celle de la direction et de la signification. Et pour agir sur sa vie encore faut-il être maître de ses choix. Ce que les personnages de Silvia Avallone ne sont pas. Ce roman est porteur d’un message sociologique et politique fort. Véritable fresque sociale où chaque situation vécue prend la forme d’un tableau. Les personnages ont ceci en commun qu’ils sont tous amputés, vulnérables et fragilisés. Ils évoluent à l’aveugle et sont influencés par leur passé. La blessure originelle est à chercher dans l’enfance : père absent, parents défaillants, familles dysfonctionnelles. Avec un héritage pareil, il est difficile de ne pas reproduire l’unique schéma que l’on connaît. La vie parfaite est un roman d’une puissance inouïe, porté par un souffle rageur. Les destins sont imbriqués. Les choix des uns conditionnent nécessairement ceux des autres. Le rythme est dual : à la fois stagnant et porté par un élan vital. À l’image de la vie de ces êtres cabossés. Partagés entre la résignation et l’espoir d’échapper à la fatalité. Puisqu’on le veuille ou non, l’histoire se répète à travers nous. Nous sommes tous issus d’un alliage unique brassant d’où l’on vient et ce que nous sommes. Notre héritage génétique, social et culturel entre en jeu. Silvia Avallone a le sens du détail. Elle décrit avec soin les sentiments humains. Cette façon d’être totalement démuni face à la vie. La plume est clinique, s’ancre dans le réel et le rend avec justesse. Elle s’attache à donner de la matière aux êtres décrits, à les rendre vivants. Les mots sonnent juste. Ils font écho à la colère salvatrice qui bouillonne en eux. L’auteure excelle à décrire la frustration des êtres entravés par le poids du déterminisme social. Des existences brisées, avant même parfois qu’elles n’aient commencé. Chez Silvia Avallone, nul n’échappe à son passé.

Des destins brisés, des rêves avortés : le poids du déterminisme social

Silvia Avallone traite ici du thème de l’exclusion. Elle met le doigt sur les travers de la société. Une société italienne qu’elle juge inapte à offrir à ses citoyens une alternative à la reproduction sociale. Alors qu’Adele n’a pas encore dix-huit ans, elle découvre qu’elle est enceinte. Manuel, Son petit-ami, lui gît en prison. L’auteure a le sens de l’humour puisque le jeune homme fera une brève apparition à la maternité abordant un t-shirt avec l’inscription Born To Lose. Prémonitoire…

Ils étaient nés pour perdre, sa fille et lui, malgré leur ténacité et leur entêtement.

Une mère mineure, un père inévitablement absent, tous les ingrédients pour accueillir un enfant… Adele a conscience de la difficulté d’élever un enfant dans un tel environnement. Elle songe à se séparer du bébé pour le faire adopter. Pourtant, elle l’avait désiré. Juste une fraction de seconde. Le temps d’une pilule oubliée. C’était un jeu, une bravade. Adele souhaitait titiller le destin. Rien de plus. Un jeu dangereux. Le verdict tombe. Adele est stupéfaite. Le sort s’acharne. Élevée par sa mère Rosaria, Adele a très peu connu son père. Pourtant, avant d’atterrir à la cité des Lombriconi, elle avait gouté à autre chose. Une enfance préservée. Des parents présents. Mais un jour son père disparaît sans rien laisser. On lui annonce qu’elle ne le verra plus. Et la vie continue. Cette fois, le décor a changé. L’air est vicié, les tours imposantes. Elle étouffe à vivre claquemurée. Elle sent que Manuel lui échappe. Ses rêves de grandeur l’éloigne d’elle. Il va la quitter, elle le sent. C’est une question de temps. C’est à ce moment que l’idée d’avoir un enfant se met à germer dans son esprit. Un moyen de le retenir. Tandis que de l’autre côté de la ville, dans les beaux quartiers, un couple s’acharne à procréer. Ironie du sort, puisque Dora et Fabio ont tout pour eux. Ce qui n’était au départ qu’un désir d’enfant tourne à l’obsession. Une obsession quasi fanatique. Dora est handicapée. Découvrir qu’à son handicap s’ajoute l’infertilité achève de la miner. Elle le vit comme une malédiction. Le sort s’acharne contre elle. Ce n’est pas possible autrement. À la déception succède la folie. Celle de voir les autres arriver là où elle a échoué. La vue d’une femme enceinte suffit à faire naître en elle des pulsions meurtrières. Un ventre rond est le signal déclencheur de sa déraison. Elle finit par perdre pied avec la réalité. Pendant ce temps son couple se délite. On suit chacun de ces destins habilement entremêlés. À mesure que les pages défilent, le lien qui les unit apparaît. Sans que jamais l’auteure ne force le trait. Tout est subtilement dosé. Le désir avorté d’enfanter de Dora qui la pousse à ces excès est à envisager sous l’angle de son passé. Estropiée, elle a conscience d’être différente. Les épreuves auxquelles elle est confrontée ne cesse de le lui rappeler. Elle a un manque à combler, une revanche à prendre sur la vie. Quelque chose qui lui est dû. Les personnages de Silvia Avallone souffrent tous. Chacun d’eux porte un secret. La vie est une épreuve qu’il faut affronter. Ils évoluent comme sur un ring, prêts à en découdre. C’est justement ces fêlures qui les rendent si humains. La tension qui les habite est rendue par l’écriture nerveuse de l’auteure, qui fait des exclus le cœur de son sujet. Ceux qui ne naissent pas avec une cuillère d’argent dans la bouche. Pour qui chaque jour est un défi, la vie une succession d’obstacles à éviter sans rien à la fin pour les récompenser. L’auteure dénonce la difficulté qu’il y a à s’élever. À s’extirper de sa condition. Les personnages de son roman font l’expérience de cette fatalité. Silvia Avallone est colère.

Conclusion

Je vous conseille fortement la lecture de ce roman. Le message est fort, l’écriture puissante, il se lit en apnée, d’une traite. J’ai adoré le rythme que Silvia Avallone insuffle à son récit. C’est une auteure que je compte suivre de près 😉

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Moura, Alexandra Lapierre : Mata Hari redoutable, informatrice zélée ou femme éprise de liberté ?

