Il nous faudra encore mettre des mots sur la douleur, revenir sur nos erreurs, déchiffrer nos dérives, entendre notre colère et notre humiliation. Il nous faudra boire jusqu’à la lie la coupe de nos défaites et en accepter l’amertume. Il nous faudra comprendre le mal qui nous mutile pour espérer le vaincre et, enfin, trouver l’apaisement.
De la guerre d’indépendance, aux massacres en pays Bamilékés, à la corruption endémique gangrenant les institutions publiques, jusqu’au slogan #BringBackOurGirls, en soutien aux fillettes enlevées par la secte Boko Haram en 2014, Hemley Boum embrasse cinquante ans de l’histoire politique du Cameroun. Au chevet de sa mère malade, dont elle récolte les confessions, Abi tire le fil d’une fresque familiale chevauchant deux continents et cinq générations. Une lignée maudite de filles orphelines à la naissance, dont les mères, suscitant la convoitise des hommes, ont péri sous les coups d’un mari violent ou d’un amour obsédant. La condition féminine étant reléguée au dernier plan dans une société patriarcale vendue au plus offrant. Privée de débouchés, la jeunesse alimente un vivier de laissés-pour-compte acculés à deux types d’embrigadement : le Jihad ou l’exil en Occident. Max, fils d’Abi, élevé en France, né d’un mariage mixte, et son groupe d’amis restés au pays : Ismaël amoureux de la douce Jenny et Tina, au tempérament sulfureux, subiront de plein fouet la violence des événements, rendus vulnérables par les secrets de leurs parents. Lesquels rongés par la culpabilité de se savoir responsables des déchirements identitaires de leurs enfants, assisteront impuissants à leur endoctrinement. Comment les erreurs des parents infléchissent les trajectoires des enfants ? Comment anticiper des basculements que rien ne laissait présager ? Dans la veine d’Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, Hemley Boum questionne dans ce très beau roman la notion d’identité raciale. Illustrant à travers des portraits de femme fortes, luttant pour offrir à leurs enfants l’avenir dont elles ont été privées, la difficulté d’être mère et l’impossibilité de préserver ceux qu’on aime du cours inéluctable des événements.
Mon appréciation : 4/5
Date de parution : 2019. Grand format aux Éditions Gallimard, poche chez Folio, 416 pages.
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