Peu de romans exercent une telle force d’attraction. Une fois entamé, impossible de le lâcher. Jodi Picoult signe un ouvrage formidable, qui par moments vous glace les sangs. Un page-turner d’une efficacité redoutable, une lecture tout simplement jouissive et hautement addictive. Ruth est une femme africaine-américaine, sage-femme exemplaire, elle exerce depuis plus de vingt ans dans le même hôpital. Mère dévouée, elle a un fils brillant promis à une belle carrière, qu’elle a élevé seule après le décès de son père tombé en Afghanistan. Turk et Brittany forment un jeune couple de suprémacistes blancs prêts à donner naissance à leur premier enfant. Chargée de s’occuper du bébé, Ruth se voit retirer le droit de le toucher. Sa supérieure a glissé une note dans le dossier du patient stipulant très clairement : « Aucun soignant africain-américain n’est autorisé à s’occuper de ce bébé. » La pilule a du mal à passer. Le problème c’est que le service est en sous-effectif. Ruth se retrouve coincée à devoir le surveiller. Tout s’emballe lorsqu’elle remarque qu’il a cessé de respirer. Que doit-elle faire ? Placée dans une situation délicate par sa hiérarchie, elle se retrouve face à un dilemme, contrevenir aux ordres sous peine d’être sanctionnée, ou les respecter et mettre en péril la vie du bébé. Sa décision est prise, toutefois elle ne parvient pas à le réanimer. Ruth est la coupable toute désignée, elle est accusée de l’avoir tué. Jodi Picoult brosse un portrait au vitriol de l’Amérique. Elle dénonce une société gangrénée par la violence, inconsciemment pétrie d’idées racistes. Elle fait état d’une justice aveugle refusant d’être confrontée à la réalité sous peine de froisser les jurés en les confrontant à leurs préjugés. Le véritable chef d’inculpation est passé sous silence, pourtant il saute aux yeux. Mais l’évoquer reviendrait à perdre le procès. Un procès sous forme de mascarade où le seul moyen de se disculper est de prouver que l’on est bien intégré. Ce roman pose la question de l’arbitrage entre ce qui est judiciairement préférable et moralement acceptable.
Enfin un vrai roman !
Depuis plusieurs années, on voit fleurir en littérature des dérivés du roman mais qui en réalité n’en sont pas vraiment. Parmi ces déclinaisons, il y a l’exofiction qui tient le haut du pavé, mais l’on peut citer également l’autofiction, le roman autobiographique, les biographies fictives, la non-fiction romancée, les romans « inspirés du réel »… Bref, tous entretiennent un lien plus ou moins ténu avec le réel. On en venait même à se demander quid de la fiction ? Et à déplorer sa disparition. Je tenais donc à saluer l’initiative de Jodi Picoult, qui nous offre un roman dans la plus pure tradition. Dans ce récit de fiction tout est inventé, ce qui n’empêche absolument pas l’auteure d’en faire le reflet de la société. Mille petits riens m’a fait l’effet d’une bouffée d’air frais. Jodi Picoult signe un roman choral, permettant au lecteur de connaître les pensées de chacun des intervenants. Si de manière générale je ne suis pas friande de ce type de construction, ici elle fonctionne très bien. L’auteure se glisse dans la tête de suprémacistes blancs parvenant à nous expliquer leur schéma de pensée, sans que le rendu ne soit caricatural. Bien au contraire, on découvre la face cachée des États-Unis, un pays où des rassemblements ont lieu pour commémorer le jour de la naissance d’Hitler, où des mariages aryens sont célébrés, où il est possible en toute impunité de passer à tabac des gays, noirs, latinos… Le constat est terrifiant. D’autant plus qu’ayant renoncés à des actions punitives de grande ampleur, la plupart de ces groupuscules racistes vivent dans la clandestinité, n’affichant leur idéologie qu’en de rares occasions. Ils sont parvenus habilement à se camoufler. Jodi Picoult sonde le sentiment de haine qui les habite, le sentiment jubilatoire qu’ils éprouvent à déverser leur violence. Surtout, elle insiste sur leur incapacité à voir plus loin que le bout de leur nez. À l’inverse, Ruth n’a de cesse depuis l’enfance de légitimer sa présence aux yeux des autres. Elle est un exemple d’intégration réussie. Propriétaire de son logement, mère modèle ayant élevée son enfant seule, elle lui a transmis des valeurs d’humanité. Pour autant, lorsqu’elle se retrouve du jour au lendemain dans l’incapacité d’exercer, accusée d’un meurtre qu’elle n’a pas commis, le monde qu’elle s’est construit n’y survit pas. Tout vole en éclats. Elle devient une paria. Cet évènement fait ressurgir des angoisses qu’elle pensait avoir surmontées. Était-elle réellement intégrée ou seulement tolérée ? Ruth a beau avoir respecté les règles du jeu, au moindre écart elle est sanctionnée. Présumée coupable avant d’être jugée. Jodi Picoult aurait pu tomber dans le piège du misérabilisme social dépeignant à grand renfort de poncifs une femme noire victime de racisme. Il n’en est rien. Tout sonne juste. Même si certains propos évoqués m’ont hérissée, l’auteur s’efface devant le sujet et laisse à chacun le soin de s’exprimer. Ce roman est une pure merveille !
Conclusion
Je n’ai qu’une chose à vous dire, si vous n’avez pas encore eu la chance de lire ce roman, courez-vite l’acheter !! À LIRE ABSOLUMENT 😉
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