Qui est donc Moura ? Née Maria Zakrevskaïa, épouse Beckendorff, devenue par un second mariage baronne Budberg – que les mauvaises langues transformeront en bedbug. Femme insaisissable aux multiples visages, personnage historique énigmatique, elle fut mariée deux fois, maîtresse d’un diplomate britannique, de l’illustre Maxime Gorki – écrivain du régime bolchevique dont la fréquentation lui valut le statut de figure de proue de l’intelligentsia russe, ainsi que du grand écrivain H.G Wells. Issue de l’aristocratie tsariste, elle adopta les idéaux égalitaires de la Russie bolchevique sans pour autant renier son identité. Elle passera constamment entre les mailles du filet, faisant preuve d’une agilité morale et d’une conscience politique flexible. L’éclectisme de ses relations et de ses passions atteste de son goût pour la liberté et le refus de brider celle-ci au nom d’une cause politique. Moura sera toute sa vie soupçonnée d’activités d’espionnage. Si à l’Est on l’accusera d’entretenir des relations ambiguës avec les puissances occidentales – ce qui lui vaudra d’être enfermée par trois fois. À l’Ouest, elle sera suspectée d’être un agent à la solde des bolcheviques. Mata Hari redoutable, informatrice zélée ou femme amoureuse éprise de liberté ? La richesse du personnage ne permet pas de trancher. Alexandra Lapierre rend parfaitement compte du caractère insaisissable de cette femme en raison de la pluralité de ses identités. Le choix de la biographie romancée était recommandé, puisqu’il permet de relater des faits dont l’authenticité est avérée, tout en conservant une certaine liberté dans leur traitement. La vie de Moura présente des zones d’ombre qui ne peuvent être appréhendées que par la plume d’un romancier. Le résultat est saisissant, Alexandra Lapierre signe un roman épique porté par un souffle romanesque digne des romans d’Alexandre Dumas. Elle nous emporte dans la vie mouvementée d’une figure féminine romantique en plein cœur des intrigues politiques du 20e siècle.

Un personnage historique romanesque

Le roman d’Alexandra Lapierre a été récompensé par le Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2016, et c’est amplement mérité. En s’attaquant à la vie de Moura, Alexandra Lapierre a choisi un sujet hautement romanesque. Une femme intrépide, aux multiples facettes. Élevée selon les préceptes de l’aristocratie russe au début du 19e siècle, Maria Zakrevskaïa, que l’on surnomme Moura, connaîtra un destin mouvementé. Elle sera un acteur privilégié des bouleversements politiques qui frapperont la Russie au cours du 20e siècle. Obligée de renoncer aux avantages que lui confèrent sa naissance, elle perdra sa fortune et son rang avec l’arrivée des bolcheviques au pouvoir. Malgré la dureté des épreuves que sa famille a traversé, Moura fera preuve d’une conscience politique aiguë et de clairvoyance quant à l’issue tragique qui attend la classe aristocratique russe à l’aube de la Première Guerre mondiale. Conflit qui lui donnera l’occasion de jouer un rôle du côté des alliés. Pendant cette période, elle nouera des relations étroites avec les diplomates des délégations étrangères. Dotée d’une aura magnétique, Moura électrise tous ceux qu’elle rencontre. Son pouvoir de séduction ne laisse personne indifférent. L’échec de ses mariages ne l’empêchera pas de vivre sa vie de femme librement, faisant fi du qu’en-dira-t-on. Par amour, elle est prête à tous les excès. Comme ce jour, où elle n’hésitera pas à glisser un mot à destination de son amant emprisonné à la Loubianka au nez et la barbe du fondateur de la Tchéka. Qu’elle se rendra par trois fois en Russie visiter son amant alors qu’elle est persona non grata. Moura possède un don inné pour la politique, capable de jouer tous les rôles à la fois, elle se met au diapason des dispositions de ses interlocuteurs, leur mentant effrontément si le besoin s’en fait sentir. As de la diplomatie et des échanges de bons procédés, Moura jouera un rôle dans le monde du renseignement. En tant qu’aristocrate, ennemie naturelle du nouveau régime en place, elle parvient à tirer son épingle du jeu, pactisant avec les uns, jurant fidélité aux autres. Faisant surtout preuve d’une grande intelligence humaine. Consciente toutefois des enjeux, privilégiant ses intérêts et faisant confiance à son instinct. Contrairement aux apparences, Moura n’est pas une femme légère. Au contraire, elle tente de concilier son rôle de mère, sa vie de femme et ses activités politiques tout en mettant un point d’honneur à ne pas sacrifier sa liberté et à protéger ceux auxquels elle tient. On la sent constamment tiraillée entre ses différents rôles, privilégiant l’un au détriment de l’autre au gré des situations. Ce qui lui vaudra le ressentiment de ses enfants. À travers elle, c’est tout un pan de l’histoire qui nous est racontée. On pénètre dans l’intimité des acteurs principaux de l’histoire. Derrière la figure historique, l’homme se dessine. Gorki est décrit comme un homme capricieux auprès duquel Moura jouera le rôle d’intendante. Son rôle consistera à lui faciliter la vie. Mère nourricière avec Gorki, amoureuse passionnée avec Lockhart, elle devra juguler les crises de jalousie de H.G Wells, plus connut pour ses frasques amoureuses que sa persistance à vouloir passer la bague au doigt à ses conquêtes. Alexandra Lapierre souligne avec talent le paradoxe saisissant au cœur du projet soviétique, incarné par l’écrivain russe Gorki. Entre égalitarisme et volonté de hisser la Russie au rang des nations éclairées, en dispensant aux classes pauvres une culture en libre accès, Gorki s’est fourvoyé, aveuglé par les promesses d’un gouvernement dont les actes ne cesseront de démentir les promesses. Sur le plan politique, elle sera accusée d’avoir participer à l’attentat contre Lénine, ainsi que d’avoir pris part au complot Lockhart visant à déstabiliser pour le compte des alliés le régime bolchevique. Sa position, son manque de parti pris et sa versatilité politique lui vaudront les pires accusations. Jamais blanchie, ni totalement disculpée, un flou entoure sa vie. Des zones d’ombre persistent malgré les efforts d’Alexandra Lapierre, qui durant trois ans n’a cessé d’écumer les bibliothèques du monde entier à la recherche du moindre détail touchant à la vie de son héroïne. La personnalité complexe de Moura résistera au travail d’investigation méticuleux et colossal entrepris par l’auteure. Tout comme chaque personne l’ayant côtoyée, à la lecture de ce roman le lecteur pourra se targuer de détenir une clé de lecture de sa personnalité sans toutefois en visualiser la totalité.

Conclusion

Alexandra Lapierre dresse un portrait de femme passionnant à travers ce roman. Si vous recherchez une lecture addictive, un pavé à dévorer sur la plage cet été, foncez !! 😉

>>> Chronique du Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2017, par ici !

>>> Chronique du Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2015, par ici !

