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Douce, Sylvia Rozelier : rentrée littéraire 2018 (#RL2018)

Rares sont les auteurs qui parviennent à rendre avec justesse tout ce que le sentiment amoureux peut avoir de complexe. La difficulté résidant dans ce qu’il a de fuyant, d’implacable et d’inexplicable. Dès lors, comment situer le basculement. Ce moment hors du temps, impossible à fixer, où l’autre cesse d’être un étranger et nous est définitivement lié. Sylvia Rozelier relève le défi avec talent et nous plonge dans une passion violente, un amour destructeur. Sous la forme d’une confession, elle retrace le fil d’une histoire amoureuse, des instants de grâce, aux premières déceptions, jusqu’à la lente désillusion. Cet instant terrible lorsque l’amour a déserté et que l’on prend conscience de sa crédulité. Face à face violent avec la réalité, non plus idéalisée mais telle qu’elle est. L’autre cessant d’être cet être que l’on s’était figuré pour apparaître dans toute sa médiocrité. Et pourtant Douce a conscience d’être manipulée, de jouer le rôle qui lui a été attribué. D’être comme ces pantins désarticulés dénués de volonté. Si toute seule elle peut l’accepter, elle soustrait aux autres la possibilité de la juger. Elle s’exclut petit à petit, fait le vide autour d’elle pour ne plus avoir à supporter les remarques insistantes des proches qui finissent par s’alarmer. Se soustraire à leur désapprobation. L’étau se resserre, elle est prisonnière. Sous l’emprise d’un pervers. Il devient envahissant occupant l’espace rendu vacant tout en lui rappelant que c’est qui mène le jeu. Disparaissant régulièrement, se désistant. L’absence nourrie le manque. Douce perd tout discernement. La confiance se délite lentement. Elle est obstinée, refuse de plier, ne comprenant pas qu’il n’y a rien à gagner juste sa peau à sauver. Elle se trouve des excuses. Réclamant des explications, qu’on lui fournisse des preuves de ces élucubrations, un soupçon de vérité quand en réalité elle ne demande qu’à être bernée, réconfortée. La loi de l’attraction répulsion rythme leur relation. Il faudra que l’un déclare forfait, pour que faute de joueurs, le rideau soit tiré.

Passion amoureuse

N’étant pas particulièrement férue de romans ayant pour sujet la passion amoureuse, puisque souvent assez mal traité, j’avais quelques appréhensions avant de lire celui de Sylvia Rozelier. Celles-ci ont été balayées assez rapidement. L’écriture y étant pour beaucoup puisque atténuant la dureté du sujet. L’auteure évite tous les clichés et trouve le ton juste. Sa façon de décrire la psyché de son personnage est telle que l’empathie prend le dessus sur l’agacement qu’à pu susciter en moi l’incapacité de Douce à s’en tenir à ses décisions. Car tout le long, l’héroïne tergiverse, se pose mille questions. Fait un pas en avant pour deux bons en arrière. Mais finalement n’est-ce pas une situation courante dans laquelle se trouve Douce ? Celle d’une femme amoureuse, tellement éprise qu’elle en perd toute lucidité. Qu’elle en tombe dans un état d’hébétement. Devient incapable de se projeter sans l’être aimé. Toute femme a un jour fait l’expérience d’une relation similaire ou en aura été le témoin. Alors elle sait que dans ce cas-là, seul le temps permet de panser les plaies. Qu’il ne sert à rien de conseiller ou de s’emporter face à la passivité de la personne en face. Il faut attendre le déclic, ce moment fatidique où le voile se déchire et la réalité apparaît. À la lecture de Douce on est nous-mêmes, en tant que lecteur, tiraillé par des émotions contradictoires. La compréhension se mue en exaspération voire en colère lorsqu’on assiste à la lente descente aux enfers de la narratrice qui s’enlise dans une relation dénuée d’intérêt et vouée à l’échec. Sylvia Rozelier parvient à nous toucher. À nous faire réagir et à susciter notre intérêt pour le combat que mène Douce pour ne pas sombrer. Son amant lui faisant vivre au quotidien un calvaire. Jouant constamment avec ses sentiments. À croire qu’il est plus présent quand il est absent. Parvenant insidieusement à occuper chacune de ses pensées. La contraignant malgré elle à l’immobilité, de peur de tout faire vaciller. Équilibre précaire d’une relation incapable de s’épanouir normalement. Oscillant entre effusions et accusations.  Sylvia Rozelier décortique le mécanisme psychologique à l’œuvre qui empêche son héroïne de se sauver. Elle nous donne des clés de compréhension sans pour autant placer Douce dans une position victimaire. Victime et bourreau, elle est la principale à blâmer, agissant contre ses intérêts. Et c’est là qu’apparaît toute la complexité de l’esprit humain. Savoir une issue condamner et ne pas pour autant cesser d’espérer.

Conclusion

À l’image du titre, l’ écriture de Sylvia Rozelier est à la fois tendre et délicate. Tout est parfaitement dosé. Douce fait partie des beaux romans publiés en cette rentrée littéraire. Je vous le conseille vivement. En particulier si vous aimez les histoires d’amour compliquées, les êtres torturées en prise avec leurs émotions. Le tout porté par un style net et efficace sans effets de style inutiles.

