Mrs. Hemingway est sans conteste le roman de l’été 2017. Naomi Wood signe avec cet ouvrage solaire et estival, un roman savoureux ! Elle prend le parti de focaliser la narration sur les épouses d’Ernest Hemingway. Quatre femmes qui ont concouru à construire la légende. Naomi Wood dépoussière l’image que l’on a du romancier : un vieil homme barbu au visage marqué par le soleil, la mer et les activités physiques. On découvre un homme charismatique, irrésistible, charmeur et même Don Juan. Il accumule les conquêtes, mais ne se contente pas de passer du bon temps avec elles puisqu’il ne peut s’empêcher de leur passer la bague au doigt… Ernest Hemingway n’aura pas moins de quatre épouses. Ce roman leur rend hommage. Il dresse le portrait de ces femmes et décrit leur relation houleuse avec le génie littéraire. La force de ce roman réside dans le choix de l’auteur de traiter des relations entre ses différentes femmes, entre rivalité et complicité. Naomi Wood dépeint un homme lunatique, manquant cruellement de courage, qui impose à ses femmes la cohabitation avec ses maitresses. Ernest Hemingway reproduit un schéma amoureux similaire : celui du triangle amoureux. Incapable de faire un choix, toutes ses relations se chevauchent. Il laisse au bon soin de son épouse du moment de comprendre qu’elle est en trop et de s’effacer face à celle qui deviendra la nouvelle Madame Hemingway. Mrs. Hemingway est le fruit de recherches minutieuses qui ont conduit son auteure à voyager entre la France, les États-Unis et Cuba. Naomi Wood nous offre un roman détaillé dont elle maîtrise parfaitement le sujet. La plume précise de l’auteure et le choix judicieux de la construction ont rendu ma lecture très agréable et instructive.
Résumé
Un clou chasse l’autre, dit le proverbe. Ainsi la généreuse et maternelle Hadley Richardson a-t-elle été remplacée par la très mondaine Pauline Pfeiffer ; ainsi l’intrépide Martha Gellhorn a-t-elle été éloignée par la dévouée Mary Welsh. C’est un fait : Hemingway était un homme à femmes. Mais l’auteur de Paris est une fête ne se contentait pas d’enchaîner les histoires d’amour. Ces maîtresses-là, il les a épousées. Au fil d’un scénario ne variant que de quelques lignes, il en a fait des Mrs Hemingway : la passion initiale, les fêtes, l’orgueil de hisser son couple sur le devant de la scène – la Côte d’Azur, le Paris bohème, la Floride assoiffée, Cuba, l’Espagne bombardée… – puis les démons, les noires pensées dont chacune de ses femmes espéraient le sauver.
Naomi Wood se penche sur la figure d’un colosse aux pieds d’argile, et redonne la voix à celles qui ont sacrifié un peu d’elles-mêmes pour en ériger un mythe.
Collection Quai Voltaire, La Table Ronde
Une construction narrative maîtrisée et un ouvrage détaillé
Naomi Wood propose un découpage judicieux de son ouvrage : quatre partie, chacune consacrée à une des femmes de la vie du romancier. Cette manière de structurer le récit apporte de la clarté et permet d’avoir une vision d’ensemble. La spécificité de la construction narrative de l’oeuvre réside dans le fait que chaque partie débute par le même constat : l’essoufflement d’un mariage et l’entrée en scène de la future Madame Hemingway. Ainsi, sa première épouse Hadley Richardson (1891 – 1979) sera détrônée par la passionnée Pauline Pfeiffer (1895 – 1951) dans la première partie. Puis, la seconde partie marquera la fin de son mariage avec celle qui se faisait appeler Fife. L’aventurière Martha Gellhorn dans une troisième partie reprendra le flambeau jusqu’en 1945, pour finalement céder sa place à la dernière Madame Hemingway, Mary Welsh, qui accompagnera l’auteur jusqu’à la fin de sa vie en 1961. Le premier constat que l’on fait lorsque l’on se plonge dans le roman, c’est le niveau de détails du texte. Cette précision dans les descriptions que ce soit des personnages ou des lieux est impressionnant. Cela renforce l’effet de réalisme du roman. Le lecteur a l’impression de vivre dans l’intimité du couple. L’auteure décrit avec finesse la psychologie des personnages et l’état émotionnel dans lequel chacune de ces femmes se trouve à l’annonce imminente de la rupture. L’état de tension psychologique, la réaction qu’aura chacune d’entre elles en voyant son mariage lui échapper et s’étioler au gré des disputes et des infidélités. Réactions recouvrant un large spectre de comportements : de la résignation à l’obstination en passant par l’émancipation. La richesse des informations reflète le travail qu’a fourni Naomi Wood pour rédiger cet ouvrage, soit un réel travail d’investigation.
