« Le plus fort est en fin de compte celui qui pèse le plus lourd, car l’univers est régi par la loi de la gravitation. Tout ce qui est léger est transitoire et se projette en rêve dans le néant. » Dans l’entre-deux-guerres en Finlande, dominent : la cupidité du père d’Erik Stenfors, qui sillonne le pays pour transformer les forêts en bois de chauffage, le sentiment nationaliste, la haine des Rouges, la tentation fasciste, la force coercitive du nombre et son corollaire la peur de sortir du rang. L’émergence d’un capitalisme étatique après la rupture idéologique du pays avec son voisin bolchevique. Face à ces bouleversements, la dissidence incarnée par une militante ouvrière, l’amour d’un père interné par les autorités pour sa fille orpheline confiée à l’assistance publique, la beauté intacte d’une nature inviolée en sursis, les légendes sylvestres… La fragilité si délicate des destins individuels écrasés par la toute-puissance du système. À l’instar du premier roman de Michael Christie – Lorsque le dernier arbre, Gorge d’or d’Anni Kytömäki est une saga familiale dense et ambitieuse, portée par le désir d’émancipation des héritiers d’exploitants forestiers. Une fresque écologique et politique retraçant le combat déloyal d’individus maintenus sous tutelle par la société. Le fatalisme de ce roman contemplatif, découlant de l’âpreté de la vie solitaire dans les régions isolées de Finlande est adouci par le réalisme magique instillé par Anni Kytömäki, dont la plume poétique brouille la frontière entre le monde des rêves et la réalité. Comme s’ils en étaient une extension, les émotions d’Erik, Lidia, leur fille Malla et Joel l’homme des bois, vibrent au diapason de la forêt. Le talent de l’autrice culminant dans un très beau portrait de femme révoltée et une histoire d’amour tragique dont le dénouement inattendu fend le cœur. « Il ne peut ni aller seul très loin ou dans la forêt, ni marcher dehors dans la douce nuit d’été. Le silence détacherait de trop grosses échardes du tronc qui a poussé en lui au fil des ans et lui maintient les pieds sur terre, et laisserait au gouffre noir la place de s’ouvrir, sans qu’aucune racine puisse l’en protéger. »
Mon appréciation : 4/5
Date de parution : 2014. Grand format aux Éditions Rue de l’échiquier, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, 656 pages.
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