Tanguy, c’est lui. Un enfant à qui l’on a ôté toutes illusions. Chef d’œuvre absolu, Tanguy est un des plus beaux livres que j’ai lu dans ma vie. Il touche l’âme de celui qui le lit. Il suffit de quelques mots pour saisir la puissance d’évocation du roman que l’on a entre les mains. On est foudroyé par sa beauté, la justesse des mots employés et la simplicité avec laquelle l’horreur est racontée. Tanguy est de ces romans qui font vibrer l’âme. C’est la littérature dans sa forme la plus aboutie, lorsqu’elle transcende la réalité. Ce qui est dit ici ne se restreint pas à son sujet. Tanguy est le symbole d’une enfance sacrifiée. L’auteur avertit que son projet n’est pas la quête de la vérité mais l’expression d’une réalité recomposée, fruit de souvenirs altérés par le poids des années. La réalité telle qu’elle a pu être ressentie par un enfant, dont le sens des événements lui échappe, mais capable d’en mesurer la portée. La question de la responsabilité traverse le roman. Très tôt, Tanguy sera confronté aux défaillances de ses parents. Son père est un être lâche, capable de dénoncer son fils et par conséquent de provoquer son internement en camp. Quant à sa mère, elle ne cillera pas lorsqu’on lui retirera son enfant. Mettre le doigt sur l’origine du mal qui le ronge nécessitera des années. Cette quête de résilience passera inévitablement par la reconnaissance de la lâcheté de ceux qui ont failli à l’aimer. En s’exprimant à hauteur d’enfant, Michel del Castillo confère à son œuvre une dimension intemporelle. On la lit le souffle coupé, la gorge serrée, comme propulsé hors du temps. Sauvé par des êtres habités par une profonde humanité, il conservera sa vitalité, opposant à la cruauté des hommes, la force de résister. Malgré cette enfance d’une horreur absolue, Tanguy est un texte lumineux. Une œuvre à la fois intemporelle, singulière et sublime. Capable de vous procurer des frissons d’émotion. On ne peut qu’être muet de saisissement devant un destin si chaotique, que l’auteur sublime par la puissance des mots en écrivant ce roman.
Chef d’œuvre
Qu’est-ce qu’un chef d’œuvre ? Donner une réponse précise à cette question est souvent délicat. En ce qui me concerne je pèse mes mots lorsque j’emploie ce qualificatif pour le roman autobiographique de Michel del Castillo. Tanguy est un texte intemporel de par son sujet. L’auteur insiste dans une préface d’une beauté inouïe, qui à elle seule mérite tous les éloges, sur la nature autobiographique de l’ouvrage mais surtout sur son aspect romancé. Le roman octroie à l’auteur une liberté que ne permet pas l’autobiographie pure. Dès lors, il peut combler les manques et les oublis de son parcours. Les lieux ont existé, les individus aussi, mais l’enjeu n’était pas de coller au plus près de la réalité. Écrit à différents moments, les souvenirs se sont érodés, ils sont imprécis, tronqués, ce sont ceux d’un enfant balloté. Si l’auteur ne recherche pas la précision, il cherche surtout à faire revivre les sensations éprouvées. Tanguy est une œuvre singulière. Michel del Castillo s’évertue à ne pas faire transparaitre de pathos dans la langue qu’il emploie. Le rendu est d’une grande simplicité qui ne saurait trahir le temps passé à travailler l’agencement des mots, la vraisemblance d’une conversation. L’auteur a su trouver les mots justes pour exprimer toute cette douleur en lui. Il ne la déverse pas, il l’évoque par touche. La distance qu’il met entre lui et Tanguy est tout simplement parfaite. Il habite les mots sans les étouffer. Il nous fait pénétrer dans son intimité, se confie à nous, sans intrusions. Un grand roman se jauge également à sa capacité à nous émouvoir, à provoquer une réaction. En lisant certains passages très durs de la vie de Tanguy, je me suis surprise à avoir les mains crispées, la gorge nouée, c’était quasi physique ce que j’éprouvais. Très peu de romans ont ce pouvoir là.
Une enfance chaotique ponctuée par les séparations
Contraint de quitter l’Espagne avec sa mère en plein cœur de la guerre civile, Tanguy arrive en France. Première étape d’un périple qui durera des années. La vie de Tanguy semble guidée par la fatalité. Puisqu’une fois arrivé en France, alors qu’il rencontre pour la première fois son père, il est envoyé au camp d’internement de Rieucros avec sa mère. Étrangère et de surcroit communiste, sa mère inspire d’emblée l’hostilité. Sa présence encombrante entravant les plans de son ex-mari, il les dénoncera à l’administration française. À leur sortie du camp, terrorisée à l’idée d’y retourner, sa mère décide d’organiser leur départ pour l’Espagne. Ils passeront clandestinement la frontière, chacun de leur côté. Une telle décision de la part d’une mère a déjà de quoi soulever l’indignation, mais lorsque l’on se rend compte qu’après que son fils est arrêté par la police et envoyé en camp de concentration en Allemagne, elle disparaît complètement, on est sidéré. Comment une mère peut manquer à ce point d’instinct maternel pour ne pas soucier de la sécurité de son enfant ? Tanguy a cette capacité de se faire aimer. Même dans les situations désespérées, il finira par trouver refuge auprès d’une personne avec qui il aura tisser des liens forts, lui permettant de maintenir un semblant de chaleur humaine. La mort rode, décime tous ceux autour de lui. Elle l’épargne à chaque fois, le privant néanmoins de ceux auxquels il tient. Il perd alors ses seuls repères. Lui, le petit garçon déraciné, renié et abandonné, qui se maintient à la vie par la seule force de sa volonté. Puisque Tanguy est terriblement seul. Livré à lui-même, il n’a personne sur qui compter. À la libération, l’espoir renaît, aussitôt balayé. S’ensuivront des années marquées par la violence et une extrême solitude. Il est à peine croyable qu’il ait tenu. Face à l’adversité, les épreuves toujours plus dures, Tanguy a fait le choix de se résigner. Conscient qu’une autre vie l’attend. Quelques figures émergent de ce chaos. Son ami Gunther au camp, le père Pardo au collège des Jésuites. Substitut à une figure paternelle rassurante et aimante qui lui redonnera espoir en la nature humaine. Tanguy refusera toujours de laisser la haine l’envahir. Il lui faudra en permanence tenter de distinguer les êtres intrinsèquement bons de ceux rongés par le vice. Une fois cette distinction effectuée, Tanguy connaît son camp et celui de ses parents.
Conclusion
La recherche de pépite comme Tanguy est un travail fastidieux. Peu de romans allient la virtuosité de la langue à une histoire capable d’émouvoir à ce point. Ici tout y est. Ainsi, lorsqu’on a la chance de tomber sur un tel roman, il faut le savourer, se délecter de chaque mot, se laisser bercer par la voix de l’auteur. J’espère que vous aussi vous ressentirez ce sentiment d’exception à la lecture de ce texte d’une rare beauté.
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