Auteur prolifique et maître du genre, Zane Grey signe avec Les Cavaliers des canyons « le premier western littéraire ». Un texte éblouissant dont son éditeur, frileux à l’idée de froisser la communauté mormone, a différé la publication. 1871. À la mort de son père, Jane Withersteen hérite d’une fortune considérable et d’un immense domaine dans les plaines de l’Utah. Fervente croyante, elle s’est éprise d’un étranger et refuse d’épouser un homme de sa communauté. Harcelée, pillée et menacée, Jane sent les ombres qui l’entourent se rapprocher. Telle une main invisible venant entraver son destin, des forces œuvrent dans l’obscurité à la ruiner. Tiraillée entre sa foi inébranlable et l’emprise dont elle essaie de se soustraire, elle s’en remet à un mystérieux cavalier. Le pistolero vêtu de noir, exterminateur de mormons réputé, met un temps de côté ses préjugés pour lutter à ses côtés. Sans pour autant perdre de vue la mission vengeresse qu’il s’est assignée. À charge contre l’idéologie sectaire, ce western, qui tient autant de la quête initiatique que du roman d’aventures, est porté par une langue superbe et imagée. Sont décrits avec le même lyrisme, la même puissance évocatrice, les paysages sauvages du Far West, que les ressorts psychologiques violents du processus d’embrigadement. La tension narrative qui émane du roman est à l’image de la maturation de l’héroïne qui, à mesure que l’étau se resserre, ouvre les yeux sur la perversité des membres de sa communauté. Des exaltés pour qui l’obéissance à Dieu s’assimile au fanatisme religieux. Chauffé à blanc, son être s’embrase face aux vexations qui lui sont infligées. En proie aux pires tourments, son âme se cabre. L’emprise est telle, que seul un sentiment aussi puissant que l’amour saura la transcender et lui insuffler la force de résister. Loin de la briser, les privations renforcent sa volonté. Récemment traduit par les Éditions du Sonneur, ce roman flamboyant fait de l’amour le moyen de racheter ses péchés et de conquérir sa liberté.
Elle ne souffrait pas, mais un duel moral pour l’heure sans vainqueur se livrait au plus profond de son être. Attendre que l’un ou l’autre de ses sentiments – la foi, le désir, la liberté – l’emporte était presque aussi pénible qu’une souffrance physique.
Si cette puissance intangible et secrète refermait de nouveau son étau sur elle, si cette main invisible continuait à manipuler les êtres et les choses autour d’elle, l’étouffant lentement du poids de son mystère et de son invraisemblable influence, elle se saurait alors victime non du hasard, ni de la jalousie, ni de l’intimidation, ni de l’ire d’un ministre du culte envers sa révolte, mais d’une stratégie froide et calculée conçue bien avant sa naissance, de la volonté obscure et immuable de l’empire dont elle et tout ce qui lui appartenait n’étaient qu’un infime atome.
Des personnages incarnés et une nature sublimée
Le western selon Zane Grey, ce sont des personnages très incarnés, mus par des sentiments violents. Des femmes de tempérament. Des hommes cruels ou des chevaliers servants. Cette conception un brin manichéenne est contrebalancée par la beauté des descriptions et la puissance romanesque du récit. Les paysages de l’Ouest américain sont décrits avec une telle minutie, que l’on s’y croirait. D’un réalisme parfait, le lecteur entend le bruit des sabots des pur-sang de Jane Withersteen frappaient le sol, le colt qu’un caballero est en train de charger et les coups de feu tirés au loin dans Surprise Valley, où Balancing Rock manque de s’écrouler. Les personnages de Zane Grey tirent leur force de cette nature sauvage, indomptée. L’attachement de l’héroïne à ses pur-sang est d’ailleurs révélateur de la volonté de l’auteur d’assimiler la puissance de l’animal au caractère de Jane.
Peu à peu lui vint l’idée que la métamorphose n’était pas contenue dans ce qu’il voyait, mais dans ce qu’il ressentait. Et ainsi couché sur la corniche, le vent des falaises lui chantant dans les oreilles, les étoiles claires scintillant au-dessus de l’altière et sombre cheminée, la nature de ce changement lui fut révélée : il n’était plus seul.
Vaquero en charge d’un troupeau, il n’avait jamais pensé ni à la solitude, ni à la sauvagerie de la nuit ; âme désormais bannie, dans le silence le plus total, l’obscurité la plus profonde, illuminée seulement par les traînes scintillantes des étoiles froides et calmes, il ressentait vivement les tourments de son cœur.
Deux histoires d’amour enchâssées et une construction narrative habilement menée
Ce qui rend si singulier ce western, c’est la double narration imaginée par Zane Grey. En effet, d’un côté nous suivons Jane Wistersteen qui, épaulée par Lassiter, lutte pour sa liberté. De l’autre, Venters, un Gentil (non Mormon) contraint de fuir Cottonwoods et son ami Jane, trouve refuge dans une anfractuosité nichée dans les falaises. Un paradis terrestre qu’il partage avec une jeune femme, qui fut un temps le Cavalier masqué d’Oldring. Un homme dont le seul nom glace les sang. Un bandit et voleur de bétails sévissant dans les plaines de l’Utah. Contrairement à beaucoup de westerns qui mettent l’accent sur les fusillades, règlements de compte et combats sanglants entre colons et indiens, les deux histoires d’amour des Cavaliers des canyons structurent le récit.
Je suis certain qu’en te venant en aide, je m’aiderai moi-même. Mon âme était malade. À présent, j’ai un but dans l’existence.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 1912. Éditions du Sonneur, traduit par Anne-Sylvie Homassel, 496 pages.
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