 

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L’étrangère, Valérie Toranian : Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2015

Valérie Toranian signe avec ce premier roman, paru au moment de la commémoration des cent ans du génocide arménien, un portrait de femme bouleversant. À travers ce récit autobiographique, elle évoque le destin de sa grand-mère – Aravni, survivante du génocide. Toute sa vie Aravni se situera dans un entre-deux, obligée de faire une croix sur son passé, tout en ne parvenant pas tout à fait à s’intégrer. Valérie Toranian met l’accent sur ce pan de son histoire familiale constitutif de son identité. Elle fait s’entrecroiser la petite et la grande histoire dans un récit habilement construit. L’auteure alterne entre le périple entrepris par Aravni lorsqu’elle était jeune fille et les souvenirs d’enfance de sa petite fille. Elle se souvient de cette grand-mère au maintien fier avec qui il était difficile de communiquer. Malgré toutes les années passées en France, elle ne parviendra jamais à maîtriser le français, se débrouillant avec les quelques rudiments qu’elle connaît. C’est en cuisinant qu’elle trouvera le moyen d’établir un lien avec ses petits-enfants. La cuisine, vecteur puissant de transmission culturelle, servira de pont visant à combler le fossé entre les générations. Chaque met concocté devient le moyen d’imprimer sur leur palais les subtilités de la gastronomie arménienne et leur donne ainsi accès à des bribes de leur identité. D’autant plus qu’Aravni est consciente que la situation ne joue pas en sa faveur, son fils ayant poussé le zèle jusqu’à épouser une femme dont le prénom – Françoise – et la profession – professeure de français – attestent d’une volonté clairement affirmée de couper avec ses racines. Ce témoignage précieux rend compte admirablement de la difficulté à s’intégrer lorsqu’on a le statut de réfugié. Rejeté des deux côtés, il s’agit de composer sans toutefois se renier et perdre son identité. Valérie Toranian rend un très bel hommage à cette femme qui lui a légué, outre de belles boucles brunes, un héritage lourd à porter. Alors que sa grand-mère a mis un point d’honneur à ne pas évoquer le passé, Valérie entame le processus inverse. Seul moyen de ne pas oublier. Le propos sonne juste, le style de l’auteure est sobre et son ton dénué de pathos, permettant ainsi de compenser la dureté des faits relatés.

Le destin d’une rescapée du génocide arménien

Contrairement à la Shoah, dont l’intérêt de la part des intellectuels français pour le sujet vire à l’obsession, le génocide arménien suscite peu l’intérêt des romanciers. Et pourtant, le destin de ce peuple persécuté mérite d’être raconté. Valérie Toranian s’empare du sujet et nous offre un récit poignant. Certains passages vous serrent le cœur et vous glacent les sangs. Comme ce jour où Aravni est témoin d’une scène surréaliste, celle de jeunes mères abandonnant leurs enfants près d’un cours d’eau en comptant sur la providence pour venir les sauver. Sous ses yeux s’étend un champ entier de bébés. Les enfants ne survivront pas à la nuit, ils seront dévorés. Aravni ne pourra jamais effacer de sa mémoire leurs cris étouffés. Une fois les hommes décimés, les jeunes femmes sont enlevées pour être mariées, les enfants pour être adoptés tandis que les autres sont condamnés à errer. Aravni sera protégée par sa tante, seul membre de sa famille à avoir survécu. Son voyage la conduira d’Alep jusqu’à Constantinople pour finir par gagner Marseille. Ville cosmopolite où l’afflux de réfugiés offrent de nouvelles opportunités. Certains n’hésiteront pas à profiter de la vulnérabilité de ces nouveaux arrivants pour s’enrichir sur leur dos. Tout en feignant l’empathie pour mieux les ferrer, il ne masquent pas leur hostilité à l’égard de ces étrangers. Aravni fera preuve tout au long de sa vie d’un courage exemplaire. Elle avancera sans regarder en arrière. Lorsqu’elle quitte son pays natal, elle a conscience que ce départ est définitif. Ce qui peut être perçu comme de l’arrogance, n’est en fait que le moyen de se protéger, de garder une certaine contenance malgré les difficultés. Cette froideur ne la quittera pas. Elle ne s’épanchera jamais sur le passé. Extrêmement pudique, Aravni gardera pour elle les souvenirs de sa vie d’avant. Il n’a pas du être évident pour l’auteure de trouver la bonne distance, afin d’un côté de restituer l’histoire de tout un peuple, et de l’autre évoquer celle de son aïeule. Et pourtant, Valérie Toranian réussit avec brio à concilier les deux. L’étrangère est tout à la fois, roman familial, récit autobiographique et historique. C’est surtout un très bel hommage rendu par l’auteure à sa grand-mère, qui ne lui confiera son histoire que dans les derniers moments de sa vie. Son insistance à vouloir mettre des mots sur ce qui lui échappe afin de comprendre d’où elle vient, aura raison des résistances de son aïeule. Aravni appartient à cette génération de femmes pour qui ces « choses-là », ne se raconte pas. Les blessures on les garde tapies au fond de soi. À chacune de ses visites, Valérie saisit l’occasion de lui soutirer un détail. Même le plus infime lui permet d’y voir plus clair. Peu à peu, la tableau prend forme. Valérie Toranian finit par obtenir des réponses à ses questions. Chaque indice collecté lui permet de remonter le fil de son histoire familiale. C’est ce travail de reconstruction ponctué par des anecdotes savoureuses que l’auteure livre ici.

Conclusion

L’étrangère, titre particulièrement bien choisi, est un roman très réussi. J’ai été conquise par la manière qu’à l’auteure d’imbriquer l’histoire d’un peuple avec celle de sa famille. Ce récit est d’une beauté inouïe. Je vous le conseille vivement. À lire absolument !

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La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose, Diane Ducret : autobiographie romancée

Le dernier roman de Diane Ducret commence sur des chapeaux de roue. Les premières phrases donnent le ton. Piquant, drôle et grinçant. Les punchlines s’enchaînent. L’auteure s’attaque aux hommes et à leur petites lâchetés, met en doute leur faculté à donner et sa capacité à être aimée. À travers le destin d’Enaid – anagramme du prénom Diane – l’auteure nous parle sur un ton aigre-doux de blessures non cicatrisées. Diane Ducret signe une autobiographie romancée à l’humour décapant. Enaid est issue d’une famille dysfonctionnelle, d’une mère défaillante et d’un père aux abonnés absents. Elle est élevée par ses grand-parents. Née d’une mère au passé trouble, sa grand-mère s’est assignée la mission d’empêcher la jeune Enaid de devenir une traînée. Elle grandit dans un univers cloisonné, tout en étant avide de liberté. Elle la reprendra au fil des années. Attirée par des hommes torturés, sa soif de reconnaissance la conduit à accepter ce qu’elle aurait dû refuser. Enaid est prête à tout sacrifier à la seule perspective d’être aimée. Mon seul bémol réside dans le manque de parti pris de l’auteure qui m’a gêné. La question quant à la nature de l’objet reste en suspens. Quelle est la part de fiction et d’autobiographie ? Cette indécision n’est pas la seule. Le ton est tour à tour drôle et dramatique, pétillant et tragique. On est constamment dans un entre deux, comme si l’auteure avait voulu aborder un sujet sans toutefois trop se mouiller. Elle ne tranche jamais. J’aurais adoré qu’elle aborde son propos sous un angle différent, qu’elle nous expose ses blessures sans prendre de gants. Surtout que la vie de la jeune Enaid offre un très beau sujet de roman. Tous les ingrédients sont présents. Les anecdotes sont savoureuses. Le manque affectif dont elle souffre est palpable. Il aurait été intéressant de davantage fouiller le passé, révéler les failles de l’enfant abandonnée devenue une femme à la recherche de repères auxquels se fixer. Mon avis est donc mitigé, si j’ai passé un agréable moment de lecture, je n’ai pas su saisir le projet.

