« S’il est quelque chose de sûr, c’est le passé. C’est toujours mieux que le néant, qui est béant. […] C’est simple, quand on n’a pas d’avenir, on vote pour le passé. » Qui n’a jamais rêvé de voyager dans le temps ? De renouer avec cette innocence propre à l’enfance, émoussée au fil des années. Convaincu du bien-fondé de cette expérience, un psychiatre gérontologue, originaire d’un petit village des Balkans, propose à ses patients d’entrer temporairement en réminiscence. Avec l’aide du narrateur, embauché au titre de « collectionneur du passé », Gaustine a l’idée de fonder la première clinique du passé. Chaque pièce du bâtiment est conçue comme une capsule temporelle : un abritemps, où le temps interne des malades coïncide avec le temps externe, correspondant à l’époque à laquelle l’horloge du patient est restée bloquée. Le décor est minutieusement restitué. Que ce soit la neutralité helvétique, le romantisme des alpages qui ont accueilli le sanatorium de La montagne magique ou le degré zéro du temps, dans les replis duquel la Suisse est parvenue tout au long du XXe siècle à se glisser, le choix du pays s’est d’emblée imposé. Si à l’échelle individuelle, le projet se révèle être un succès, à l’échelle nationale, la guerre civile menace d’éclater. Les dirigeants, habiles, se servent de cette machine à remonter le temps comme d’un instrument politique destiné à apaiser la futurophobie des nouvelles générations. Le referendum est programmé, chaque pays européen s’apprête à voter pour l’époque à laquelle il souhaiterait retourner. Avec le charme, l’intelligence pétillante, et la mélancolie des grands conteurs de la Mitteleuropa, l’écrivain bulgare Guéorgui Gospodinov pointe du doigt l’écueil de l’idéalisation et l’établissement d’une utopie fondée sur la nostalgie pour palier la perte d’idéologies. Objets de cristallisation des passions au siècle dernier, dont la disparition s’est accompagnée d’un vide abyssal qui ne cesse de se creuser. Oublier est parfois si tentant…
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions Gallimard, traduit du bulgare par Marie Vrinat-Nikolov, 352 pages.
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