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Chien-Loup, Serge Joncour : rentrée littéraire 2018 (#RL2018)

Serge Joncour, comme le titre l’indique, signe un roman à cheval sur deux époques où deux mondes s’entrechoquent. La nature hybride du chien-loup agissant comme un trait d’union entre le monde sauvage et la civilisation. En 2017, un couple de parisiens – Lise et Franck – décide de s’offrir une retraite en pleine nature dans un gîte isolé. Totalement déconnectés, sans moyens de communiquer, ils font pour la première fois l’expérience d’une solitude totale. Si l’impression de liberté succède à l’angoisse initiale, une intuition concernant cette maison ne les quitte pas. Un faisceau d’indices laisse suggérer qu’elle est détentrice d’un secret. La rencontre avec un chien-loup, mi sauvage, mi domestiqué, se laissant facilement apprivoisé, conforte leur ressenti. Un drame s’est joué ici. Plus de cent auparavant, alors que la guerre éclate, un dompteur de lions d’origine allemande refuse de s’enrôler. Faisant le choix de protéger ses fauves de la folie des hommes. Il s’installe dans cette maison abandonnée qui surplombe le village d’Orcières. Très vite, sa présence cristallise toutes les tensions, réveillant les peurs irrationnelles nourries de fantasmes et de superstitions chez les habitants. Les hommes renouent avec leurs instincts primaires que la civilisation avait vainement tenté d’étouffer sous le vernis en réalité écaillé des civilités. Notre époque ne fait pas exception. Sous la plume délicate de Serge Joncour l’homme est resté un animal sauvage prêt à renouer avec ses instincts de carnassiers dès qu’il flaire le danger. Le cerveau reptilien prenant le pas sur nos dehors civilisés. En créant un écosystème préservé, quasi aseptisé, l’homme pensait avoir définitivement coupé avec sa nature de prédateur. Son désir de dominer. Pourtant si les acteurs ne sont plus les mêmes, les règles restent inchangées. Amazon et Netflix traquent dorénavant le gros gibier. Serge Joncour s’applique à nous prouver que la chaine alimentaire en vigueur dans le règne animal l’est tout autant dans la sphère humaine. Un roman juste et envoûtant.

L’homme, un animal sauvage

Lorsque Lise tombe sur l’annonce d’un gîte à louer perdu en pleine nature et difficile d’accès, elle est tout de suite conquise. Végétarienne, remise depuis peu d’un cancer, elle est persuadée que de renouer avec un mode de vie plus sain aux antipodes du citadin est le meilleur moyen de se reconnecter. Quant à lui, Franck semble totalement dépassé par cette idée. Il n’envisage pas étant producteur de films de disparaître des réseaux aussi longtemps. En réalité le vrai danger ce sont ses associés. Deux jeunes loups avec lesquels il vient de signer et qui tentent de lui soustraire son catalogue de films, soit le travail de toute une vie. Les forces lui manquent, il se laisse dépasser espérant les essouffler. Pourtant, il est évident que Liam et Trévis s’étant fait les dents dans l’industrie du jeu vidéo sont prêts à en découdre. Ils n’en démordent pas, s’associer avec des géants comme Amazon et Netflix est une aubaine à ne surtout pas laisser passer. Sous peine de se voir distancer. On assiste au choc des générations. Contre toute attente, ce retour à la nature va s’avérer salvateur pour Franck. Il prend en assurance, se reconnectant avec ses instincts de chasseur. L’idée de se voir délester d’une partie de son travail et mener par le bout du nez par deux petits cons tout juste sortis de l’université le révulse. Jusqu’à que l’idée affleure. Celle qui inversera les rôles. Redistribuera les cartes. Cette idée qu’avant il n’aurait jamais eu l’audace de formuler. À croire que la nature influe sur les tempéraments jusqu’à guider les comportements. Elle infuse les pensées et offre un regain de vitalité. Tout comme un siècle auparavant, ce lieu exerce une force d’attraction sur ses occupants. Serge Joncour ne bascule jamais dans le mystique mais le touche du doigt. En 1914, un terrible drame s’était produit venant affirmer la légende qui voulait que ce lieu soit maudit. Une terre aride où la nature hostile avait repris ses droits. Serge Joncour aime convoquer le beau, le faire émerger des situations les moins aptes à l’encourager. L’amour devenant un bien précieux à préserver. C’est dans ce contexte de guerre, dans ce climat hostile et vengeur, qu’il imagine une histoire d’amour hors du temps entre deux êtres tiraillés par la solitude. Avides de tendresse. Le bonheur sera de courte durée. L’homme ne peut s’empêcher de convoiter ce qu’on se refuse à lui donner. La jalousie est sans nul doute le pire des péchés. Rares sont les écrivains qui savent écrire sans parodier l’amour, Serge Joncour dans Chien-Loup est de ceux-là. Pour ne rien gâcher, l’auteur a cette manie de porter un œil bienveillant sur ses personnages. Ce qui nous les rend d’autant plus sympathiques et attachants.

Conclusion

Serge Joncour fait partie des auteurs les plus attendus de cette rentrée littéraire. J’avais quelques appréhensions à lire ce roman, puisque son précédent Repose-toi sur moi – lauréat du Prix Interallié 2016 – ne m’avait pas vraiment convaincue. J’étais restée hermétique à l’histoire d’amour que je trouvais un peu faiblarde et à laquelle je n’avais pas cru. Ici, c’est tout l’inverse je me suis laissée emportée et ça a fonctionné. C’est un roman foisonnant, riche en interprétations. J’ai aimé qu’il ait imbriqué deux récits en un. Le regard qu’il porte sur notre société est très juste. Faire un parallèle entre le monde animal et le fonctionnement humain est une façon pertinente de mettre le doigt sur les dérives du monde dans lequel on vit. Pour moi, c’est une vraie réussite ! Je vous le conseille vivement 😉

