Décidément, la collection Quai Voltaire a du nez lorsqu’il s’agit de dénicher des petites pépites. L’année dernière, Naomi Wood nous offrait le roman de l’été avec le formidable et très frais Mrs. Hemingway. Cette année, je récidive puisque je vous conseille de glisser dans votre valise le savoureux western signé Paulette Jiles. Texas, 1870. La conquête vers l’Ouest fait rage. L’anarchie règne au Texas où des milices font la loi tandis que les Indiens réalisent des raids, capturant au passage des enfants blancs. Johanna Leonberger avait six ans lorsqu’elle fut enlevée par la tribu Kiowa. Élevée selon leurs traditions, elle a assimilé leurs coutumes, faisant table rase de ce qu’on lui avait inculqué. Parfaitement intégrée, elle est pourtant libérée et censée retrouver son véritable foyer. Capitaine Kidd est un vieil homme. Pour gagner sa vie, il arpente quotidiennement les grandes étendues arides du Texas lisant les actualités des journaux à voix haute devant un public chaque fois différent. Espérant ainsi apporter un peu de magie et d’exotisme à des esprits échauffés par la guerre de sécession. Las de sa vie d’itinérant, le condamnant à vivre seul, récemment veuf et père d’enfants devenus grands, Capitaine Kidd sent peser le poids des années et se laisse gagner par le découragement. C’était sans compter sur la mission qui l’attend. Il se voit confier la jeune fille qu’il devra ramener chez ses parents. C’est le début d’un périple explosif. Rompue à la vie dans des contrées sauvages, Johanna se révèle agile et intrépide. Prête à scalper l’ennemi quand celui-ci s’approche de trop près et à utiliser des pièces de monnaie en guise de munitions quand elles viennent à manquer. Les deux êtres farouches apprennent à s’apprivoiser, guettant l’ennemi qui les attend au tournant dans les décors somptueux du Wild West américain. Paulette Jiles signe un roman au charme fou, lumineux, à la fois généreux et humain, mené tambour battant par un duo de choc terriblement attachant.
Un duo de choc
Le charme opère grâce à ce duo étonnant. Un vieil homme en proie aux doutes, persuadé de n’être plus qu’une vieille carcasse usée ayant fait son temps, et une jeune fille de dix ans, enlevée à sa famille, rachetée par l’Agent des affaires indiennes, libérée, puis sommée de regagner son foyer. Retenue captive pendant quatre ans, Johanna rejette le monde moderne. Elle développe une sorte de claustrophobie des espaces restreints. Les grandes villes la terrorisent. Elle aspire à vivre au grand air, loin des injections du monde contemporain. Elle fait ressurgir des émotions que Capitaine Kidd avait oubliées, étouffées, au fil des années écoulées. L’apparente rudesse du conteur se craquelle progressivement, révélant un homme généreux doté d’une grande tendresse. Il retrouve ses instincts protecteurs. Se défend courageusement malgré ses soixante douze ans. Ce regain de vitalité il le doit à Johanna, qui redonne un sens à sa vie. La petite, objet de convoitise, leur vaut d’être constamment traqués et attaqués. Rodée à l’art de la guerre, Johanna sidère celui qu’elle appelle grand-père en faisant preuve d’un sang-froid exemplaire et d’une audace à toute épreuve. L’épisode rocambolesque de la grande fusillade aux pièces de 10 cents méritent tous les hommages, tellement la complicité entre les deux compères est flagrante. On se délecte de cette scène de bataille, où Johanna rivalise d’ingéniosité. Il n’est pas donné à tout le monde de concocter des munitions composées de pièces de monnaie faisant office de balles afin de trouer la peau de ses ravisseurs. Rien que pour ça, il faut absolument lire ce roman !
Un voyage à travers l’Amérique sauvage
Paulette Jiles nous fait voyager dans le temps, en nous transportant au cœur de l’Amérique sauvage, à feu et à sang, des années post Guerre de Sécession. Le Texas, rallié aux États confédérés d’Amérique en 1861, fut obligé de capituler en 1865, à la fin de la Guerre de Sécession, et de réintégrer l’Union dès 1870. La région à cette époque est une véritable poudrière. La tribu Kiowa, à laquelle a appartenu Johanna, ainsi que les Comanches sont installés en Territoire Indien. Néanmoins, loin d’apaiser les tensions, la Guerre de Sécession les a aggravées, alors qu’elle s’étaient déjà intensifiées dès 1860. Les Indiens s’opposant fermement à la colonisation de leurs terres par les « blancs ». Les massacres se multiplient fragilisant considérablement les peuples Amérindiens perdant du terrain face aux colons blancs. Les guerres indiennes prendront fin à la fin du siècle. Les terres sont entièrement colonisées. Les Indiens, quant à eux, ont été chassés ou décimés, et se retrouvent parqués dans des réserves. Le nombre de victimes du génocide amérindien est estimé entre 80 et 100 millions de morts. C’est cette époque qui nous est racontée par Paulette Jiles à travers le voyage de Capitaine Kidd et de Johanna. Des routes peuplées de mercenaires et de brigands, où le danger est omniprésent. Un pays divisé politiquement qui a peine à s’unifier sur le socle de valeurs communes. De là, vient cette culture des armes à feu. Chacun est garant de sa propre sécurité dans une région où la seule loi en vigueur est celle du plus fort. L’écriture délicate de Paulette Jiles rend compte à merveille des paysages que traversent nos compagnons de voyage. Des terres arides, aux grandes plaines, aux eaux agitées des fleuves qu’ils devront affronter. C’est avec un plaisir immense qu’on s’immerge dans la culture locale et que l’on côtoie des personnages aussi attachants que terrifiants.
Conclusion
Je n’ai qu’une chose à dire, FONCEZ lire ce roman ! Finaliste du National Book Award, ce n’est pas un hasard, puisque tous les ingrédients sont présents pour en faire un grand roman d’aventures, certes, mais surtout de filiation. Puisque c’est bien de cela dont il s’agit. Les nouvelles du monde est l’histoire d’un homme qui va redonner un sens à sa vie en veillant sur une jeune fille désorientée. Tout simplement bouleversant !
Mon évaluation : 5/5
Date de parution : 2018. Grand format aux Éditions de La Table Ronde (collection Quai Voltaire), poche chez Folio, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch, 240 pages.
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