Bien loin des westerns traditionnels, Des jours sans fin fait s’entrelacer la petite et la grande histoire à travers le destin d’un jeune irlandais,Thomas McNulty, débarqué en Amérique pour échapper à la famine qui sévit dans son pays. Enrôlé dans l’armée, il s’en va combattre les indiens, accompagné de l’amour de sa vie John Cole. Plus tard, il se battra du côté de l’Union pendant la guerre de sécession. Pris dans la machine infernale qu’est la marche de l’histoire, Thomas et John écriront la leur au cours des périodes d’accalmie. C’est ainsi que les soldats aguerris sillonnant les grandes plaines de l’Ouest, se déferont de l’uniforme pour se travestir en femmes, offrant des représentations burlesques à des hommes en quête de tendresse. Écrit à la première personne, ce récit est avant tout une réflexion sur le sens de l’Histoire et les étapes de construction d’une nation. Sur le besoin de suprématie inscrit dans l’ADN humain. La nécessité d’anéantir pour se construire. Sorte de destruction créatrice dont la matière est la chair humaine. Comme si pour exister, l’homme devait nécessairement effacer ce qui lui a préexisté, faire table rase du passé. La création d’une forme d’unité suppose d’écarter tout ce qui est étranger. La rage sourde qui habite Sebastian Barry surgit dans les descriptions de paysages saturés de couleurs et de lumière. Véritable explosion de matière. L’absurde et l’horreur des scènes de bataille sont sublimés par l’esthétique de la langue. La beauté surgit là où on ne l’attend pas, dans des images de corps mutilés, des amas de chairs sanguinolents, dans l’annihilation de l’homme par l’homme. Danse macabre maintes fois répétée. Sebastian Barry signe une œuvre ultra contemporaine, sous la forme d’un western revisité, dont le véritable sujet est le besoin de supériorité inhérent à l’homme. La constance avec laquelle l’on reproduit à l’identique un schéma sans parvenir à s’en détacher. La force du récit réside dans la puissance avec laquelle Sebastian Barry retranscrit la fureur des hommes et leur résilience face à une issue inéluctable.
Le sens de l’Histoire
L’Histoire peut se lire, à la lumière des successions de civilisations, comme une processus de destruction créatrice. Le déclin d’un peuple marquant l’avénement d’un autre. Les causes des extinctions sont multiples, pour beaucoup naturelles, pour d’autres l’œuvre de l’intervention humaine. Sebastian Barry évoque dans cette fresque historique et romanesque foisonnante, le génocide des indiens d’Amérique. Soit la volonté de coloniser et de s’approprier ce qui appartient à un peuple étranger. Mais également la lutte fratricide que fût la guerre de sécession. La scission de l’Amérique en deux territoires ennemis, qui jusqu’alors formait un tout uni. Il est passionnant de voir que le besoin de tuer revêt la même forme, que celui qui nous fait face soit un être qui nous ressemble ou pas. Dans ce chaos ambiant de mâles dominants, Thomas McNulty fait figure d’exception. Lui qui n’aspire qu’à vivre en paix, avec l’homme qu’il aime et l’enfant Sioux qu’ils ont adoptée. Le personnage est emprunt de douceur, et c’est avec la même délicatesse que Sebastian Barry évoque par touches le thème de l’homosexualité dans un univers virile. Le plaisir de revêtir des vêtements de femmes, de se raser de près, de laisser sa féminité éclore en toute liberté, la laisser pleinement s’exprimer et ne plus la brimer. Ces jours sans fin, où domine un vacarme assourdissant, sont parfois traversés d’une lumière, d’un éclat comme une parenthèse de félicité, qu’il est essentiel de savoir savourer. L’îlot de bonheur que le couple a su constituer est un espace préservé, à mille lieux du carnage des champs de batailles tapissés de morceaux de corps disloqués. Pour survivre à la violence des hommes, il faut savoir saisir ces instants de bonheur fugaces.
Conclusion
Des jours sans fin est un grand roman, qui demande de prendre son temps pour en saisir toute la richesse. Il faut se laisser imprégner par les mots de l’auteur, leur brutalité qui contraste avec la douceur du narrateur. Sebastian Barry porte un regard terrible sur notre société et rend compte avec brio de la férocité de l’âme humaine. Il revient à chacun de s’entourer de telle manière à s’en préserver.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 2016. Grand format aux Éditions Joëlle Losfeld, traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Davaux, 272 pages.
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