« Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t’écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate. Et ce jour-là tu es délivrée de toutes tes souffrances, de toutes tes peines… » Une femme se confie à son mari. Sa syngué sabour, c’est lui. Il gît inanimé. Une sonde dans le bras, artificiellement alimenté. Une balle logée dans la nuque. Et pourtant, son souffle ne faiblit pas. Cette inertie rassurante, cet entre-deux entre vie et trépas la pousse à lui dire ses secrets et ses péchés. « Quelque part en Afghanistan ou ailleurs », dans un pays où les balles pleuvent, les hurlements strient la nuit et les femmes se réfugient dans la folie pour échapper à la fureur des hommes, à une guerre sainte qui n’en a que le nom, une femme veille son mari. Auprès de lui, sa langue se délie. Les mots affluent comme un fleuve trop longtemps retenu. Sur leur dix années de couple marié, ils ont vécu sept ans séparés et n’ont jamais rien partagé. Fiancée alors qu’elle ne l’avait jamais vu, mariée pendant trois ans à un inconnu, elle attend le retour du « héros », du combattant parti faire le Djihad. Pendant ce temps, elle n’a le droit ni de voir sa famille, ni de fréquenter ses amis. Elle attend et se tait. Son statut de femme la prive de liberté. Elle s’efface de peur de froisser l’homme qu’elle a épousé, s’astreignant à le satisfaire pour lui plaire. Craignant d’être répudiée – son ventre restant désespérément plat, elle imagine un subterfuge. Un mensonge froidement calculé, un affront à l’honneur de cet homme glacé. Prix Goncourt 2008, Syngué sabour c’est un court texte, un diamant brut. La confession d’une femme contrainte et étouffée dans un pays en guerre, mis à feu et à sang par des hommes dont l’immaturité n’a d’égale que la cruauté. Pour qu’elle puisse enfin parler, encore faut-il que son mari se taise, qu’elle se sente enfin écoutée sans être coupée. Qu’elle n’ait plus peur d’être corrigée, qu’elle se sente en sécurité. Alors, elle se livre et se délivre, se confie à lui pour enfin gagner sa liberté, le droit d’exister.
Comme c’est étrange ! Je ne me suis jamais sentie aussi proche de toi qu’en ce moment. Ça fait dix ans que nous nous sommes mariés. Dix ans ! et c’est seulement maintenant depuis trois semaines qu’enfin je partage quelque chose avec toi. […] Je peux te parler sans être interrompue, sans être blâmée !
[…] ce qui me libérait, c’était d’avoir parlé de cette histoire. Le fait de tout dire. Tout te dire, à toi. Là, je me suis aperçue qu’en effet depuis que tu étais malade, depuis que je te parlais, que je m’énervais contre toi, que je t’insultais, que je te disais tout ce que j’avais gardé sur le cœur, et que toi tu ne pouvais rien me répondre, que tu ne pouvais rien faire contre moi… tout ça me réconfortait, m’apaisait.
Ton souffle est suspendu au récit de mes secrets.
Livre-lui tes secrets jusqu’à qu’elle se brise… jusqu’à ce que tu sois délivrée de tes tourments.
C’était cela notre différence. Vous les hommes, vous jouissez, et nous les femmes, nous nous réjouissons.
PRIX GONCOURT 2008
Date de parution : 2008. Grand format aux Éditions P.O.L, poche chez Folio, 144 pages.
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