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Tenir jusqu’à l’aube, Carole Fives : rentrée littéraire 2018 (#RL2018)

Carole Fives avec Tenir jusqu’à l’aube imagine un huis clos étouffant entre une mère célibataire et son fils de deux ans. Une atmosphère saturée par les pleurs et les cris de l’enfant. L’héroïne élève seule son enfant. Le père ? Volatilisé. On comprend rapidement qu’il a déserté il y a un moment, qu’il est et restera aux abonnés absents. Parti sans même l’esquisse d’une explication. N’importe quoi qui permettrait d’expliquer son geste. Il n’apparaîtra que rarement sous la forme de messages laconiques prétextant un empêchement. Freelance, dans une situation financière précaire, elle est rapidement acculée par les dettes. Ne trouvant pas de place en crèche, il lui est difficile d’honorer ses engagements. La cohabitation se transforme en tête à tête pesant. Chacun s’agaçant mutuellement. La dyade mère-enfant devient le lieu de tensions explosives. Nerveusement à bout, la jeune mère décide de s’éloigner de ce foyer qui cristallise toutes les tensions, une fois l’enfant endormi. Petit à petit, le périmètre de ses virées nocturnes s’agrandit. Elle prend goût à ses absences répétées où elle reprend sa liberté. Façon de se prouver qu’elle ne se réduit pas à ce rôle de mère qui la tient prisonnière. Tout comme la chèvre de Monsieur Seguin qui était attirée par ce qui lui était interdit, elle tire sur la corde, teste la résistance du lien qui la maintient à son enfant. Tout en ayant conscience de le mettre en danger. Mais à trop jouer avec le feu, on finit par se brûler. Carole Fives signe un roman percutant. La tension monte crescendo jusqu’au dénouement. Hormis un final déroutant Tenir jusqu’à l’aube est un roman réussi. Une lecture dérangeante qui aborde sous un angle pertinent la complexité du lien entre la mère et l’enfant. Relation fusionnelle qui faute d’un tiers finit par devenir étouffante. L’auteure décrit très bien cette vie en vase clos, ainsi que la difficulté de composer avec sa propre culpabilité.

Couple mère-enfant

Carole Fives s’intéresse à un sujet de société, celui de l’isolement de la mère avec son enfant. La famille est loin, le compagnon absent, la jeune maman se charge seule de l’éducation de son enfant. Sans aides, ni accompagnement sur lesquels se reposer en cas de difficulté. Encore trop petit pour aller à l’école, les places en crèche trop chères et prises d’assaut très tôt, le petit reste à l’appartement empêchant toute vie sociale de s’épanouir ne l’incluant pas. Comment ne pas exploser dans une telle situation ? Finir par en vouloir à celui n’a rien demandé. C’est naturel et on la comprend. La solidarité entre mères existent et l’auteure l’aborde de manière ingénieuse en incluant des conversations sur les forums. Mais ce qui aurait du permettre de soulager peut tout aussi bien aggraver le sentiment de culpabilité. Puisque les forums sont peut-être un moyen alternatif pour s’entraider mais également un lieu où certains ne se gênent pas pour donner des leçons de morale et rappeler à quel point un enfant est une bénédiction, que c’est aux parents de se montrer plus fermes si l’enfant n’en fait qu’à sa tête. Le coupable est tout désigné. Faisant preuve d’un laxisme affolant. Et le père dans tout cela reste le grand absent. Celui à qui aucun compte n’est demandé, qui peut se dédouaner de toutes responsabilités. Pourtant l’enfant est bien le fruit des amours des deux parents… Si la justice permet à chacun d’exercer un droit de visite, elle ne les oblige pas pour autant à assumer leur rôle de parent. À eux de choisir s’ils veulent voir leur enfant. Épée de Damoclès au dessus de la tête de celui qui reste.

Conclusion

Publié dans la collection de l’Arbalète chez Gallimard, Tenir jusqu’à l’aube est un incontournable de la rentrée littéraire de cette année. Je vous le conseille, rien que pour le sujet abordé que je trouve particulièrement intéressant. N’hésitez pas à me dire en commentaires ce que vous en avez pensé 😉

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Un monde à portée de main, Maylis de Kerangal : rentrée littéraire 2018 (#RL2018)

À l’instar d’un de ses précédents romans, Naissance d’un pont, Maylis de Kerangal confirme une fois de plus son talent d’architecte de la langue, qu’elle manie avec virtuosité. Utilisant un procédé de construction similaire. Fait de fragments de vie délicatement imbriqués, ce récit est celui d’une quête initiatique, d’une lente maturation jusqu’au dénouement final où chaque élément fait sens, trouve sa place. Tout comme son héroïne Paula Karst, partie sur un coup de tête après avoir un moment végété étudier à l’Institut de peinture à Bruxelles l’art du simulacre ou comment devenir peintre en décor, Maylis de Kerangal travaille la matière, les mots. Des salons d’Anna Karenine, aux plateaux de tournage de la Cinecittà jusqu’aux grottes de Lascaux, Paula apprend à être au monde, à se délester de toute superficialité pour ne plus seulement effleurer la réalité mais toucher du doigt l’essence de ce qui est. La matière pure. Celle-là même que l’auteure modèle à la manière d’un sculpteur jouant avec la lumière, atténuant les ombres ou au contraire accentuant les contrastes. Révélant une écriture d’une richesse inouïe, lyrique quasi physique. Faite d’aspérités et de creux. Une mélodie unique. D’une précision clinique dans l’expression des sentiments. Maylis de Kerangal retranscrit avec exactitude le choc de la révélation, ce sentiment particulier fait d’excitation mêlée de crainte à l’idée d’échouer une fois franchie la porte d’accès vers un monde nouveau. Univers étranger qui fera tout vaciller. Paula perd ses repères, plonge au plus profond d’elle-même puiser les ressources nécessaires et se laisse tout entière envelopper par cet univers ensorcelant. Celui d’une réalité faussée. Il a souvent été reproché à l’auteure de ne pas incarner suffisamment ses récits, la technicienne prenant le pas sur la romancière. Avec Un monde à portée de main, ses détracteurs risquent de grincer des dents puisqu’elle prouve une fois pour toute sa capacité à explorer l’âme humaine tout en décortiquant avec minutie son sujet. Ici l’art de recréer la magie, apprendre à contempler la beauté là où elle est.

