Sorj Chalandon honore la mémoire des 42 mineurs, morts des suites d’une explosion survenue le 27 décembre 1974 au fond de la fosse de Saint-Amé et provoquée par la présence de grisou, en leur dédiant son dernier ouvrage, paru pour la rentrée littéraire 2017. Marqué par la catastrophe, alors qu’il faisait ses débuts dans le journalisme à Libé, écrire ce roman revêtait une importance particulière. Il signe un ouvrage politico-social corrosif volontairement à charge contre l’industrie minière, si coûteuse en vies humaines, avec pour toile de fond la lutte des classes. Il se saisit d’un évènement historique véridique et y introduit une part de fiction. Joseph, dit Jojo met fin à sa carrière de mécanicien pour entrer à la mine. Jojo a un frère, Michel. Ils sont particulièrement soudés. La veille de la catastrophe, ils prennent la moto, s’enivrent de vitesse. Cette échappée leur procure un sentiment de liberté, comme un pied de nez fait à la mine. Seulement quelques heures plus tard, Jojo doit reprendre le travail. À 6h19, une explosion ôte la vie à 42 mineurs. L’accident est survenu fosse 3, celle où Jojo travaillait. Les autopsies pratiquées sont formelles, la faute n’est pas à la fatalité. Les corps sont remontés calcinés. Le bilan est meurtrier. Quarante ans plus tard, on retrouve Michel, victime collatérale de la catastrophe pour qui la plaie ne s’est jamais refermée. Animé d’un esprit vengeur, il entend faire payer aux coupables le prix de leur négligence. Son obsession est alimentée par les derniers mots laissés par son père avant de mourir « Venge-nous de la mine ». Si je suis restée hermétique au destin du narrateur, la plume féroce de l’auteur m’a conquise. Il maintient la tension jusqu’au bout, opérant un retournement de situation très réussi, qui donne une nouvelle impulsion à la narration. Le procès auquel on pensait assister, n’est pas celui auquel on s’attendait. L’auteur joue sur les faits. Mais qui sera jugé ? Perplexe quant au choix du titre, celui-ci finit par prendre tout son sens.
Plongée au cœur de l’industrie minière du Nord de la France
Exception faite de Germinal d’Émile Zola, le monde de la mine m’était avant ce roman parfaitement inconnu. Avant de me lancer dans la lecture de mon premier roman de Sorj Chalandon, j’avais par conséquent quelques appréhensions. D’autant plus que je connaissais le penchant de l’auteur pour les romans sur fond de critique sociale acerbe. Journaliste à Libé et au Canard Enchaîné, il était peu probable que l’auteur fasse l’éloge du capitalisme et loue les mérites de l’industrie minière 😉 Pour tout vous dire, j’avais un peu peur de me retrouver avec un brûlot entre les mains. Je vous rassure ce n’est absolument pas le cas. Cette aparté refermée, Le jour d’avant est avant tout un très bel hommage rendu par Sorj Chalendon aux victimes de la catastrophe minière de Liévin-Lens. L’accident survenu le matin du 27 décembre 1974 fut l’un des plus meurtriers du 20e siècle. Le caractère exceptionnel de cet accident réside dans le procès qui a suivi. En effet, la culpabilité de la société d’exploitation – les Houillères du bassin du Nord – a été reconnue lors du procès. Il faut savoir qu’avant ce cas-là, la responsabilité des exploitants n’avait jamais été mise en doute. On préférait en appeler à la fatalité. De nombreuses enquêtes ont démontré la présence de grisou et la non conformité des galeries aux mesures de précaution. De plus, il s’avère que les mesures de grisoumétrie n’avaient été que partiellement effectuées. Le verdict du procès et l’inculpation des responsables a fait grand bruit. Il faut reconnaître à Sorj Chalandon qu’il maîtrise son sujet sur le bout des doigts. Les descriptions semblent parfaitement réalistes, l’auteur a creusé son sujet dans un souci de vraisemblance. On est témoin des ravages de la silicose. On prend conscience des angoisses des mineurs face à la présence du grisou, ce gaz hautement inflammable composé à 90% de méthane. Le sentiments d’appartenance à un groupe de métier est très fort. Chacun d’eux éprouvent une certaine fierté à risquer sa vie dans les galeries souterraines, quand d’autres se la coulent douce en surface. Sorj Chalandon réussit à rendre compte des spécificités de ce monde, aujourd’hui disparu. La fosse n°3 cessera toute activité en 1978.
Verdict ?
Hormis quelques longueurs dans la première partie du roman, où les pensées du narrateur finissent par s’embourber à force de tourner en rond, ma lecture a été agréable. L’écriture est puissante tout en étant fluide, nul sensation d’asphyxier malgré la dureté du sujet. Cela étant dit, je souhaite toutefois souligner que j’ai été incapable de me lier au personnage principal. Son combat a des allures d’obsession. Aucun aspect de sa personnalité ne me l’a rendu sympathique. Son incapacité à s’exprimer de manière intelligible en devient irritante. Ce n’est pas le personnage principal en prise avec son histoire familiale qui m’a intéressée mais la tension distillée par Sorj Chalandon qui m’a convaincue de continuer. Je ne m’attendais absolument pas au retournement qui survient au milieu du roman. Le basculement opéré dans la narration teinte le récit d’une dimension psychologique intéressante, à laquelle on ne s’attend pas.
Conclusion
Mon avis concernant ce roman est en demi-teinte, j’ai été enchantée par la plume de Sorj Chalandon ainsi que par la découverte de l’univers minier, qui ne m’était pas familier. Néanmoins, le nœud de l’intrigue m’a laissée de glace. Je suis restée en dehors de la vie de cet homme dont le sort m’indifférait totalement. Ma curiosité éveillée, je me suis procurée d’autres ouvrages de l’auteur dont je vous parlerai incessamment sous peu 😀
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 2017. Grand format aux Éditions Grasset & Fasquelle, 336 pages.
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