Une tragi-comédie

Le ton du roman est assez perturbant, l’humour sert de paravent. Diane Ducret a le sens du rythme, la phrase qui claque. Toutefois, sous le vernis, on entraperçoit une femme blessée. Dès le premier chapitre notre héroïne se fait quitter de manière cavalière, à grand renfort de phrases bidons, type « ce n’est pas toi c’est moi » ou encore « finalement je ne suis pas prêt à m’engager ». Il est bien loin le temps où l’on quittait une personne en la respectant, aujourd’hui un coup de fil c’est bien suffisant. Enaid se met à retracer le fil de son histoire. De son enfance mouvementée, à ses errances de femmes. Diane Ducret rembobine le film de sa vie. Tout commence le jour où après qu’ait éclaté une dispute entre ses parents, sa mère la dépose chez ses grand-parents. Ce seront eux désormais qui seront chargés de l’éduquer. Sa mère s’est envolée et son père ne pointe jamais le bout de son nez. Trop occupé lui dit-on. La jeune fille s’accommode de la situation. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’Enaid a un don, celui de tout faire foirer. Un don un peu particulier, vous en conviendrez. Rien ne se passe jamais comment cela devrait. Dès lors, on expérimente avec elle tous les degrés de la liberté. Puisque si l’adolescence est une période agitée, lorsqu’on a été tenue écartée de tout pendant des années, elle devient la période de tous les excès. Enaid teste ses limites jusqu’à se mettre en danger. Grandir sans son père, ni sa mère n’est pas sans conséquence. Elle avance sur le fil du rasoir, comme attirée par ce qui l’attend si elle chutait. Elle frôle la mort en espérant être sauvée. Elle se met dans des situation périlleuses, dont elle finit par s’extirper péniblement. Malgré une activité cérébrale au-dessus de la moyenne, Enaid reste vulnérable. Échaudée par une histoire d’amour au dénouement grotesque, rien ne semble lui être épargné. Sa vie est jalonnée de petits couacs qui la font diverger de ce à quoi elle aspirait. Diane Ducret avance masquée. Puisque ce double littéraire que l’auteure a inventé, lui permet de parler plus librement de son passé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les astres n’étaient pas alignés le jour de sa naissance. Pour moins, on serait dépassé. Le moindre événement prend des proportions démesurées. Ainsi, lorsqu’elle s’essaye à la danse, en plein milieu d’un ballet, il ne suffit pas à son collant de se filer, son justaucorps finira par craquer. Ce qui lui vaudra un passage éclair les fesses à l’air. S’essayant au piano, une activité hautement respectable, elle se retrouve à jouer l’air d’une chanson paillarde sous le regard éberlué de l’assistance. Et tout est comme ça avec Enaid. Le karma n’est pas de son côté. Il ne lui laisse pas une minute pour souffler. Pour autant le ton du roman n’est jamais larmoyant. L’auteure n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort.

Conclusion

Je suis partagée avec ce roman. La lecture est certes agréable, mais le projet manque de clarté. Je le conseille car je sais qu’il plaira. L’humour est au rendez-vous, le ton est enjoué malgré les difficultés, tous les ingrédients sont présents pour en faire un bon roman.Toutefois, je reste sur ma faim et ne suis pas pleinement convaincue. Je laisse à chacun le soin de se faire son propre avis 😉

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L’homme qui s’envola, Antoine Bello : l’homme qui se voulait libre

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Antoine Bello signe un roman génial avec L’homme qui s’envola. Sous couvert d’une chasse à l’homme vivifiante, il propose une réflexion intelligente sur notre rapport au temps. Ce mal endémique qui touche nos sociétés, à savoir voir le temps nous échapper, tout en étant inapte à l’habiter. Walker a 47 ans, marié, heureux en ménage et père comblé de trois beaux enfants, chef d’entreprise surdoué, il a tout pour être heureux. Et pourtant, il est prêt à tout sacrifier pour retrouver sa liberté. Constamment sollicité, il finit par étouffer. Avare de son temps, il est à l’affût du moindre gain de temps et constate avec amertume que celui-ci lui échappe totalement. Sa vie s’articule autour d’un arbitrage micro-économique précis consistant à évaluer les gains et les pertes liés à chacune de ses activités. Une idée se met à germer dans son esprit. Ce qui n’est au départ qu’un fantasme, finit par s’imposer. Un jour il saute le pas et met en scène sa disparition. Sa mort accidentelle simulée, il se pense sauvé. C’était sans compter sur la frilosité des assureurs à s’acquitter du montant faramineux de l’assurance décès qu’il avait contracté. L’assureur envoie son plus fin limier sur les traces du présumé fugitif. Ce dernier doté d’un flair redoutable est intimement convaincu que la mort de Walker a été orchestrée. Véritable stakhanoviste de la chasse à l’homme, Shepherd est un skip tracer chevronné. Il n’est pas homme à se laisser abuser. Malgré le peu d’éléments à se mettre sous la dent, il refuse de capituler et d’avouer son forfait. Ce qui revêtait un caractère professionnel, devient une affaire personnelle, dès lors que sa réputation est mise en jeu. C’est une question de fierté il ne le laissera pas filer. Ironie du sort pour Walker, lui qui rêvait de liberté, se retrouve traqué. Antoine Bello aborde finement la question du sens de l’existence. Où son personnage principal court-il comme ça ? Lui seul, le sait.

Une chasse à l’homme où le chat devient la souris

L’homme qui s’envola est un roman à double vitesse. La première partie, plus lente, sert à planter le décor. Elle est consacrée à la mise en place de tous les éléments. La situation nous est présentée, Walker prend le temps de murir sa décision. La disparition marque un tournant rythmique dans la narration. À partir de ce moment, tout s’accélère. Le roman prend un nouveau souffle, à l’image de la liberté réapprivoisée par notre héros. Il faudra peu de temps pour que le fugitif soit démasqué par le chasseur de primes. Ce dernier conçoit son travail comme une vocation. Il est incorruptible et diablement efficace. Une fois lancé, rien ne peut le faire dévier de la mission qu’il s’est assigné. Il s’acquitte de sa tâche avec un dévouement exemplaire et une abnégation totale. Son taux de succès avoisine les 100%. Même si dans le cas présent, Walker va lui donner du fil à retordre. Shepherd est confronté à un individu d’une autre trempe que ses précédentes proies. Walker est vif, il apprend vite et comble de l’ironie, tous ses enseignements il les tire de l’ouvrage intitulé L’art de traque, qui n’est autre que le manuel écrit par son poursuivant. Ce dernier, dans un excès de vantardise, a eu la faiblesse de confectionner le parfait manuel de survie d’une disparition réussie. Les deux hommes vont se livrer une bataille serrée, une course poursuite effrénée. Il est assez jouissif de voir Walker se terrer et détaler comme un lapin. Ils rivalisent d’ingéniosité. Il suffit d’un rien pour être repéré, une habitude un peu trop ancrée pour être démasqué. Je me suis régalée à remonter la trace de Walker, à suivre étape par étape les raisonnements tenus par les deux hommes. Chacun tentant de percer les intentions de son adversaire, d’anticiper ses mouvements. Le récit de cette chasse à l’homme à l’échelle des États-Unis est truffé de remarques très drôles. La langue est ciselée, l’auteur parvient avec brio à rendre intelligible des notions qui peuvent sembler confuses aux non initiés. C’est un pur régal ! 😀