Apprendre à voir le beau là où il est

Paumée après le lycée, le bac en poche, sans perspectives à l’horizon, Paula Karst partage le sort de beaucoup d’étudiants. Elle s’essaie sans trop y croire au droit, qu’elle abandonne sitôt la première année terminée. Retour à la case départ. Alors quand elle annonce à ses parents, duo fusionnel dont la longévité de la relation la sidère encore, d’une voix ferme sa décision d’intégrer une formation à Bruxelles visant à lui prodiguer les enseignements techniques pour devenir peintre en décor, on entend leur soulagement. Formation pratique, pas uniquement artistique, laissant présager un salaire à la clé. Paula n’a alors aucune idée de ce qui l’attend. Elle fonce tête baissée, sûre de son choix. Il s’impose à elle. C’est à cet instant précis que l’on se dit qu’un destin se joue à rien, une opportunité manquée, une autre nous percute de plein fouet. Impossible d’anticiper. Et Paula tombe dedans. Le rythme effréné des rendus, le découverte des jeux de matières, les heures passées à scruter la toile comme une forcenée à s’en bruler la cornée, les paupières collées, les yeux asséchés. Tout cela lui plaît. Elle se découvre plus endurante qu’elle ne l’aurait cru. Elle évalue la pureté de son trait tentant de s’approcher au plus près de la vérité, de la matière telle qu’elle est. Un monde s’ouvre à elle, un changement de perspective. Rien ne sera dorénavant plus comme avant. L’étudiante peu pointilleuse cède la place à une bosseuse acharnée. Transcendée par la mission qu’elle s’est assignée, dépassant ses capacités, qu’elle croyait naïvement limitées puisque jamais exploitées. Comme si elles avaient attendu tapies dans l’obscurité le moment adéquat pour se révéler. Maylis de Kerangal sublime cette transformation, nous en donne les clés de compréhension. Chaque voyage effectué sera une occasion pour Paula de creuser au fond d’elle-même, d’en apprendre davantage et surtout d’éprouver sa résistance physique et psychique. Ce n’est qu’une fois rassasiée, capable de juger de la beauté, de mesurer le chemin parcouru et d’être en mesure de formuler son véritable souhait que Paula atteindra ce sentiment de plénitude, de paix.

Conclusion

Maylis de Kerangal allie avec brio la beauté de la langue avec la précision du trait nous offrant un roman bluffant. Ceux qui me lisent depuis un moment savent l’admiration que j’ai pour cette auteure. Je suis tout simplement subjuguée devant autant de talent. En espérant ne pas avoir à attendre quatre ans avant son prochain roman 😀

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Les papillons noirs, Caroline Gutmann : se plonger dans sa généalogie pour conjurer la maladie (Lecture d’été #5)

Récit autobiographique, Les papillons noirs est à la fois une enquête familiale et un pied de nez fait à la maladie en refusant de lui laisser gagner la partie. Dénué de pathos et au contraire habité par une vitalité étonnante, ce roman retrace la vie d’une famille hors norme. Alors qu’on lui détecte un méningiome impliquant une hospitalisation et une opération délicate, Caroline Gutmann refuse d’adhérer à la vision culpabilisatrice de la maladie, corollaire de la peur qu’elle suscite. Au contraire, le laps de temps séparant son diagnostic de l’opération devient l’occasion pour l’auteure de se saisir de son passé. Outils pour mener à bien son investigation, les carnets que lui a laissés un père méconnu aujourd’hui disparu. À travers ces cahiers, Caroline renoue avec ce dernier. Si de son vivant une distance les séparait, elle s’amenuise, leur octroyant une certaine proximité dont elle avait été jusqu’alors privée. Cette façon qu’à Caroline Gutmann de se pencher sur la généalogie de sa famille lui permet de s’émanciper de sa condition de malade et de renouer avec ses origines. Notamment ce cousin éloigné qui attise sa curiosité et sur lequel elle concentre toute son énergie. Charles Histin est issu d’une lignée d’exception où les hommes semblent destinés aux plus hautes fonctions rehaussées des plus illustres distinctions. Médaillé de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre 1939-1945 et médaillé de la résistance, Charles Hinstin croulait sous les honneurs, et pourtant il choisit de se donner la mort. Ami de Kessel, c’est à travers les vers de l’écrivain que Caroline Gutmann cherche les indices lui permettant de se plonger dans la psyché de cet homme au destin brisé, ce personnage hautement romanesque et charismatique, capable de dilapider la fortune familiale aux jeux de hasard, de tout quitter pour faire fortune puis de tout perdre. Un homme au tempérament impétueux dont la fougue se reflète dans des yeux aux nuances dorées.

