La maison dans l’impasse, à lui seul le titre exprime tout ce que ce huis clos domestique d’une rare intensité recèle de frustration, d’étouffement, de noirceur, de résignation et de soumission. Parlerme, années 1900. Un père acculé par des soucis financiers voit dans l’union de sa cadette avec son créancier un arrangement inespéré. Le mariage célébré, Antonietta, ignorant tout de l’amour et craignant de se retrouver seule avec son mari, demande à sa petite sœur de l’aider à s’installer. Nicoletta emménage avec le jeune couple. L’arrangement provisoire s’installe dans la durée et le couple s’habitue à la présence rassurante de cette sœur dévouée. Nicoletta voit sa jeunesse filer et son désir de fonder une famille se tarir. Marqué par une enfance misérable, Don Lucio se montre intraitable et irritable. Il règne en maître sur son foyer, s’évertuant à « s’assurer de la docilité du caractère » de son épouse, qu’il désire « aussi malléable que de l’argile fraîche ». Les deux sœurs lui obéissent avec servilité. Se glissant sans moufter dans le rôle étriqué de femme au foyer auquel des générations de femmes avant elles se sont pliées. Jusqu’au jour où l’équilibre fragile du ménage se rompt. Une chape de plomb s’abat sur la maison. La complicité entre les deux sœurs se mue en rancœur et la jalousie s’immisce dans leur relation. Même la douceur du fils aîné ne parvient pas à apaiser les rivalités. Chacune se mure dans ses revendications et campe sur ses positions. Cloîtrées dans la maison et plongées dans un état de prostration, elles ressassent amèrement la trahison infligée par leur plus proche alliée et le goût âcre d’une vie teintée de regrets. Oubliant presque que les enfants, doués d’une sensibilité innée, pressentent la vérité qui tel un poison imprègne leur être en construction. La chute aura valeur de punition. Avec une concision et une précision remarquables, Maria Messina capte les émotions et retranscrit la psyché humaine dans un thriller domestique impeccable. Un texte éminemment politique sur la condition féminine, la domesticité et le patriarcat qui n’a rien perdu de son acuité.
Antonietta n’était pas heureuse. Dans son cœur, il y avait un grand froid qui interdisait la joie.
[…] mieux valait que la vie s’écoule, aussi régulière que le tic-tac d’un horloge et que les femmes restent à leur place. D’ailleurs se disait-il pour s’ôter tout scrupule, les religieuses cloîtrées s’en trouvent très bien et vivent longtemps. Elles ne gaspillent pas leur énergie inutilement. »
Son cœur débordait d’une tendresse presque angoissante, d’un grand besoin d’aimer, d’être aimée… […] Dans l’Évangile, il est écrit que l’homme ne se nourrit pas que de pain… »
Est-ce que toute sa vie se passerait ainsi, comme ces soirées accablantes de silence ? Quand on est jeune, la solitude est parfois intolérable ; c’est une présence invisible, une créature de cauchemar qui vous serre le cœur jusqu’à vous étouffer…
Pourquoi était-elle venue naître là, dans la maison mélancolique ?
Mais comme elle contemplait les poings roses et fermés, elle eut pitié de l’intruse. « Si au moins c’était un garçon, se dit-elle. Son sort serait plus facile. Les femmes sont nées pour servir et pour souffrir. Et rien d’autre. »
Que tenait-elle donc dans ses poings fermés ? Peut-être le bonheur… Chacun de nous, en naissant serre les poings pour ne pas laisser échapper un trésor qu’il ne retrouvera jamais…
Nous donnons à nos enfants notre lait, et quelques larmes que nous ne savons pas retenir. Et ils les boivent aussi, et elles empoisonnent pour toujours leur vie…
Et il cherchait toues les occasions pour inspirer de la crainte à ses filles. Longues et pâles, maigrichonnes, vêtues de noir, elles n’llaient même plus chez les religieuses car il craignait qu’elles ne lui échappent comme Alessio. Il voulait les surveiller. il voulait les former lui-même, à sa façon, dociles, simples et ignorantes, sans désirs, comme doivent être les femmes.
Toute la maison, ce vieux navire qui pourrit dans le port, rempli de voyageurs qui n’ont jamais vu le vaste horizon, est engloutie dans les ombres de la nuit.
Pour aller plus loin…
Date de parution : 1986. Poche aux Éditions Cambourakis, traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli, 152 pages.
FÉMINISME
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