L’auteure américaine Tracy Chevalier, célèbre pour ses romans historiques, nous plonge dans l’Angleterre pittoresque du début du 19e siècle. Nos deux héroïnes évoluent au sein de la société codifiée de l’époque victorienne. Les femmes y sont cantonnées à leur statut d’épouses, au risque d’être stigmatisées. Elizabeth Philpot est une veille fille. N’ayant pas trouvé de mari, elle est condamnée à vivre avec ses deux sœurs à Lyme Régis, station balnéaire située dans le Sud de l’Angleterre. Les occupations sont limitées dans cette ville côtière, et pourtant il lui faut s’en trouver une pour ne pas sombrer dans l’ennui. C’est ainsi qu’elle se prend d’intérêt pour la découverte de fossiles en bordure de mer. La chasse aux fossiles est une activité plus lucrative qu’elle n’y paraît, permettant surtout de faire vivre Mary Anning et sa famille. Mary Anning a l’œil, elle est douée pour repérer les plus beaux spécimens. Contrairement à celle qui deviendra au fil du temps son amie, elle ne possède pas une connaissance théorique mais une expérience pratique. Tracy Chevalier raconte dans cette biographie romancée de la vie de Mary Anning, une histoire d’amitié entre deux femmes mues par une passion commune. S’étant résignées à ne pas se marier, le monde dans lequel elles vivent s’avère étriqué. Entre amitié et rivalité, les deux femmes seront confrontées aux limites de leurs conditions de femme, dont elles chercheront à s’émanciper. Mary Anning deviendra une figure emblématique du monde scientifique, alors essentiellement masculin. Tracy Chevalier évoque une époque riche en avancées scientifiques. Les fossiles apportant la preuve irréfutable de l’extinction des espèces. Esquisse de la théorie de l’évolution, cette découverte provoque un questionnement à la fois ontologique et théologique. L’homme est-il amené à disparaître ? Si Dieu corrige sa création, est-il faillible ? Tracy Chevalier signe sous une plume délicate un roman sur l’émancipation de la condition féminine, permise par le gain d’une légitimité scientifique.
L’extinction des espèces ou une révolution à la fois ontologique et théologique
La société décrite par Tracy Chevalier est une société dans laquelle la religion occupe une place prépondérante. L’homme est une créature de Dieu. Il a été créé à son image et évolue dans un monde qui a été façonné pour lui. Découvrir que des espèces jusqu’alors inconnues, ont vécu sur terre, puis ont disparu, est lourd de sens. Cela signifie que Dieu est imparfait, capable de se tromper, donc l’homme peut-être voué à disparaître, lui aussi. Il faudra attendre 1859, pour que soit publié l’ouvrage scientifique de référence De l’origine des espèces et un peu moins d’un siècle après pour que soit reconnue par la communauté scientifique la théorie de la sélection naturelle de Darwin, validant les hypothèses formulées par nos héroïnes. De statique, le monde devient dynamique. En perpétuel mouvement. S’opère ainsi un grand bouleversement dans la manière de l’appréhender. Les espèces apparaissent puis disparaissent au gré des changements climatiques ou lorsqu’elles se révèlent incapables de s’adapter. Il est étonnant de découvrir sous la plume de Tracy Chevalier, que ce qui était initialement conçu comme un simple moyen de subsister, a révolutionné le monde scientifique. Puisque Mary Anning a réellement existé. Issue d’une famille de la condition ouvrière, de basse extraction, elle a su se faire un nom dans un univers dominé par les hommes. À seulement douze ans, elle découvre le premier fossile complet d’un Ichtyosaure sur la côte de Lyme Régis, surnommée la côte jurassique pour l’abondance de fossiles qu’elle recèle. Sorte de reptile marin. La célèbre romancière double ce roman historique passionnant d’un portrait de femme saisissant. D’autant plus étonnant que la jeune femme ne semble pas avoir conscience de l’impact des déductions que ses travaux laissent supposer.
Une roman sur l’émancipation de la condition féminine
Outre l’indépendance et le respect qu’acquiert Mary Anning via ses travaux, elle fut longtemps jugée sévèrement. Être une jeune femme célibataire arpentant les plages à la recherche de fossiles était mal vu par la société de l’époque. On lui reprocha son refus de respecter les conventions. D’exercer un travail manuel, de côtoyer des hommes sans chaperons… Tracy Chevalier excelle dans l’art de décrire des femmes engoncées dans des sociétés rigides, où le moindre écart suffit à vous condamner. Si Elizabeth Philpot a depuis longtemps fait une croix sur le mariage, étant dépourvue des deux conditions nécessaires, soit la fortune et la beauté, Mary Anning doit se résigner à rester célibataire en raison de sa position sociale. Faute de prétendants, les deux femmes se lient d’amitié et tissent des liens étroits qui seront mis à l’épreuve de leur rivalité. Elles longent la côte jurassique, vibrant à chaque nouvelle découverte. Le don de Mary Anning attise la curiosité des scientifiques mais également la jalousie de son amie. Outre leurs petits différends, Mary et Elizabeth vont réaliser que face à la condescendance masculine, leur amitié s’avère un bien précieux et leur meilleur rempart face aux intrigues ayant pour but de s’approprier leurs travaux. Elizabeth Philpot défendra avec ardeur les intérêts de son amie lorsque d’éminents chercheurs tenteront de la discréditer. Prodigieuses créatures est un roman d’amitié d’une grande finesse et d’une grande sensibilité.
Conclusion
Tracy Chevalier écrit toujours des romans particulièrement doux, dans lesquels on aime se plonger pour s’imprégner d’une ambiance singulière, comme « hors du temps ». J’apprécie beaucoup cette auteure et j’entend bien à l’avenir chroniquer certains autres de ses ouvrages 😉 Si vous avez aimé ce roman, sachez qu’une adaptation cinématographique est en cours. De quoi nous ravir !
HISTORIQUE
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