Conclusion

Découvert grâce à la chronique de la géniale Olivia de Lamberterie, qui officie notamment sur France 2 dans l’émission Télématin à la rubrique Mots, Les papillons noirs de Caroline Gutmann a été une agréable surprise. Ponctué de réflexions pertinentes sur le sens de la vie, les choix qui se présentent à nous et la question de la transmission, ce roman s’avère plus profond qu’il n’y paraît. Teinté par la vitalité de son auteure, le texte est empreint d’humour et d’humanité malgré le sujet abordé. Une lecture que je vous conseille 😉

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Du domaine des Murmures, Carole Martinez : révolte féminine au Moyen-Âge

De la princesse du domaine des Murmures, il ne reste que cette sourde plainte qui traverse la forêt, les plaines et la Loue. Le cri d’une mère à qui l’enfant a été retiré, d’une femme violentée victime de la folie des hommes. Lasse de porter son secret, Esclarmonde éprouve le besoin impérieux de nous le confier. En l’an 1187, Esclarmonde est sommée d’épouser Lothaire, chevalier ayant les faveurs de son père. Le jour des noces, elle s’obstine et refuse de le prendre pour époux, se mutilant pour marquer le caractère définitif de sa décision. Élevée dans une société et à une époque où les femmes se doivent de plier sous l’autorité des hommes, Esclarmonde voit en Dieu l’unique moyen d’échapper à un mariage forcé. Paradoxalement, son choix de vivre cloitrée, emmurée vivante dans une prison de pierre lui permet d’éprouver sa liberté et d’affirmer sa volonté. En refusant de se plier aux exigences de son sexe Esclarmonde se met en danger. Le courroux de son père s’abat sur elle, les condamnant tous deux à la réclusion et à la pénitence à perpétuité. Légende mystique, Carole Martinez imagine un récit historique teinté de fantastique. Un conte moyenâgeux où les femmes ne se contentent pas de procréer pour assurer la lignée et ainsi de jouer leur rôle de matrice reproductrice. Portée par un souffle romanesque incroyable, la plume de Carole Martinez est fabuleuse, nous emportant au temps des croisades. Dans un monde superstitieux pétri de croyances merveilleuses. Elevée au rang de sainte, le statut d’Esclarmonde lui offre une position privilégiée. Elle dispose de pouvoirs particuliers, lui permettant de s’extraire de sa condition de recluse pour parcourir les terres et être le témoin de la folie dominatrice des hommes prêts à se donner la mort au nom d’une idée. Elle, qui n’avait émis que le souhait de trouver la paix en s’adonnant pieusement à la contemplation divine, sera rattrapée par sa nature de femme et vivra tourmentée.

Un conte féministe ?

Au XIIe siècle, dans la société machiste du Moyen-Âge, les femmes étaient réduites à leur fonction reproductrice. Carole Martinez imagine le destin d’une femme tentant de se soustraire à l’emprise du père et du futur époux en se consacrant à Dieu. Seule issue qui lui est offerte. À travers le portrait de la recluse, c’est tout un monde qui s’ouvre à nous. Celui des légendes maléfiques, des sorts jetés à ceux qui ne respectent pas la volonté divine. En faisant le choix de se retirer, Esclarmonde préserve les hommes du domaine. Elle tient à distance la mort. S’ouvre simultanément de son emprisonnement une période bénie. Les récoltes sont bonnes, le temps clément. Le miracle lui est imputé. Son pouvoir d’attraction croît considérablement au fil des ans. Pèlerins et voyageurs viennent la trouver espérant ainsi être touchés par la grâce. Seul son père ne décolère pas. Homme orgueilleux, fou de sa fille, prunelle de ses yeux, il ne conçoit pas qu’elle lui ait désobéi. Guidé par sa colère, il lui infligera une blessure d’une violence inouïe. Secret qu’elle taira. Face à son mutisme et à sa résolution immuable de vivre en retrait, Lothaire et son père apprendront à apprivoiser leur colère. À son contact, il se modifieront. La blessure d’orgueil laissera place peu à peu aux remords pour l’un et à des sentiments profonds pour l’autre. Du domaine des murmures est un roman qui traite à la fois d’une certaine liberté revendiquée par les femmes dans une société qui ne leur en laisse aucune. Esclarmonde l’obtient en vivant retranchée et Berangère en envoûtant les hommes incapables de résister à ses charmes. Mais également sur le pouvoir du temps sur les sentiments violents. Lothaire est un séducteur impénitent, éconduit par sa promise le jour de son mariage, il essuie un refus cuisant. Esclarmonde, de sa cellule, le confrontera à ses démons. La frustration disparaîtra laissant éclore un amour inconditionnel. La venue d’un enfant en cet espace confiné nourrira la mystification. Rentrée vierge dans sa prison, son enfant ne peut être qu’issu du pouvoir divin. Dans les paumes de son fils, elle fera une expérience mystique. Son esprit s’échappera. Elle accompagnera par la pensée ce père parti sauver son âme en terre sainte.

Une plume envoûtante

Outre le portrait magnifique que réalise Carole Martinez, son écriture est pour beaucoup dans mon appréciation. Je suis totalement conquise par sa plume à la fois poétique et onirique. On se laisse porter par la musique du roman. On est pris par cette ambiance ouatée délicatement racontée. Comme ensorcelés par les mots de l’auteure. Il n’y a pas de plus grand plaisir pour un lecteur que de faire une rencontre comme celle-ci. Puisque s’ouvrent à la fois un univers singulier, mais également une langue nouvelle. La promesse d’un moment hors du temps.

