Mon père, ce salaud ! Cet incipit siérait à merveille au roman de l’auteur israélien Itamar Orlev. Un premier roman très réussi, inspiré de faits réels, dont les faiblesses, loin de le desservir, viennent au contraire souligner la sensibilité et la sincérité d’une quête filiale compliquée. « J’aimais ce père que je détestais ». En une phrase, d’une concision exemplaire, le narrateur exprime toute l’ambivalence des sentiments qui le tiraillent à l’égard d’un père absent, violent, alcoolique et infidèle, qu’il n’a pas vu depuis vingt ans. 1988. Direction la Pologne où Tadek part sur les traces de son père, laissant en Israël femme et enfant. Comme pour confirmer l’impossibilité d’échapper à une histoire familiale chaotique et de se soustraire aux lois de l’hérédité, sa femme vient de le quitter et son fils tend à s’éloigner. Face à l’échec de sa vie de famille, Tadek – qui pendant longtemps a refusé d’avoir un enfant de peur de se montrer défaillant, envisage ce voyage comme l’ultime chance de renouer avec son passé et de conjurer ses terreurs d’enfant. Pendant une semaine, le père – qui loge dans une maison de retraite pour vétérans et anciens combattants, et le fils vont s’apprivoiser. L’hostilité entre les deux hommes va, au gré des souvenirs partagés, s’apaiser pour laisser place à une intimité. À travers l’évocation des horreurs de la Seconde Guerre mondiale : la torture, les exécutions sommaires, la résistance, les épreuves qui ont fait de son père ce qu’il est, se dessine en creux le portrait d’un homme brisé, seul et torturé. La réalité se révélant ainsi moins manichéenne que celle que Tadek avait fantasmée. Le talent d’Itamar Orlev est de ne jamais forcer le trait, de réussir à offrir un tableau mettant en scène des retrouvailles entre un père et un fils juste et émouvant, à rendre compte de la difficulté de voir son père tel qu’il est et non pas comme il aimerait qu’il soit, à pardonner, sans pour autant accepter, pour pouvoir avancer et enfin trouver la paix. Un beau roman sur la transmission et la filiation.
« Je n’ai écouté que mes envies. Et si j’ai pu vivre comme ça, c’est parce que je n’ai rien regretté. Je peux te demander pardon, mais regretter, non. » […] « Parce que si je commence à regretter, je ne sais pas où ça va me mener.
– Donc, tu ne regrettes rien.
– Je ne peux pas.
– Et tu ne regrettes pas d’avoir bu tout l’argent que tu gagnais et ensuite d’avoir volé celui de maman ?
– M’excuser, ça oui, je peux, mais pas regretter.
– Et tu ne regrettes pas tous les coups que tu nous as donnés ?
– Non.
– Et ceux que tu donnais à maman ?
– Pas davantage. »
Je l’aurais bien traité de fils de pute, mais les mots sont restés coincés au fond de ma gorge.
Je voulais d’un père hollywoodien. Voilà qu’une fois encore la réalité se salissait sous mes yeux, et plus je regardais celui qui était assis en face de moi, plus je le trouvais laid.
Je savais qu’il vagabondait à présent dans des mondes qui m’étaient inconnus, liés à toute une vie dont, pour l’essentiel, j’étais exclu. Alors j’ai détaillé le profil de cet homme, mon géniteur, à la fois étranger et familier. Que j’aimais et que je détestais. Oui, j’aimais ce père que je détestais.
Bien plus tard, j’ai constaté que, toute notre vie, nous cherchons à obtenir une reconnaissance de notre père mais que, pour ce que j’en ai compris – et je ne comprends sans doute pas grand-chose -, nous n’y arrivons quasiment jamais. Et peu importe que le père soit un fils de pute et un minable, on s’obstine, comme quand on était petit.
Je ne pouvais pas être le père que j’aurais voulu être et je ne voulais pas être le père que j’étais.
Date de parution : 2015. Grand format aux Éditions du Seuil, poche aux Éditions Points, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, 528 pages.
PREMIER ROMAN
Qu'en pensez-vous ?