René Frégni, en ce début d’année, s’est vu attribuer le Prix des Lecteurs Gallimard pour son roman Les vivants au prix des morts. Parmi les 135 ouvrages de la maison proposés, les lecteurs ont décidé de le distinguer. Dans son roman, l’auteur se met en scène et fait évoluer son double dans un temps figé. Le narrateur mène une vie paisible, propice à la contemplation. Cette vie simple lui suffit. Loin de l’agitation permanente du monde, il se délecte des plaisirs que lui procure l’instant présent. L’évasion de Kader de la prison des Baumettes met fin à cette vie retirée. Elle vient troubler sa tranquillité. Il aura fallu un instant pour que tout bascule. Contre sa volonté, René se retrouve plongé dans l’engrenage de la violence. Ce qui aurait dû n’être qu’une main tendue à un ancien détenu en cavale se transforme en cauchemar. Les évènements s’enchaînent dans une course effrénée. Les corps s’amoncellent. Démuni face à l’implacabilité avec laquelle se déroulent les évènements, le narrateur prend part à une valse macabre qui ne peut que mal se terminer. Au-delà de cette traque à l’homme, René Frégni propose une réflexion sur notre rapport au temps. L’homme d’aujourd’hui vit dans un temps en suspens. Un temps de latence entre la catastrophe passée et celle à venir. Un temps dicté par les guerres et les attentats, imposé par l’extérieur et relayé par les médias. Cette temporalité orchestrée par la société rythme nos vies. Le constat est simple, l’homme subit plus qu’il ne vit. Comment s’ancrer dans le moment présent, faire un arrêt sur image, si l’on vit dans l’expectative que quelque chose arrive. René Frégni dénonce la façon insidieuse qu’à la violence de s’immiscer dans nos vies sans accord préalable. Au détour d’un journal, d’une émission à la télé ou à la radio, elle s’impose à nous. Ne pas ciller face à cette incursion de l’extérieur revient à se rendre complice de sa propre souffrance.
L’engrenage de la violence
Quelle est la part d’autobiographie et de fiction dans ce roman ? La question reste en suspens puisque l’auteur met en scène son double dans Les vivants au prix des morts. À travers un journal, qu’il entame le 1er jour de l’an, il nous invite à entrer dans son intimité. Chaque matin, le narrateur, qui à fortiori est également écrivain, griffonne quelques mots dans son carnet. Bercé par le chant des oiseaux et profitant des premiers rayons du soleil, il se délecte de chaque instant. Ses journées sont rythmées par des balades dans la nature. Le temps s’étire tranquillement, sans que rien ne survienne pour le troubler. Cet espace préservé des agressions extérieures, il entend bien le protéger. Pour cela, il refuse l’intrusion de tout élément perturbateur quitte à vivre retiré. C’était sans compter l’arrivée de Kader, qui surgit dans sa vie. René se souvient de Kader. Il l’avait rencontré quelques années auparavant alors qu’il dispensait des cours à des détenus aux Baumettes. Il n’a pas oublié son sourire éclatant et son visage solaire. Kader l’a marqué. Pour autant, ce dernier sait que derrière l’homme aux airs débonnaires se cache un criminel endurci par des années de détention. Avec un casier long comme son bras, Kader est la bête à traquer. Il a notamment à son actif une évasion en hélicoptère et de nombreux braquages à mains armées. En accueillant cet ancien détenu, René connaît les risques qu’il encourt. Mais a-t-il réellement mesuré le danger ? Car Kader détruit tout sur son passage. Il pratique la politique de la terre brûlée. René en fera les frais. De l’intrusion de la menace dans un espace préservé à l’implosion dudit espace, il n’y a qu’un pas et l’on suit chaque étape de cette destruction. On assiste à la descente aux enfers d’un homme qui n’a pas su prendre la mesure du danger, pensant naïvement l’avoir bien évalué. Cette estimation fausse le conduira hors des sentiers battus. Le narrateur prend un aller simple, sans retour possible.
Conclusion
Les vivants au prix des morts est le premier roman de René Frégni que j’ai l’occasion de lire. J’ai été conquise par le style de l’auteur, efficace, net et précis. René Frégni joue sur l’identité du narrateur avec le lecteur et ce flou entourant le personnage principal laisse planer le doute. Au-delà du suspense que l’auteur distille page après page, il nous offre une réflexion sur l’omniprésence de la violence dans nos sociétés contemporaines, ainsi que sur notre rapport au temps.
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