Conclusion

Si vous n’avez pas encore succombé à la plume de Carole Martinez, foncez vous passerez un très bon moment ! L’écriture est sublime, l’histoire déroutante et passionnante, oscillant entre un portait de femme saisissant et un conte fantastique se déroulant dans un monde empreint de magie. Cette façon avec laquelle l’auteure laisse le merveilleux affleurer la réalité est très réussie. Du domaine des murmures est un roman à glisser dans ses bagages pour un pure moment de bonheur ! 😉

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Hôpital psychiatrique, Raymond Castells : une version moderne du Comte de Monte-Cristo (Lecture d’été #4)

Accusé à tort d’avoir violé puis tué sa sœur ainsi que ses parents, Louis Dantezzi est envoyé en hôpital psychiatrique en 1937 à seulement dix-sept ans. Passé les premières semaines abominables où lui seront infligées humiliations, tortures et pressions psychologiques, il se retrouve dans le quartier des criminels dangereux, dirigé par un certain Tony et sa clique, qui y font régner l’ordre à leur manière. Louis a beau clamer son innocence, rien n’y fait. Il doit se résigner à rester dans cet asile d’aliénés où ceux qui le dirigent se révèlent plus atteints que les patients eux-mêmes. Tel un Comte de Monte-Cristo moderne, Louis imagine un plan pour s’évader. À l’instar de son modèle Edmond Dantès, il met son ingéniosité au service de sa mission et observe assidument le fonctionnement de l’établissement dans lequel il se trouve. En peu de temps, il parvient à gravir les échelons hiérarchiques jusqu’à se rendre parfaitement indispensable à son bon fonctionnement. Flattant les uns, tout en ne froissant pas les autres. Il parvient à tirer son épingle du jeu. Mais c’était sans compter sur la guerre qui éclate et l’arrivée d’un régiment de soldats allemands. La cohabitation entre les malades mentaux, les collabos, les résistants, les soldats allemands et des légionnaires sous la férule du régime de Vichy ne sera pas de tout repos. Dans ce climat explosif, Louis rencontre Louise dont il tombe éperdument amoureux. Entre humour et descriptions d’une horreur absolue des sévices pratiqués sur les internés leur ôtant toute leur humanité, ce roman est une très belle surprise. Hôpital psychiatrique est une fiction romanesque qui mêle intrigue bien ficelée, histoire d’amour et observations sur le traitement des malades mentaux sur fond de contexte historique détonnant. Le rythme est soutenu, péripéties et rebondissements se succèdent nous entraînant dans la vie de personnages aussi fous qu’attachants. L’hôpital au fil du temps deviendra une véritable poudrière dont l’issue funeste semble inévitable. Un roman passionnant inspiré de faits réels !

Un asile de fous !

C’est le moins que l’on puisse dire, l’asile dans lequel Louis est interné regorge de personnalités loufoques. Entre Tony qui se prend pour le chef de la mafia locale et ses deux sbires au QI avoisinant le néant. Sabine, dont la fonction officielle est chef du personnel soignant des femmes, mais qui exerce entre autre la fonction de mère maquerelle. Un malade qui se fait appeler Jésus, habité par la mission qui lui a été conférée. Et le directeur qui se gargarise de l’aura que lui accorde ses responsabilités. Louis devra redoubler d’ingéniosité pour ne pas se laisser contaminer par la folie ambiante. Heureusement le docteur Bronstein, juif allemand naturalisé français, sauve le tableau. Homme de valeurs, il exerce son métier avec dévotion. Ce dernier rehausse le niveau d’humanité de l’hôpital psychiatrique. Afin de mettre à exécution son plan d’évasion, Louis va se familiariser avec chacun des recoins de l’établissement et prouver son dévouement. Certaines scènes de torture sont à la limite du soutenable faisant l’objet d’une description clinique. La population de l’hôpital fait office de cobaye humain. La réalité de la vie en HP est à vous glacer les sangs. Pour écrire son roman, l’auteur s’est inspiré du fait que collabos et résistants ont effectivement vécu au même moment dans ces établissements. Une cohabitation périlleuse propice aux débordements. La trame du roman est le désir de vengeance qui anime Louis, qui ne cesse de se revendiquer innocent face aux charges qui pèsent sur lui. Mois après mois, on assiste à sa prise de contrôle. Parvenant à manipuler chaque pion habilement.

Conclusion

Je n’avais pas entendu parler de ce roman avant qu’il me soit conseillé par mon libraire, et je dois dire que je suis agréablement surprise. Ne vous fiez pas à la couverture, dont le graphisme est discutable, et plongez-vous dans cet univers complètement barré. Un très bon moment de lecture en perspective, je vous l’assure ! 😉

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Tanguy, Michel del Castillo : la perte des illusions (#chefd’œuvre)

