« Il était naïf de croire que le mal ne pouvait provenir que du dehors. Depuis le départ, le mal était ici, parmi elles, perché sur deux jambes, répandant la rumeur de sa langue humaine. » À la veille de Noël de l’an 1617, une tempête s’abat sur l’île de Vardø, située dans l’extrême nord-est de la Norvège. Impuissantes, les femmes assistent à la déferlante. La mer déchaînée, comme possédée, avale en une fraction de seconde les quarante hommes partis pécher. Coupées du reste du monde, les femmes s’organisent, se mettent à expérimenter une forme inédite de solidarité qui leur permet de s’auto-gérer. Le pouvoir royal ne pouvant tolérer, même au sein de contrées aussi reculées que le comté de Finnmark, une telle émancipation féminine, y mandate un missionnaire luthérien zélé, Abelsom Cornet. D’autant que la violence des vents laisse à penser qu’ils ont été influencés par les femmes, soupçonnées d’avoir déclenché la tempête pour s’approprier les terres de leurs maris noyés. Sans mentionner la présence de runes et d’étranges figurines alimentant l’hystérie collective provoquée par l’arrivée du délégué. Dans ce contexte, où la délation est encouragée, et toute suspicion de sorcellerie, un crime conduisant droit au bûcher sans autre forme de procès, la chasse aux sorcières peut commencer ! Le groupe de femmes, auparavant soudé, se scinde en deux. Maren, dont la belle-sœur est lapone, voit peu à peu l’étau se resserrer, et sa liberté s’amenuiser, en même temps qu’elle s’initie aux amours saphiques avec l’épouse du délégué. Inspiré d’une histoire vraie et empreint de sensualité, Les graciées explore les liens de sororité au sein d’une communauté de femmes isolée. Alors que – et c’est là que réside l’intérêt du roman, le mal vient du dedans. Insidieux, il germe au creux même de la communauté, où il trouve ses plus féroces alliées. Avec ce texte féministe, dont le propos fait écho à l’actualité, Kiran Millwood Hargrave pointe du doigt, l’obscurantisme religieux, la versatilité des comportements et la force de l’embrigadement conduisant à œuvrer contre ses propres intérêts, abolissant toute forme de sororité.
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 2020. Grand format aux Éditions Robert Laffont, poche aux Éditions Pocket, traduit de l’anglais par Sarah Tardy, 448 pages.
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