Alice McDermott signe un roman envoûtant tant par la justesse de sa plume que par la beauté brute des personnages. Bercé par la musicalité des mots choisis, le lecteur se laisse envelopper. L’harmonie se créée naturellement. Alice McDermott est une conteuse de talent, qui parvient à faire du destin d’une jeune orpheline élevée dans un couvent au cœur de Brooklyn, un roman tendre et délicat dans lequel on se glisse avec délectation. Lecture molletonneuse qui a la saveur des histoires d’un autre temps. Le rythme est lent, l’intrigue restant au second plan. Puisque l’essentiel réside dans la chaleur humaine mâtinée de bienveillance qui inonde le roman. Sally n’est pas encore née lorsque son père disparaît. La mère et la fille sont recueillies par des religieuses officiant à Brooklyn. Sally grandit dans ce décor au charme suranné. D’un naturel malicieux, elle égaye le quotidien de soeur Illuminatta par ses imitations et fait la fierté de sa mère. Véritable source de lumière, elle illumine par sa seule présence la pièce sombre et taciturne dans laquelle les deux femmes lavent, cousent et reprisent chaque jour des vêtements destinés aux plus démunis. Dès lors, sa vocation étonne. Elle qui consent difficilement à vivre dans l’abnégation. Si son apprentissage auprès des bonnes sœurs lui enjoint de faire preuve de clémence dans ses jugements et de tempérance dans ses actions, son tempérament lui donne du fil à retordre. Alice McDermott entrelace le destin d’une jeune orpheline au caractère impétueux à celui de religieuses têtues qui n’hésitent pas à faire preuve de fermeté dans l’exercice de leur mission. Aussi tranchantes qu’attachantes, elles quadrillent Brooklyn en vue de soulager ses habitants. Sillonnant les rues, questionnant les jeunes mères sur la bonne conduite de leurs époux, tour à tour bienveillantes ou menaçantes. Elles sont les petites mains d’un quartier où chacun n’a d’autre choix que de composer avec les cartes qu’il a entre les mains. Un texte gorgé de lumière.
Une parenthèse de douceur
Il fallait une certaine dose de culot pour situer dans un couvent l’intrigue d’un roman. Verdict ? C’est une réussite. La neuvième heure est une parenthèse de douceur, un moment hors du temps qui nous est offert. Un petit bonbon. Mon enthousiasme pour les trouvailles des Éditions du Quai Voltaire confine à l’obsession. On ne m’aurait pas dit que ce texte était édité par cette maison, que je l’aurais deviné. La singularité de la maison d’édition naît d’un phénomène étrange qui repose sur les similitudes de ton entre les différentes publications. Une précision dans l’écriture et un charme vaporeux. À l’instar d’une gaze qui se déposerait sur l’histoire, d’une grâce particulière. Malgré le caractère hétéroclite des sujets abordés, la ressemblance est là. Comme si écrits par des auteurs différents, les textes se faisaient écho. Emportant le lecteur dans des univers différents au gré de ses envies. Chaque ouvrage des Éditions de la Table Ronde est une promesse d’évasion. Mrs. Hemingway retraçait le destin rocambolesque des femmes ayant partager le quotidien d’Ernest Hemingway, roman solaire par excellence. Dans les angles morts transportait le lecteur dans un univers glaçant. Thriller psychologique dérangeant. Et Des nouvelles du monde nous faisait cohabiter avec un duo de choc ultra attachant. Dans ce roman Alice McDermott se penche sur les liens mère-fille, la force d’une communauté à offrir un refuge de douceur dans un monde âpre. La solidarité entre les êtres agissant comme un pansement sur des blessures à vif. Un moyen de conjurer le sort que la vie nous a jeté. L’auteure décrit avec une justesse remarquable tout ce que la vocation revêt de complexe. Sally prendra la mesure de ses limites en se confrontant de plein fouet à la réalité de sa mission. La rudesse des gens, ce qu’ils ont d’ordinaire et ce qu’il peut y avoir de frustrant à leur dévouer sa vie sans exiger de contrepartie. La scène du voyage en train est exceptionnelle pour ce qu’elle a de révélateur. Un condensé ce qui nous agace chez autrui et fait tourner aigre même les intentions les plus louables. La neuvième heure est un roman humain. Les bonnes sœurs elles-mêmes sont habitées par des sentiments peu « honorables », se jalousant mutuellement et se livrant bataille pour l’affection de la jeune Sally. Et c’est précisément toutes ces imperfections qui les rendent si touchantes. Dénuées de jugements réprobateurs, ces drôles de bonne sœurs ferment les yeux sur les petits arrangements sans grande gravité avec la morale. Conscience de la difficulté de composer avec la réalité. Alice McDermott dépeint un New-York bien différent de l’idée qu’on en a. Une ville où grouillent des êtres sans prétention mais au cœur immense.
Conclusion
Encore un excellent roman des Éditions du Quai Voltaire que je vous conseille de lire si le besoin de prendre de la distance se fait sentir. De s’extraire du monde pour s’offrir un moment délicat dans une atmosphère gorgée de lumière. Je suis ravie d’avoir découvert cet ouvrage qui tranche avec les autres publications de la rentrée littéraire. N’hésitez pas à me dire en commentaires si vous aussi vous avez été conquis par la plume de l’auteure et si vous avez lu d’autres ouvrages d’Alice McDermott que vous me conseillez 😉