Tanguy, c’est lui. Un enfant à qui l’on a ôté toutes illusions. Chef d’œuvre absolu, Tanguy est un des plus beaux livres que j’ai lu dans ma vie. Il touche l’âme de celui qui le lit. Il suffit de quelques mots pour saisir la puissance d’évocation du roman que l’on a entre les mains. On est foudroyé par sa beauté, la justesse des mots employés et la simplicité avec laquelle l’horreur est racontée. Tanguy est de ces romans qui font vibrer l’âme. C’est la littérature dans sa forme la plus aboutie, lorsqu’elle transcende la réalité. Ce qui est dit ici ne se restreint pas à son sujet. Tanguy est le symbole d’une enfance sacrifiée. L’auteur avertit que son projet n’est pas la quête de la vérité mais l’expression d’une réalité recomposée, fruit de souvenirs altérés par le poids des années. La réalité telle qu’elle a pu être ressentie par un enfant, dont le sens des événements lui échappe, mais capable d’en mesurer la portée. La question de la responsabilité traverse le roman. Très tôt, Tanguy sera confronté aux défaillances de ses parents. Son père est un être lâche, capable de dénoncer son  fils et par conséquent de provoquer son internement en camp. Quant à sa mère, elle ne cillera pas lorsqu’on lui retirera son enfant. Mettre le doigt sur l’origine du mal qui le ronge nécessitera des années. Cette quête de résilience passera inévitablement par la reconnaissance de la lâcheté de ceux qui ont failli à l’aimer. En s’exprimant à hauteur d’enfant, Michel del Castillo confère à son œuvre une dimension intemporelle. On la lit le souffle coupé, la gorge serrée, comme propulsé hors du temps. Sauvé par des êtres habités par une profonde humanité, il conservera sa vitalité, opposant à la cruauté des hommes, la force de résister. Malgré cette enfance d’une horreur absolue, Tanguy est un texte lumineux. Une œuvre à la fois intemporelle, singulière et sublime. Capable de vous procurer des frissons d’émotion. On ne peut qu’être muet de saisissement devant un destin si chaotique, que l’auteur sublime par la puissance des mots en écrivant ce roman.

Chef d’œuvre

Qu’est-ce qu’un chef d’œuvre ? Donner une réponse précise à cette question est souvent délicat. En ce qui me concerne je pèse mes mots lorsque j’emploie ce qualificatif pour le roman autobiographique de Michel del Castillo. Tanguy est un texte intemporel de par son sujet. L’auteur insiste dans une préface d’une beauté inouïe, qui à elle seule mérite tous les éloges, sur la nature autobiographique de l’ouvrage mais surtout sur son aspect romancé. Le roman octroie à l’auteur une liberté que ne permet pas l’autobiographie pure. Dès lors, il peut combler les manques et les oublis de son parcours. Les lieux ont existé, les individus aussi, mais l’enjeu n’était pas de coller au plus près de la réalité. Écrit à différents moments, les souvenirs se sont érodés, ils sont imprécis, tronqués, ce sont ceux d’un enfant balloté. Si l’auteur ne recherche pas la précision, il cherche surtout à faire revivre les sensations éprouvées. Tanguy est une œuvre singulière. Michel del Castillo s’évertue à ne pas faire transparaitre de pathos dans la langue qu’il emploie. Le rendu est d’une grande simplicité qui ne saurait trahir le temps passé à travailler l’agencement des mots, la vraisemblance d’une conversation. L’auteur a su trouver les mots justes pour exprimer toute cette douleur en lui. Il ne la déverse pas, il l’évoque par touche. La distance qu’il met entre lui et Tanguy est tout simplement parfaite. Il habite les mots sans les étouffer. Il nous fait pénétrer dans son intimité, se confie à nous, sans intrusions. Un grand roman se jauge également à sa capacité à nous émouvoir, à provoquer une réaction. En lisant certains passages très durs de la vie de Tanguy, je me suis surprise à avoir les mains crispées, la gorge nouée, c’était quasi physique ce que j’éprouvais. Très peu de romans ont ce pouvoir là.

Une enfance chaotique ponctuée par les séparations

Contraint de quitter l’Espagne avec sa mère en plein cœur de la guerre civile, Tanguy arrive en France. Première étape d’un périple qui durera des années. La vie de Tanguy semble guidée par la fatalité. Puisqu’une fois arrivé en France, alors qu’il rencontre pour la première fois son père, il est envoyé au camp d’internement de Rieucros avec sa mère. Étrangère et de surcroit communiste, sa mère inspire d’emblée l’hostilité. Sa présence encombrante entravant les plans de son ex-mari, il les dénoncera à l’administration française. À leur sortie du camp, terrorisée à l’idée d’y retourner, sa mère décide d’organiser leur départ pour l’Espagne. Ils passeront clandestinement la frontière, chacun de leur côté. Une telle décision de la part d’une mère a déjà de quoi soulever l’indignation, mais lorsque l’on se rend compte qu’après que son fils est arrêté par la police et envoyé en camp de concentration en Allemagne, elle disparaît complètement, on est sidéré. Comment une mère peut manquer à ce point d’instinct maternel pour ne pas soucier de la sécurité de son enfant ? Tanguy a cette capacité de se faire aimer. Même dans les situations désespérées, il finira par trouver refuge auprès d’une personne avec qui il aura tisser des liens forts, lui permettant de maintenir un semblant de chaleur humaine. La mort rode, décime tous ceux autour de lui. Elle l’épargne à chaque fois, le privant néanmoins de ceux auxquels il tient. Il perd alors ses seuls repères. Lui, le petit garçon déraciné, renié et abandonné, qui se maintient à la vie par la seule force de sa volonté. Puisque Tanguy est terriblement seul. Livré à lui-même, il n’a personne sur qui compter. À la libération, l’espoir renaît, aussitôt balayé. S’ensuivront des années marquées par la violence et une extrême solitude. Il est à peine croyable qu’il ait tenu. Face à l’adversité, les épreuves toujours plus dures, Tanguy a fait le choix de se résigner. Conscient qu’une autre vie l’attend. Quelques figures émergent de ce chaos. Son ami Gunther au camp, le père Pardo au collège des Jésuites. Substitut à une figure paternelle rassurante et aimante qui lui redonnera espoir en la nature humaine. Tanguy refusera toujours de laisser la haine l’envahir. Il lui faudra en permanence tenter de distinguer les êtres intrinsèquement bons de ceux rongés par le vice. Une fois cette distinction effectuée, Tanguy connaît son camp et celui de ses parents.