Les femmes de la vie d’Ernest Hemingway
La première épouse d’Hemingway se prénomme Hadley Richardson. De sept ans son ainée, elle partagera la vie de l’auteur de 1921 à 1927. Le roman s’ouvre sur le couple parti en vacances dans le sud de la France, à Antibes, en juin 1926. Dès le début le décor est planté :
Tout, désormais, se fait à trois. Le petit déjeuner, puis la baignade. Le déjeuner, puis le bridge. Le dîner, puis les derniers verres du soir. Il y a toujours trois plateaux, trois maillots de bain mouillés, trois séries de cartes abandonnées sur la table quand, brusquement et sans explication, la partie s’interrompt. Où qu’ils aillent, Hadley et Ernest sont accompagnés : cette femme se glisse entre eux comme une lame. Cette femme, c’est Fife : la maîtresse de son mari.
Cette première partie retrace la rencontre de l’auteur avec sa première femme, qu’il tirera de l’ennui d’une vie monotone aux États-Unis pour une vie pleine de rebondissements à Paris. La candide Hadley apparaît comme une épouse douce et attentionnée. Follement éprise de son mari, dont elle aura un garçon, elle saura se montrer lucide et « raisonnable » face à la situation. L’écriture de l’auteur est telle, que l’on s’attache à cette femme. On éprouve de l’empathie, de la compassion pour cette femme qui ne saura pas s’imposer face à la conquérante Pauline Pfeiffer. La flamboyante Fife la reléguera au second plan, Hadley n’aura d’autres choix que de vivre la fin de son mariage dans l’ombre de son amie proche. Puisqu’il faut tout de même le préciser, Hadley et Fife sont des amies proches lorsque cette dernière décide de lui voler son mari. Au-delà de la tension qui règne à Antibes, et qui trouve sa source dans ce triangle amoureux malsain, ce qui est intéressant c’est la relation qui lie les deux femmes. Toutes deux amies, toutes deux amoureuses du même homme et toutes deux souhaitant qu’il soit sien. Pauline Pfeiffer sort doublement victorieuse de cette bataille muette. Elle empochera un mari et conservera une amie.
Alors que la première partie se clôt sur le triomphe de Fife, la seconde partie débute par sa défaite écrasante. Treize jours se sont écoulés entre le divorce avec Hadley et le mariage de l’auteur avec Fife. Cette union durera de 1927 à 1940. D’après le récit de Naomi Wood, il est probable que Fife fut celle qui l’aima le plus passionnément. Totalement dépendante de lui, elle l’attend à Key West dans une villa richement meublée, tandis que celui-ci sillonne l’Europe en tant que correspondant de guerre. Son statut de journaliste le conduira en pleine guerre civile espagnole. Il y entraînera celle qui deviendra quelques années plus tard sa troisième épouse : la jeune et intrépide Martha Gellhorn, rencontrée à Key West alors qu’elle était en voyage avec sa famille. La séparation d’avec Fife s’avérera particulièrement conflictuelle, celle qui pourtant n’avait eu aucun remords à voler le mari de son amie intime, refusera d’abandonner si facilement la partie et par la même occasion son célèbre patronyme. Ce chapitre met l’accent sur la personnalité de Fife, si différente de celle d’Hadley. Femme orgueilleuse, tout lui est dû, elle sortira meurtrie du combat livré pour garder son mari près d’elle. La fin de son mariage marquera la fin de toute relation avec son ex-mari.
Martha Gellhorn marque une rupture avec les précédentes épouses d’Hemingway. C’est une femme moderne, indépendante, journaliste elle n’entend pas jouer le rôle d’infirmière qu’on pu endosser les précédentes épouses de l’écrivain, tentant de colmater les blessures d’un homme dépressif. Cette partie s’ouvre sur la décision prise par Martha de quitter l’écrivain. Elle fait le choix de s’émanciper de l’influence néfaste de son mari malgré l’affection profonde qu’elle éprouve pour lui.
[…] elle aime cet homme mais ce qu’elle désire par-dessus tout, c’est son entière liberté.
