Seymour pensa à la main morte qui lui avait imposé ce cauchemar, après avoir longuement élaboré ce plan et forgé les liens qui le tenaient attaché. » Début du XXe siècle. Un fait divers sordide défraie la chronique. Seymour et Rendall Holt sont retrouvés morts emmurés dans leur maison sous 170 tonnes de détritus. Destins tragiques inspirés de l’histoire des frères Collyer. De ce tableau sinistre, Marcia Davenport tisse un roman virtuose et anxiogène, un thriller psychologique aux influences gothiques. À l’image du décor – fenêtres condamnées, atmosphère viciée, tunnels de déchets bloquant les entrées, habits loqueteux, pièces insalubres – la narration est sinueuse, le rythme lent, comme s’il épousait les contours d’un processus de décomposition. La tension monte insidieusement jusqu’à ce que l’air finisse par manquer. Marcia Davenport retrace l’enchaînement de circonstances conduisant deux héritiers issus de la bourgeoisie new-yorkaise à moisir dans une bâtisse décrépite. Une enfance dorée altérée par l’éducation stricte d’une grand-mère tyrannique, scandée par les punitions et les humiliations. L’emprise maléfique maintenue par le biais d’un testament pensé comme un bijou de perversité. Les deux frères disposant d’une maigre pension et contraints légalement d’habiter la maison aux allures de prison, acceptent avec résignation sa détérioration. Peu à peu leur obstination les conduit à la lisière de la folie. Le temps accélère un processus inéluctable, fruit d’un plan brillamment orchestré par une femme perverse et facilité par le décès prématuré du père et la lente agonie de la mère. Présence spectrale, femme servile claquemurée dans ses appartements. La déliquescence du logement accompagne la décadence des frères Holt. Leur vie s’étiole et l’espace se cloisonne. L’accumulation compulsive d’objets – ou syndrome de syllogomanie – vise à ne laisser filtrer aucun secret et à assurer l’étanchéité entre eux et le monde extérieur. Le compte à rebours est enclenché et l’issue connue. Marcia Davenport compose une tragédie d’un noir absolu.
Mais nous sommes devenus, moi aussi quand je suis là-bas…cette maison !
[…] ici ou ailleurs, n’importe où qui ne serait pas la menaçante prison moisie, infestée de rats, à laquelle il lui fallait retourner en rampant, en se creusant un trou, agglutiné dans des souvenirs tangibles, encombrée d’objets qui ne voulaient pas rester des objets, mais qui prenaient vie pour le faire tomber dans un piège et railler l’ombre effrayée et furtive à qui l’homme qui était ici se sentait tellement étranger.
Dans les espaces les plus lointains de sa mémoire planait, la vieille femme rapace, plus près sa mère écrasée par elle, l’esprit perdu, plus près encore de l’impérieux et immédiat fardeau de son malheureux frère.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 1954. Éditions Gallimard (Collection Le Promeneur), traduit par F. de Bardy, 528 pages.
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