Le premier roman de Mick Kitson s’inscrit dans la veine des écrits de nature writing, tels que Dans la forêt de Jean Hegland ou My absolute darling de Gabriel Tallent. Il souligne l’âpreté de la nature tout en lui concédant le pouvoir d’apaiser les âmes blessées. C’est au cœur de la forêt des Higlands, dans un décor d’une beauté saisissante, que Sal et Peppa ont trouvé refuge. L’hostilité de la nature devenant leur allié. Âgées respectivement de dix et treize ans, Peppa et Sal ont très tôt été confrontées à la violence des hommes. Se cognant prématurément à l’inaptitude des adultes à les protéger et par conséquent à leur propre vulnérabilité. Leur mère, ivre du matin au soir, était plus occupée à se soûler qu’à empêcher son compagnon d’abuser de l’aîné. Ce n’est que le jour où Sal réalise que Peppa se rapproche dangereusement de ses dix ans, âge fatidique auquel son beau-père a prévu de lui réserver le même traitement, qu’elle comprend que la meilleure issue est encore de le tuer. Dès lors, elle prépare méticuleusement leur fuite, ne laissant rien au hasard. Sal devient une as de la survie, une experte de l’art de dépecer un lapin ou de pêcher un brocher. Tout est soigneusement orchestré. Le jour J, Sal enferme sa mère à clé, pour ne pas qu’elle soit soupçonnée, et tue son beau-père de trois coups de couteau bien assénés. Mick Kitson explore avec acuité la force des liens fraternels, l’instinct de protection et la complicité matinée d’une tendresse infinie qui lie les deux soeurs. On est troublé par la maturité de l’aînée dont le courage force l’admiration. À travers le parcours chaotique des deux jeunes filles, Mick Kitson retranscrit le regard désabusé des enfants qui trop jeunes ont été exposés à la cruauté. Le ton du roman est rafraichissant. Le retour à l’état sauvage salutaire. La nature offre un havre de paix pour qui chercherait à s’éloigner d’une société viciée. Elle contient en elle la promesse d’un monde réenchanté.
Un nouveau départ
J’aime cette idée que la nature offre une porte de sortie, qu’elle soit en quelque sorte un sas de décompression. Un lieu où le temps se fige. Un cadre propice à la réflexion et à la contemplation. Rien ne venant la perturber. L’action se limite alors à l’essentiel. Elle est tendue vers les gestes indispensables à la survie. L’objectif étant de satisfaire les besoins primaires. Soit se nourrir, se chauffer et disposer d’un lieu où récupérer. L’esprit est alors libre de s’évader. Sal et Peppa font l’expérience de ce retour à l’état sauvage. Première étape d’un nouveau départ. Les deux sœurs ne tergiversent pas. Leur mission ne consiste pas à entrer dans la psyché des adultes, ni à saisir les tenants et les aboutissants de ce qui peut pousser une mère à sombrer dans l’alcoolisme et à négliger ses filles. Elles cherchent uniquement à sauver leur peau. Ne s’embrassent pas de considérations qui les dépassent. Évitent de ressasser le passé. Leur regard est tourné vers l’avenir. Ce sont des durs à cuire. Cela ne signifie pas qu’un enfant victime de maltraitante ne garde pas ancrées en lui les marques des sévices qu’il a subi. Mais plutôt, que face à une violence injustifiée, rien ne sert de se flageller. Il faut avancer. Quitte à se débarrasser de ce qui peut encombrer. Enseignement que Sal mettra à exécution. De plus en plus d’écrivains, principalement anglo-saxons, s’appliquent à torpiller un monde où les adultes sont défaillants. Où ces derniers sont submergés par les émotions et se laissent happés par leurs vieux démons. Mick Kitson relate cette réalité crasse. Sal et Peppa incarnent l’instinct de survie présent en chacun de nous. Celui qui coûte que coûte tente de résister, refusant d’abdiquer lorsqu’il est confronté à la médiocrité.
Conclusion
Manuel de survie à l’usage des jeunes filles est traversé par une énergie revigorante. C’est un premier roman à la fois cruel et lumineux. Mick Kitson parvient à nous plonger dans le quotidien compliqué de deux jeunes filles, aussi différentes qu’attachantes, qui en choisissant de quitter leur foyer s’offrent une seconde chance. Elles renouent avec leur animalité et touchent du doigt ce qui leur manquait, une certaine pureté.