Ne supportant pas de la voir si libre, il lui adressera un télégramme pour le moins explicite :
ES-TU UNE CORRESPONDANTE DE GUERRE OU UNE FEMME DANS MON LIT ? ( et elle de répondre : JE SERAI TOUJOURS UNE CORRESPONDANTE DE GEURRE STP SERAI TA FEMME DANS TON LIT QUAND JE LE DECIDERAI STOP TA CORRESPONDANTE DE GUERRE, TA FEMME , TA MARTHA
Martha sera la plus lucide des épouses d’Hemingway. Consciente de ne pouvoir répondre à ses exigences tyranniques, elle se dérobera astucieusement de situations délicates. Dans ce chapitre à travers les yeux de Martha, l’auteure dresse le portrait brut de l’écrivain.
Martha pense que c’est typique d’Ernest : il veut sa femme, il veut sa maîtresse; il veut tout ce qui est à sa portée. Il est avide de femmes mais surtout il ne connaît pas ses vrais besoins, alors dans le doute il essaie d’attraper tout ce qui passe. Épouse après épouse après épouse. Ce n’est pas une épouse qu’il lui faut ; c’est une mère !
Là encore le chapitre se clôt sur la rencontre et le passage de flambeau consenti entre la troisième et la quatrième épouse d’Hemingway. Cette complicité entre les deux femmes malgré un événement douloureux n’est pas sans rappeler l’amitié profonde qui lie Hadley et Fife. On observe une sorte de symétrie amicale entre la première et la deuxième épouse de l’auteur et entre la troisième et la quatrième.
Mary Welsh sera la dernière épouse du célèbre écrivain, elle l’accompagnera jusqu’à sa mort. Il se suicidera en 1961, tout comme son père l’avait fait, d’une balle dans la tête. Sa dernière épouse est certainement la plus courageuse puisqu’elle soutiendra Hemingway jusqu’au bout malgré sa descente aux enfers. Elle connaîtra les heures les plus sombres du génie littéraire nobelisé : alcoolique, dépressif, malade, son corps ne suivra plus. Enclin à des accès de violence, il perdra peu à peu pieds avec la réalité jusqu’à sa chute finale.
Ce qu’on apprend de lui
Au-delà des personnalités féminines qui jalonnent la vie d’Hemingway, Naomi Wood distille tout au long du récit un certain nombre d’anecdotes exquises. On apprend ainsi que l’auteur vivait dans une pauvreté avec sa première femme et qu’il avait une façon bien particulière de nourrir la maisonnée. Il se rendait au jardin du Luxembourg avec la poussette dans laquelle dormait son fils et attrapait, une fois le garde retourné, un pigeon bien gras pour le faire rôtir…
Naomi Wood nous conte une sombre histoire de valise perdue par sa première épouse lors d’un voyage en train. Valise contenant ses premiers textes, des originaux d’une valeur inestimable. Un personnage particulièrement désagréable, nommé Cuzzemano, consacrera sa vie à retrouver cette valise et à soudoyer quiconque lui serait en mesure de lui obtenir des documents de la main de l’auteur afin de les revendre. Il harcèlera l’écrivain jusqu’à sa mort.
Une anecdote racontée par sa troisième femme, Martha Gellhorn, met à jour la dualité de la personnalité de l’écrivain. Le jour de la libération de Paris, Hemingway, avide de reconnaissance et de gloire, « libère » le Ritz – ou plutôt ses caves – et par la même occasion affiche son héroïsme. Quelques heures plus tard, après lui avoir annoncé sa séparation, elle le retrouve pieds nus, sale, les mains plongés dans les poubelles de l’hôtel à la recherche d’un poème composé pour sa maîtresse Mary Welsh. Cette anecdote est représentative de cet homme, qui toute sa vie oscillera entre un besoin d’attention démesuré et une folie que l’on impute à son statut d’artiste. En réalité Hemingway fait preuve d’un égoïsme incroyable dans ses relations avec les autres, et s’octroie le droit de se comporter comme un enfant en manque d’attention. Cela n’altère en rien son statut de légende littéraire et d’homme au charisme incroyable.
Conclusion
Si vous recherchez un roman à la fois passionnant, instructif et dépaysant alors aucune hésitation vous avez trouvé votre bonheur. Vous allez vous délecter en lisant Mrs. Hemingway de Naomi Wood.
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