« J’ai poussé un cri infernal. Un cri que je devais porter en moi depuis des années […] et cette espèce de chose de rien du tout qui avait vécu si longtemps en moi, c’était ma jeunesse qui fuyait en poussant un cri que je ne savais pas interpréter… » Féminisme, répartition de la charge mentale au sein du foyer, domesticité et rapport complexe à la maternité, l’autrice catalane Mercè Rodoreda, dès 1962, dénonce dans ce texte réaliste et engagé d’une grande modernité les ravages psychiques d’une vie privée de liberté. Sous la forme d’un monologue intérieur, dont l’oralité favorise la proximité, La place du diamant nous fait pénétrer dans l’intimité d’une héroïne modeste au destin sans éclat. Une plongée en apnée dans la psyché d’une femme du peuple confinée dans son rôle de femme au foyer. Un soir de bal dans le quartier barcelonais de Grácia, Natália est invitée à danser par un étranger. Alors qu’elle est déjà engagée, l’homme, sûr de lui, insiste et lui assène que d’ici un an il l’aura épousée. Dès leur rencontre, Quimet impose sa volonté et fait valoir ses droits de propriété. Un mariage et deux grossesses plus tard, Natália est coincée dans un quotidien étriqué. Son mari hypocondriaque et capricieux requiert autant d’attentions que ses enfants, dont le comportement calqué sur celui des parents s’inscrit dans la reproduction d’un schéma patriarcal immémorial. Ce mimétisme agaçant contribuant à renforcer le sentiment d’étouffement. Étrangère chez elle, mais surtout à elle-même, Natália, exténuée par la guerre civile ayant pour corollaire la pénurie et la misère, est assaillie de pensées suicidaires. Si les journées saturées par les taches domestiques, la privent de liberté, les nuits offrent un espace privilégié à son inconscient pour s’exprimer. Mais la frontière entre vie diurne et nocturne est poreuse. Dans la continuité de ces nuits agitées, ses mains, dans un spasme douloureux, empoignent un couteau pour l’instant d’après le relâcher, laissant après coup un arrière-goût nauséeux et le sentiment vertigineux d’être passée tout près de l’acte qui lui aurait permis de se libérer.
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 1962. Aux Éditions Gallimard, dans la collection L’Imaginaire, traduit de l’espagnol (catalan) par Bernard Lesfargues, 238 pages.
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