« Les voyages s’achèvent lorsque les amants se rencontrent. » Cette litanie troublante, hypnotique et entêtante, montant crescendo au fil du roman, agit comme une promesse funeste en suspens. Se dressant à flanc de colline et cerclée par la masse sombre de la forêt, Hill House est un chef-d’œuvre d’architecture gothique, construit en trompe-l’œil par un homme à l’esprit dérangé. À l’initiative du docteur Montague, qui espère tirer de son expérience scientifique un ouvrage traitant des perturbations parapsychologiques, trois étrangers sont conviés à y passer l’été. Inhabité depuis vingt ans, l’édifice labyrinthique bancal, à l’attrait magnétique, serait le siège de phénomènes paranormaux. Un lieu hanté, qui à l’époque victorienne aurait offert un terrain de jeu privilégié aux chasseurs de fantômes. Le docteur Montague, Luke, Eleanor et Theodora – toutes deux sélectionnées pour leur sensibilité au surnaturel, vont vivre confinés à l’affût d’une hypothétique manifestation. Ce qui commence dans une atmosphère bon enfant, devient véritablement inquiétant, lorsque la maison, comme dotée d’une personnalité propre, commence à s’animer, les murs à craquer et le vent à souffler reproduisant les hurlements d’un enfant. Les esprits s’échauffent, tandis que Hill House absorbe l’énergie de ses occupants. Le contact avec la réalité s’effrite doucement, jusqu’à l’inexorable basculement. L’écriture, en 1959, d’un roman noir aussi malsain qu’envoûtant, révèle chez Shirley Jackson une volonté d’expurger les démons qui n’ont cessé de la hanter. Avec un art du suspense éblouissant, l’immense romancière américaine puise dans ses troubles de la personnalité et dans la vulnérabilité psychologique de son héroïne, la matière pour étirer son récit aux confins de la folie. Les traumatismes des habitants ouvrant des brèches, à l’intérieur desquelles elle se glisse insidieusement. Dans ce climat de confusion, le lecteur peine à distinguer la réalité de celle observée à travers le prisme d’un esprit torturé. Ce qui contribue à rendre l’atmosphère si saturée, et à faire de La Maison hantée un classique du thriller psychologique parfaitement exécuté et dérangeant à souhait.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 1959. Poche aux Éditions Payot & Rivages, dans la collection Rivages Noir, traduit de l’anglais (États-Unis) par Fabienne Duvigneau et Dominique Mols, 250 pages.
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