Un amour trop grand pour ses enfants avait peut-être provoqué leur désamour. Savoir que pour leur mère ils représentaient ce qui comptait le plus dans sa vie pesait trop lourd sur eux trois. Leur père les aimait aussi, bien sûr, mais sans provoquer le fardeau d’obligations qu’imposait la dévotion d’Eleanor.
Orpheline, après une enfance passée à l’ombre du couple fusionnel formé par des parents alcooliques emportés trop tôt par un accident, Eleanor investit ses espoirs et ses droits d’auteur dans une ferme dans le New Hampshire. Une petite maison isolée au bout d’un chemin de terre sans issue, surplombée par un frêne géant, à proximité d’une cascade. Un point d’ancrage où l’autrice et illustratrice de livres pour enfants rêve d’établir le foyer familial dont elle a été privée. Bâtie sur des fondations fragiles, la vie qu’Eleanor a fantasmée : sa rencontre avec Cam, leur passion, suivie d’une grossesse deux mois après, leur mariage et dans la foulée la venue de deux autres bébés, tiendra sur le fil quelques années. Une vie simple à la campagne ponctuée par la succession des saisons et des rites annuels. Comme la mise à l’eau de leurs bonhommes-bouchons célébrant l’avènement du printemps. La parenthèse idyllique se referme violemment le jour où une tragédie frappe leur famille. Remplie de rancœur, d’amertume et de colère, incapable de pardonner à son mari, Eleanor amorce le déclin progressif de leur couple. Un délitement alimenté par son obsession pour le bonheur de ses enfants, sur lesquels elle effectue un transfert dans sa vaine tentative de réparer une enfance solitaire. Le corollaire de cet amour étouffant étant une déception à la hauteur de ses attentes et une exclusion inévitable, résultant d’un instinct de protection. Petits et grands drames, difficulté d’articuler vie professionnelle, conjugale et familiale, d’aimer sans étouffer l’autre, de ne pas projeter sur ses enfants des attentes démesurées trop chargées émotionnellement… Où vivaient les gens heureux réunit les thèmes chers à Joyce Maynard, qui puise dans son expérience personnelle la matière d’une chronique familiale à vous déchirer le cœur. Une fresque intime dessinant sur quarante ans le portrait d’une héroïne profondément sensible et humaine qui, dans sa quête de bonheur, tente avec maladresse de combler des carences affectives. Pour réaliser, au crépuscule de sa vie, l’importance de se réconcilier avec son passé et de pardonner à ceux qu’elle a aimés.
Quelques citations ✍️
Parfois, il faut partir de chez soi pour devenir la personne qu’on doit être.
Elle voulait faire de chaque journée une merveille et la pression qui en résultait créait souvent le résultat inverse.
Toutes ces années, elle avait supposé qu’il existait quelque part un manuel de règles expliquant comment devait se dérouler une relation, mais elle n’en possédait pas d’exemplaire. Elle s’était persuadée qu’elle faisait tout de travers, au point qu’elle n’avait absolument pas perçu, quand elle en avait eu la possibilité, qu’elle était peut-être en train de vivre quelque chose de très bien, ou du moins d’agréable.
Comment se peut-il que la personne avec qui on a partagé les moments les plus intimes, un très grand amour, une immense douleur, des joies et aussi des chagrins, devienne un étranger ?
Mon appréciation : 4,5/5
GRAND PRIX DE LITTÉRATURE AMÉRICAINE 2021
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions Philippe Rey et poche aux Éditions 1018, traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Lévy-Paoloni, 560 pages.
Qu'en pensez-vous ?