Une réflexion intelligente sur notre rapport au temps

En filigrane apparaît une interrogation qui reste en suspens, connait-on vraiment ceux avec qui l’on vit ? L’homme qu’était Walker a l’âge de vingt ans, n’a plus les mêmes aspirations à quarante ans. On comprend le sentiment d’étouffement qui étreint Walker. Chaque engagement pris a entaillé un peu plus sa liberté jusqu’à le cadenasser. Ses motivations peuvent paraître égoïstes, et au fond elle le sont. Si les responsabilités qui pèsent sur ses épaules lui font l’effet d’un fil à la patte le clouant au sol, fuir signifie planter sa famille et son entreprise. En feignant d’être mort, il exclue tout retour en arrière. Son action est irréversible. Antoine Bello ne nous rend pas le personnage détestable. Au contraire, il joue sur l’ambivalence de la situation. Le lecteur est partagé entre le mépris qu’inspire Walker à placer ses intérêts en premier et sa tentative à moitié échouée de protéger la famille qu’il laisse derrière lui. Walker aurait pu passer pour un enfant gâté, et pourtant l’auteur souligne l’erreur qu’il y aurait à rendre manichéenne une situation où les intérêts de chacun sont inextricablement enchevêtrés. Jusqu’où peut-on accepter de voir sa liberté entravée ? Si une personne est au supplice, doit-on la libérer ? Walker ne laisse pas le choix à son épouse, mais la question est soulevée. D’ailleurs, la réaction de sa femme apporte un élément de réponse. La question du temps est centrale dans nos sociétés. On est constamment survolté, à traquer le moindre instant volé. La vie de Walker finit par se réduire, de manière assez misérable, à l’optimisation de chaque instant. À tirer profit de chaque moment. Son obsession vire au cauchemar. Une réunion de parents d’élèves, qu’un parent lambda trouvera ennuyeuse mais dont il s’acquittera, prend des allures de corvée insurmontable. De même, rivé à l’horloge murale Walker est incapable de se réjouir d’un match de foot disputé par son fils. Tout est prétexte à saper son temps. Chaque engagement est vécu comme une contrainte supplémentaire venant alourdir son emploi du temps. La situation devient infernale. On éprouve avec le narrateur cette claustrophobie, ce sentiment d’être coincé dans sa propre vie. Cette impression de laisser aux autres le soin de moduler sa vie, de disposer de son temps sans avoir de prise dessus. Tout cela est parfaitement retranscris sous la plume d’Antoine Bello, qui excelle à brosser le portrait d’un homme d’un égoïsme sidérant.

Conclusion

L’homme qui s’envola est un roman décapant qui s’attaque de front à des thèmes actuels. Antoine Bello rend compte à merveille de la vie d’un homme qui se sent prisonnier, comme pris au piège par les choix qu’il a fait. J’ai été conquise autant par le fond que la forme de ce roman. Je vous conseille de le lire ! 😉

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Mille petits riens, Jodi Picoult : un véritable page-turner & un immense coup de cœur !

Peu de romans exercent une telle force d’attraction. Une fois entamé, impossible de le lâcher. Jodi Picoult signe un ouvrage formidable, qui par moments vous glace les sangs. Un page-turner d’une efficacité redoutable, une lecture tout simplement jouissive et hautement addictive. Ruth est une femme africaine-américaine, sage-femme exemplaire, elle exerce depuis plus de vingt ans dans le même hôpital. Mère dévouée, elle a un fils brillant promis à une belle carrière, qu’elle a élevé seule après le décès de son père tombé en Afghanistan. Turk et Brittany forment un jeune couple de suprémacistes blancs prêts à donner naissance à leur premier enfant. Chargée de s’occuper du bébé, Ruth se voit retirer le droit de le toucher. Sa supérieure a glissé une note dans le dossier du patient stipulant très clairement : « Aucun soignant africain-américain n’est autorisé à s’occuper de ce bébé. » La pilule a du mal à passer. Le problème c’est que le service est en sous-effectif. Ruth se retrouve coincée à devoir le surveiller. Tout s’emballe lorsqu’elle remarque qu’il a cessé de respirer. Que doit-elle faire ? Placée dans une situation délicate par sa hiérarchie, elle se retrouve face à un dilemme, contrevenir aux ordres sous peine d’être sanctionnée, ou les respecter et mettre en péril la vie du bébé. Sa décision est prise, toutefois elle ne parvient pas à le réanimer. Ruth est la coupable toute désignée, elle est accusée de l’avoir tué. Jodi Picoult brosse un portrait au vitriol de l’Amérique. Elle dénonce une société gangrénée par la violence, inconsciemment pétrie d’idées racistes. Elle fait état d’une justice aveugle refusant d’être confrontée à la réalité sous peine de froisser les jurés en les confrontant à leurs préjugés. Le véritable chef d’inculpation est passé sous silence, pourtant il saute aux yeux. Mais l’évoquer reviendrait à perdre le procès. Un procès sous forme de mascarade où le seul moyen de se disculper est de prouver que l’on est bien intégré. Ce roman pose la question de l’arbitrage entre ce qui est judiciairement préférable et moralement acceptable.

Enfin un vrai roman !

