Chef-d’œuvre de Virginia Woolf, Mrs Dalloway s’affranchit des codes stricts et matérialistes d’une narration structurée pour épouser le flux de conscience et sonder l’intériorité de Clarissa Dalloway. Conçu comme le monologue intérieur d’une mondaine de cinquante-deux ans, Mrs Dalloway est le portrait miroitant d’une femme-diamant dans le Londres de l’entre-deux-guerres. Composé, à l’instar des impressionnistes, par touches successives. Puisque le monde pour Virginia Woolf se perçoit à travers une succession d’impressions. La vie n’est pas monolithique, mais plurielle. Une alternance de crêtes et de creux. De bonheur intense, d’éblouissements, de vertiges et d’angoisses existentielles. Une vie sur le fil reposant sur un équilibre fragile. Aussi friable que le masque que Clarissa Dalloway revêt en société. Étalée sur une journée, la narration embrasse les heures précédant la soirée mondaine qu’elle s’apprête à donner. Nous suivons ses pensées intimes puis, tel un fil les reliant les unes aux autres, celles de ceux qu’elle croise. Cette balade londonienne est scandée par les cloches de Big Ben, qui maintiennent le lien avec la réalité, tandis que les pensées de Clarissa Dalloway – et de ceux à travers lesquels elle nous apparaît – échappent aux limites d’un cadre spatio-temporel fixé, coulent, ondulent, se déversent dans un continuum ininterrompu, multipliant les points de vue. À la linéarité du temps, Virginia Woolf oppose la pluralité de nos identités. L’image d’une femme-diamant, qui chaque matin devant sa glace se recomposerait un visage, en agrégeant les morceaux disparates d’un moi fragmenté, que la seule volonté de dissimuler ses fêlures parvient à unifier. Sensible aux vibrations, l’autrice anglaise perce le voile des apparences et rend visibles l’indicible, l’impermanence de nos émotions. Quelle liberté lorsque Virginia Woolf nous rappelle notre qualité d’êtres fluctuants, flous, à l’identité dissolue pris dans un mouvement perpétuel de déconstruction et recomposition, et qu’elle nous invite à se laisser habiter sans jugement par des états émotifs différents suivant les pensées qui, à un moment-donné, viennent nous traverser !
Mon évaluation : 4,5/5
Date de parution : 1925. Poche chez Folio dans la série Chefs-d’œuvre de femmes, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Marie-Claire Pasquier, 368 pages.
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