« Être féministe, c’est aussi ne pas avoir envie d’égaler qui que ce soit. Incarner la femme au foyer au sein d’une forêt glaciale demeure, pour moi, l’acte le plus féministe que je puisse commettre, car c’est suivre mon instinct de femelle et me dessiner dans la neige et l’encre les étapes de mon affranchissement. » Fuir Montréal, les relations superficielles, le bruit incessant, le stress permanent, les injonctions sociétales et le culte de la performance, la fausse émancipation et les petites résolutions que l’on se fixe pour faire passer la pilule d’un quotidien répétitif et morose, c’est le projet d’Anouk, partie s’encabaner le temps d’un hiver dans la forêt au Kamouraska pour se reconnecter à soi. Parce qu’elle n’a pas trouvé sa place dans la société, où elle a le sentiment d’étouffer, cette « isolation forestière » s’avère salutaire. Si certaines femmes affirment leur féminisme dans le combat, le corps-à-corps sémantique et politique, Anouk l’expérimente, au contraire, dans l’isolement. Téléportée « en plein désert arctique », elle se dépouille du superflu, se concentre sur son corps en étant à l’écoute de ses sensations, pour tenter d’approcher son moi profond. Sorte de journal intime, ponctué de listes mi-drôles, mi-désespérées, écrites pour ne pas flancher lorsqu’il fait moins -40°, qu’elle fantasme la venue d’un barbu des bois pour se réchauffer ou qu’elle vient de s’auto administrer un coup de hache en tentant de briser un lac gelé, ce court texte est une véritable bouffée d’air frais. N’est pas David Thoreau qui veut, mais là n’est pas le propos. Gabrielle Filteau Chiba nous invite à partager une courte parenthèse enneigée, comme un bol d’air frais. Le roman reprend certes les codes du nature writing – reconnexion avec la nature et dimension autobiographique, mais c’est davantage le ton franc, l’emploi du québécois ou encore la maladresse d’une expérience initiatique, qui prévalent ici. Dans ce récit inspiré de la vie de l’autrice québécoise, Anouk s’affranchit de toute forme d’autorité pour recouvrer sa liberté. Si le découragement affleure, elle se rattache au but visé. « J’ai. Un. Idéal. » : la construction d’un « féminisme rural » !
C’est à l’horizontale que tout commence, mais ce n’est pas long qu’on marche en interminables files indiennes. Cernes aux yeux, horizons gris, tailleurs ternes, klaxons et smog. Lève-toi et marche. Marche bien droit. Ne sors pas des rangs. Surtout, meuble ton temps.
Mon évaluation : 3/5
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions Le mot et le reste, 120 pages.
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