Depuis plusieurs années, on voit fleurir en littérature des dérivés du roman mais qui en réalité n’en sont pas vraiment. Parmi ces déclinaisons, il y a l’exofiction qui tient le haut du pavé, mais l’on peut citer également l’autofiction, le roman autobiographique, les biographies fictives, la non-fiction romancée, les romans « inspirés du réel »… Bref, tous entretiennent un lien plus ou moins ténu avec le réel. On en venait même à se demander quid de la fiction ? Et à déplorer sa disparition. Je tenais donc à saluer l’initiative de Jodi Picoult, qui nous offre un roman dans la plus pure tradition. Dans ce récit de fiction tout est inventé, ce qui n’empêche absolument pas l’auteure d’en faire le reflet de la société. Mille petits riens m’a fait l’effet d’une bouffée d’air frais. Jodi Picoult signe un roman choral, permettant au lecteur de connaître les pensées de chacun des intervenants. Si de manière générale je ne suis pas friande de ce type de construction, ici elle fonctionne très bien. L’auteure se glisse dans la tête de suprémacistes blancs parvenant à nous expliquer leur schéma de pensée, sans que le rendu ne soit caricatural. Bien au contraire, on découvre la face cachée des États-Unis, un pays où des rassemblements ont lieu pour commémorer le jour de la naissance d’Hitler, où des mariages aryens sont célébrés, où il est possible en toute impunité de passer à tabac des gays, noirs, latinos… Le constat est terrifiant. D’autant plus qu’ayant renoncés à des actions punitives de grande ampleur, la plupart de ces groupuscules racistes vivent dans la clandestinité, n’affichant leur idéologie qu’en de rares occasions. Ils sont parvenus habilement à se camoufler. Jodi Picoult sonde le sentiment de haine qui les habite, le sentiment jubilatoire qu’ils éprouvent à déverser leur violence. Surtout, elle insiste sur leur incapacité à voir plus loin que le bout de leur nez. À l’inverse, Ruth n’a de cesse depuis l’enfance de légitimer sa présence aux yeux des autres. Elle est un exemple d’intégration réussie. Propriétaire de son logement, mère modèle ayant élevée son enfant seule, elle lui a transmis des valeurs d’humanité. Pour autant, lorsqu’elle se retrouve du jour au lendemain dans l’incapacité d’exercer, accusée d’un meurtre qu’elle n’a pas commis, le monde qu’elle s’est construit n’y survit pas. Tout vole en éclats. Elle devient une paria. Cet évènement fait ressurgir des angoisses qu’elle pensait avoir surmontées. Était-elle réellement intégrée ou seulement tolérée ? Ruth a beau avoir respecté les règles du jeu, au moindre écart elle est sanctionnée. Présumée coupable avant d’être jugée. Jodi Picoult aurait pu tomber dans le piège du misérabilisme social dépeignant à grand renfort de poncifs une femme noire victime de racisme. Il n’en est rien. Tout sonne juste. Même si certains propos évoqués m’ont hérissée, l’auteur s’efface devant le sujet et laisse à chacun le soin de s’exprimer. Ce roman est une pure merveille !

Conclusion

Je n’ai qu’une chose à vous dire, si vous n’avez pas encore eu la chance de lire ce roman, courez-vite l’acheter !! À LIRE ABSOLUMENT 😉

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Parmi les miens, Charlotte Pons : « Familles, je vous hais » (#RL2017)

La célèbre formule « Familles, je vous hais » d’André Gide aurait pu figurer en exergue de ce premier roman, tant elle résume efficacement le propos de Charlotte Pons. La concision de la narration ne laisse pas augurer de la densité des propos évoqués. Relativement court, servi par une langue délicate et un ton juste, Parmi les miens aborde des sujets sérieux sans que l’auteure ne force le trait. À travers la position particulière de l’ainée, Charlotte Pons nous fait entrer dans l’intimité d’une famille démunie face à une situation de crise. Suite à un accident, la mère est plongée dans le coma, sans que rien ne laisse présager une possible rémission. L’auteure construit son propos en partant de l’épicentre, l’accident, puis les sujets s’agrègent, viennent enrichir le propos, qui, à mesure que les cercles concentriques s’éloignent de l’onde de choc, gagne en profondeur. En partant de cet événement Charlotte Pons interroge la nature des liens qui unissent les membres d’une même famille. Liens de parenté, qui à l’œuvre du temps, ont perdu en intensité. Elle ausculte les réactions, les crispations qui naissent de la promiscuité imposée par cette situation délicate où chacun se retrouve contraint de composer. La tension est palpable, la moindre remarque propice à déclencher un regain d’animosité. Chaque accrochage devient l’occasion d’évacuer un trop plein de nervosité. Surtout lorsque l’ainée laisse échapper un malencontreux « autant qu’elle crève ». Trop tard, une fois prononcés, les mots ne peuvent être retirés. Ils s’immiscent dans les esprits et planent sur le récit. Au fil des jours, les échanges s’enveniment, les secrets affluent mais la question reste en suspens : Que fait-on de maman ? Surgit alors le sujet épineux du droit à mourir dignement. L’euthanasie, la complexité des liens familiaux et le flou entourant la personnalité de nos parents, dont nous ne disposons que de bribes, sont autant de sujets cruciaux abordés. Charlotte Pons signe un premier roman plus puissant qu’il n’y paraît.

La complexité des liens familiaux

La famille est un thème littéraire sur lequel les auteurs sont intarissables. Une source inépuisable de situations mise à la disposition des écrivains. La multiplicité des combinaisons étant infinie, chaque situation se prête au jeu de l’auscultation. Charlotte Pons imagine une famille tout ce qu’il y a de banal. Un père, une mère et leur enfants, un fils et deux filles. Manon est l’aînée, suivent chronologiquement Gabriel et Adèle. Dès les premières pages, la colère sourde et l’agacement de Manon sont perceptibles. Rien ne sert de dramatiser la situation, il faut rationaliser. En tant qu’aînée la lourde de  tâche de prendre des décisions elle se l’est naturellement octroyée. Elle ne peut se retenir de lancer des petits pics, de souligner l’ironie d’une situation même si elle égratigne les autres au passage. Un peu brute de décoffrage, elle n’en est pas moins terriblement attachante. Derrière l’apparente dureté, se cache une profonde maladresse. Consciente que sa mère avait formulé le souhait d’être débranchée plutôt que gardée inanimée, et au fait de son état de santé, elle provoque un tollé en émettant l’hypothèse d’une mort assistée. Sidérée par son manque de tact, sa sœur lui reproche de manière véhémente son manque de compassion. Que cherche-t-elle ? À tuer sa mère ? Son père, taiseux de nature, s’enfonce un peu plus dans le silence. Il reste mutique. Il est là, sans réellement être présent aux évènements, les subissant passivement. Tandis que Manon essuie les sarcasmes de son frère avec qui la situation ne s’est pas améliorée. Proches dans l’enfance, le frère et la sœur se sont considérablement éloignés. Il aura suffi d’un comportement à risque pour laisser s’insinuer la méfiance dans leurs rapports. Et comment faire autrement ? Petit à petit, le lecteur devient le spectateur de cette vie de famille étalée devant ses yeux. Par moment, Manon fait une pause dans les confessions qu’elle livre au lecteur, un arrêt sur image, puis zoom sur un détail. Ce dernier prend la forme d’une révélation, d’une conversation, d’un bout de vie, une sorte de clé de compréhension de son histoire familiale. Élevée dans une famille peu encline aux manifestations de tendresse et aux épanchements affectifs, la froideur de sa mère devient un élément explicatif de son désintérêt à devenir mère à son tour. Mis bout à bout, les morceaux du puzzle de leur vie familiale s’imbriquent. L’ensemble finit par former un tout cohérent éclairant leurs comportements. Charlotte Pons évoque avec habileté l’entrelacs des liens familiaux, ce qu’ils ont d’ambigu. On se retrouve dans les situations évoquées, ainsi que dans les comportements adoptés.

Le sujet épineux de l’euthanasie

Peu évoqué en littérature, le thème de l’euthanasie est pourtant un sujet de société qui mériterait d’être questionné par les romanciers. La législation française n’autorisant pas les malades en fin de vie à choisir la manière par laquelle ils souhaitent partir, des choix alternatifs s’offrent à eux. Il est possible d’aller en Suisse où l’euthanasie est autorisée ou bien comme l’explique Charlotte Pons d’avoir recours à des méthodes illégales. Dès le début, le lecteur comprend que la mère est condamnée. Il connaît également ses dernières volontés. Néanmoins, au sein de la famille, chacun doit se faire à l’idée de cette possibilité. Si certains vont la rejeter de but en blanc, d’autres vont l’adopter. Charlotte Pons pose la question centrale du choix de la personne concernée, doit-on rester fidèle à son choix initial même si celle-ci n’est plus là pour le réitérer ? Comment vivre avec le sentiment de culpabilité ? La question clivante aura tendance à diviser, mais Charlotte Pons a le mérite de la poser.

Conclusion

Parmi les miens est un premier roman prometteur. Il  a permis à Charlotte Pons de se révéler en tant qu’auteure. Le sujet de la maladie et de la fin de vie, est certes peu joyeux, mais rendu intéressant par sa prose délicate. S’atteler à de tels sujets pour un premier roman était un pari risqué, que Charlotte Pons a parfaitement relevé. J’attends le prochain avec impatience 😉

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L’héritage des espions, John le Carré : la résurgence du passé (#sortie2018)

Pour ceux qui l’ignorent, John le Carré est loin d’être l’auteur prolifique, octogénaire, réfugié en Cornouailles après avoir mené une vie paisible d’auteur à succès. Avant d’adopter ce nom d’emprunt, David Cornwell fut lui-même agent secret au service de sa majesté. Aux temps forts de la guerre froide, il travailla pour le MI5 puis pour le MI6. Sa couverture compromise, il mit fin à sa carrière d’espion. Fort de son expérience sur le terrain et des connaissances acquises au cours de ses missions, il se reconvertit en auteur de romans d’espionnage avec le succès qu’on lui connaît. Il va sans dire que son sujet il le maîtrise à la perfection. Ce 24e opus, où l’auteur laisse pointer une certaine nostalgie, témoigne du choc entre deux époques. Il y évoque deux générations de l’art du renseignement mues par des conceptions aux antipodes. Georges Smiley – héros récurrent et figure emblématique de l’œuvre de John le Carré – ainsi que son ancien acolyte Peter Guillam se voient tirés de leur retraite par leur ancien employeur et rattrapés par leur passé. Les deux agents avaient pris part en 1961 à une mission délicate outrepassant les ordres du Comité de pilotage soupçonné d’être infiltré. La mission fut un échec. Elle s’était soldée par la mort d’un agent de terrain émérite ainsi que sa campagne au pied du mur de Berlin. Que s’est-il réellement passé ? Acculé, Peter Guillam n’a d’autres choix que de se replonger dans cette période, non sans réticences, afin d’en éclaircir les zones d’ombre. Ce dernier ouvrage atteste du talent de l’auteur qui excelle à élaborer des intrigues complexes à la construction exemplaire. Dotée d’un charme fou, la plume de John le Carré est d’une grande finesse. De par la précision des descriptions, l’auteur parvient à nous plonger dans un monde aujourd’hui totalement disparu. Le tout saupoudré d’un humour très British lorsqu’il souligne avec un pincement au cœur l’écart entre ce que fut et ce qui est advenu des lieux de son passé. John le Carré ne cesse de se renouveler et pour le meilleur. Chapeau bas !

Le maître du roman d’espionnage confirme sa capacité à se réinventer

L’espion devenu auteur a fait de la guerre froide le cadre spatio-temporel de l’ensemble de ses romans. Révolue depuis près de trente ans, le choix de l’époque aurait pu lassé le lecteur. Mais c’est sans compter sur le charme fou de l’auteur qui parvient à insuffler un véritable souffle à ses romans. Le nœud de l’intrigue passe au second plan et c’est avec délectation que l’on retrouve les personnages récurrents de l’œuvre de John le Carré. Contrairement à certains de ses contemporains, John le Carré ne fait pas dans la surenchère, dans l’effusion, ni dans l’excès d’hémoglobine. Le style de l’auteur est élégant, simple et efficace. Ces romans attestent d’un véritable souci du détail, qui renforce la vraisemblance des scènes. Lire un roman de John le Carré, c’est se plonger dans un pan de l’histoire du 20e siècle. Les personnages sont sobres, énigmatiques, ils conservent une part de mystère. Ils incarnent l’antithèse de l’archétype de l’espion décrit par Ian Fleming. Hormis sont statut d’agent secret britannique qu’il partage avec les protagonistes de John le Carré, James Bond se distingue par sa misogynie, son insubordination et son charme ravageur, s’affichant au bras de belles blondes un martini à la main aux bars de palaces du Sud de la France. Malgré mon affection pour l’auteur, son ouvrage précédant m’avait laissée sur ma faim. Dans Le tunnel aux pigeons, John le Carré revient sur son expérience en tant qu’espion. Cet exercice autobiographique était pratiqué avec tant de retenue – au vu de ses anciennes activités au sein du renseignement britannique – qu’il finissait par sonner creux. À la lecture de son autobiographie, je pris peur que l’auteur ait perdu sa verve, mais je vous rassure il n’en est rien. L’héritage des espions atteste de la capacité de l’auteur à s’adapter à son époque et à se réinventer. Dès les premières pages, enjoint par « le Cirque » – ancien nom donné à ses employeurs – de quitter sa retraite pour se rendre à Londres afin de rendre des comptes quant à ses actions passées, l’auteur à travers le personnage de Peter Guillam ne manque pas d’humour pour décrire les changements désolants opérés par le temps. Il déplore avec ironie qu’à la place du délicat portier, soucieux de l’étiquette et en faction à l’entrée du bâtiment en briques rouges des services secrets, l’on soit ausculté de fond en comble par une jeune femme en survêtement « une raquette à la main » en guise de détecteur de métaux. L’auteur relève chaque détail attestant du passage du temps. Il saisit avec justesse les nouveaux enjeux que présente notre époque et qui n’existaient pas à la sienne. Les problématiques évoluent avec le temps. On perçoit dans le ton de l’auteur un certain fatalisme, une nostalgie du passé et certainement une angoisse quant à ce qui nous attend. Ce décalage entre le passé et le présent, l’écrivain le rend parfaitement. L’écart qui sépare les deux générations d’agents, une fois en contact ne peut que provoquer des étincelles. Le rapport de force s’installe, l’un se claquemurant dans le mutisme, réfractaire à l’idée de divulguer des secrets si longtemps gardés sous scellés, tandis que les autres en position de force exercent une pression pour faire éclater la vérité. On assiste au jeu du chat et de la souris. Qui des deux l’emportera ?

Conclusion

L’héritage des espions est ce que l’on appelle un page tuner. L’intrigue est palpitante, les personnages attachants, l’écriture happe totalement le lecteur, ne le délivrant qu’une fois la dernière page tournée. Ce dernier ouvrage de John le Carré m’a totalement conquise. J’ai adoré sa façon de concilier deux périodes chronologiquement éloignées et d’insister sur les changements opérés. John le Carré ne peut pas être restreint à un auteur de romans d’espionnage. Son talent dépasse ce simple cadre. Sa plume vous emporte pour ne pas vous lâcher. En espérant que ce ne soit pas son dernier !

 

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Le jour d’avant, Sorj Chalandon : rentrée littéraire 2017 (#RL2017)

Sorj Chalandon honore la mémoire des 42 mineurs, morts des suites d’une explosion survenue le 27 décembre 1974 au fond de la fosse de Saint-Amé et provoquée par la présence de grisou, en leur dédiant son dernier ouvrage, paru pour la rentrée littéraire 2017. Marqué par la catastrophe, alors qu’il faisait ses débuts dans le journalisme à Libé, écrire ce roman revêtait une importance particulière. Il signe un ouvrage politico-social corrosif volontairement à charge contre l’industrie minière, si coûteuse en vies humaines, avec pour toile de fond la lutte des classes. Il se saisit d’un évènement historique véridique et y introduit une part de fiction. Joseph, dit Jojo met fin à sa carrière de mécanicien pour entrer à la mine. Jojo a un frère, Michel. Ils sont particulièrement soudés. La veille de la catastrophe, ils prennent la moto, s’enivrent de vitesse. Cette échappée leur procure un sentiment de liberté, comme un pied de nez fait à la mine. Seulement quelques heures plus tard, Jojo doit reprendre le travail. À 6h19, une explosion ôte la vie à 42 mineurs. L’accident est survenu fosse 3, celle où Jojo travaillait. Les autopsies pratiquées sont formelles, la faute n’est pas à la fatalité. Les corps sont remontés calcinés. Le bilan est meurtrier. Quarante ans plus tard, on retrouve Michel, victime collatérale de la catastrophe pour qui la plaie ne s’est jamais refermée. Animé d’un esprit vengeur, il entend faire payer aux coupables le prix de leur négligence. Son obsession est alimentée par les derniers mots laissés par son père avant de mourir « Venge-nous de la mine ». Si je suis restée hermétique au destin du narrateur, la plume féroce de l’auteur m’a conquise. Il maintient la tension jusqu’au bout, opérant un retournement de situation très réussi, qui donne une nouvelle impulsion à la narration. Le procès auquel on pensait assister, n’est pas celui auquel on s’attendait. L’auteur joue sur les faits. Mais qui sera jugé ? Perplexe quant au choix du titre, celui-ci finit par prendre tout son sens.

Plongée au cœur de l’industrie minière du Nord de la France

Exception faite de Germinal d’Émile Zola, le monde de la mine m’était avant ce roman parfaitement inconnu. Avant de me lancer dans la lecture de mon premier roman de Sorj Chalandon, j’avais par conséquent quelques appréhensions. D’autant plus que je connaissais le penchant de l’auteur pour les romans sur fond de critique sociale acerbe. Journaliste à Libé et au Canard Enchaîné, il était peu probable que l’auteur fasse l’éloge du capitalisme et loue les mérites de l’industrie minière 😉 Pour tout vous dire, j’avais un peu peur de me retrouver avec un brûlot entre les mains. Je vous rassure ce n’est absolument pas le cas. Cette aparté refermée, Le jour d’avant est avant tout un très bel hommage rendu par Sorj Chalendon aux victimes de la catastrophe minière de Liévin-Lens. L’accident survenu le matin du 27 décembre 1974 fut l’un des plus meurtriers du 20e siècle. Le caractère exceptionnel de cet accident réside dans le procès qui a suivi. En effet, la culpabilité de la société d’exploitation – les Houillères du bassin du Nord – a été reconnue lors du procès. Il faut savoir qu’avant ce cas-là, la responsabilité des exploitants n’avait jamais été mise en doute. On préférait en appeler à la fatalité. De nombreuses enquêtes ont démontré la présence de grisou et la non conformité des galeries aux mesures de précaution. De plus, il s’avère que les mesures de grisoumétrie n’avaient été que partiellement effectuées. Le verdict du procès et l’inculpation des responsables a fait grand bruit. Il faut reconnaître à Sorj Chalandon qu’il maîtrise son sujet sur le bout des doigts. Les descriptions semblent parfaitement réalistes, l’auteur a creusé son sujet dans un souci de vraisemblance. On est témoin des ravages de la silicose. On prend conscience des angoisses des mineurs face à la présence du grisou, ce gaz hautement inflammable composé à 90% de méthane. Le sentiments d’appartenance à un groupe de métier est très fort. Chacun d’eux éprouvent une certaine fierté à risquer sa vie dans les galeries souterraines, quand d’autres se la coulent douce en surface. Sorj Chalandon réussit à rendre compte des spécificités de ce monde, aujourd’hui disparu. La fosse n°3 cessera toute activité en 1978.

Verdict ?

Hormis quelques longueurs dans la première partie du roman, où les pensées du narrateur finissent par s’embourber à force de tourner en rond, ma lecture a été agréable. L’écriture est puissante tout en étant fluide, nul sensation d’asphyxier malgré la dureté du sujet. Cela étant dit, je souhaite toutefois souligner que j’ai été incapable de me lier au personnage principal. Son combat a des allures d’obsession. Aucun aspect de sa personnalité ne me l’a rendu sympathique. Son incapacité à s’exprimer de manière intelligible en devient irritante. Ce n’est pas le personnage principal en prise avec son histoire familiale qui m’a intéressée mais la tension distillée par Sorj Chalandon qui m’a convaincue de continuer. Je ne m’attendais absolument pas au retournement qui survient au milieu du roman. Le basculement opéré dans la narration teinte le récit d’une dimension psychologique intéressante, à laquelle on ne s’attend pas.

Conclusion

Mon avis concernant ce roman est en demi-teinte, j’ai été enchantée par la plume de Sorj Chalandon ainsi que par la découverte de l’univers minier, qui ne m’était pas familier. Néanmoins, le nœud de l’intrigue m’a laissée de glace. Je suis restée en dehors de la vie de cet homme dont le sort m’indifférait totalement. Ma curiosité éveillée, je me suis procurée d’autres ouvrages de l’auteur dont je vous parlerai incessamment sous peu 😀


Mon évaluation : 3,5/5

Date de parution : 2017. Grand format aux Éditions Grasset & Fasquelle, 336 pages.


 

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