Conclusion

La recherche de pépite comme Tanguy est un travail fastidieux. Peu de romans allient la virtuosité de la langue à une histoire capable d’émouvoir à ce point. Ici tout y est. Ainsi, lorsqu’on a la chance de tomber sur un tel roman, il faut le savourer, se délecter de chaque mot, se laisser bercer par la voix de l’auteur. J’espère que vous aussi vous ressentirez ce sentiment d’exception à la lecture de ce texte d’une rare beauté.

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Est-ce ainsi que les hommes jugent ?, Mathieu Menegaux : le « bashing » ou l’enfer des réseaux sociaux

Dans ce troisième ouvrage, Mathieu Menegaux renoue avec ses thèmes de prédilection, qui ont fait le succès de ses deux précédents romans. Après s’être glissé dans la peau d’une femme agressée sexuellement dans Je me suis tue, et avoir campé une mère de famille au prise avec la justice, se battant pour protéger ses enfants d’un père abusif dans le glaçant Un fils parfait, Mathieu Menegaux imagine, cette fois-ci, la descente aux enfers d’un homme dont la vie va basculer. Gustavo a tout du citoyen modèle. Diplômé d’une prestigieuse école de commerce, cadre sup’ exemplaire, mari aimant et père de bonne famille, il semble exempt de tout soupçon. Et pourtant, un matin la police débarque chez lui. Accusé de tentative d’enlèvement sur mineur et d’homicide volontaire, Gustavo est sonné. Rien ne le prédestinait à se retrouver au cœur d’un procès, encore moins en tant qu’accusé. Pire, un faisceau de preuves semblent attester sa culpabilité. Pris dans un engrenage qui le dépasse, Gustavo voit sa vie s’écrouler. Allant jusqu’à douter de sa propre culpabilité et de la véracité des faits qui lui sont reprochés. À cela s’ajoute la violence des accusations dont il fait l’objet sur les réseaux sociaux, bien qu’infondées, cela ne semble pas désarçonner ceux qui déversent leur haine à coup de 140 caractères. Faisant monter la pression. Mathieu Menegaux s’en prend au non respect de la présomption d’innocence. Puisque Gustavo est déclaré coupable avant même d’avoir pu saisir ce qui lui était reproché. Ainsi qu’aux dangers que représentent les réseaux sociaux. D’une grande versatilité, la rumeur agit comme un soufflé. Les réactions qu’elle déclenche sont épidermiques. Pouvant atteindre un degré de violence d’autant plus difficile à tempérer que rien ne semble en mesure de l’endiguer. Aucune loi n’existe permettant de stopper net ce type de harcèlement. Il s’agit alors de résister, tenter de ne pas flancher, face aux accusations erronées en espérant passer entre les mailles du filet. Un constat angoissant…

La justice aux mains de l’opinion publique

Le dernier roman de Mathieu Menegaux s’attèle à dénoncer un phénomène qui s’est accentué ces dernières années, soit la mainmise de l’opinion publique sur la justice. Il est fini le temps où les procès se déroulaient à huis clos, aujourd’hui tout doit être accessible, visible. Pour pouvoir être relayé, commenté, retweeté… Enfin pour que tout le monde puisse s’accaparer la nouvelle et la faire sienne, quitte à se tromper. Au détriment du principe de protection de la vie privée. Les thèmes abordés sont toujours très pertinents et la critique de notre société juste sous la plume de Mathieu Menegaux. Appréhender ce sujet sous la forme d’un thriller psychologique est une bonne idée. On est pris par le roman. Comme ses précédents, une fois entamé, on le lit d’une traite. La plume est efficace.

Conclusion

Mathieu Menegaux reprend les codes qui ont fait son succès. Si vous avez aimé les deux premiers romans de cet auteur, il y a de grande chance pour que celui-ci vous plaise tout autant 😉

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Ecstasy and me, La folle autobiographie d’Hedy Lamarr : la bio sulfureuse du sex-symbol hollywoodien (Lecture d’été #3)

« Autant le dire dès maintenant, dans ma vie, comme dans la vie de la plupart des femmes, le sexe a joué un rôle prépondérant. » Je vous le dis tout de go, l’incipit est à la hauteur des détails scabreux qui nous sont révélés. Sans préambules, la star nous plonge dans son intimité et sa vie sexuelle débridée. À cela, s’ajoute le fait que ce texte est auréolé de mystères. Puisque paru en 1966 aux États-Unis, il vient seulement d’être publié en France. Et c’est du lourd. Souvenez-vous, avant de devenir un sex-symbol, Hedy Lamarr a été révélée par le fil Extase, sorti en 1933, dans lequel outre gambader nue au milieu d’une forêt, elle mimait un orgasme à l’écran. De quoi mettre en émoi l’Amérique puritaine des années trente. Cette image sulfureuse lui est restée, et au vue de sa vie, semble tout à fait méritée. Mariée six fois, divorcée tout autant, enchaînant les amants à un rythme sidérant, dilapidant son argent – près de trente millions de dollars, Hedy Lamarr affiche une liberté décomplexée, loin de l’image de victime du star system hollywoodien. Bien que ruinée à la fin de sa vie, elle n’a jamais regretté le faste de sa vie d’avant. Sûre d’elle, l’actrice affectionne tout particulièrement son indépendance et entend diriger sa carrière comme elle l’entend. Elle connaît les ficèles de son métier et a toujours su les tirer pour mener à bien ses projets. Femme d’affaires avant l’heure, elle est une négociatrice hors pair qui a su faire plier les magnats du cinéma. À la fois mère aimante et amante insatiable, Hedy Lamarr est fascinante. Sa bio regorge d’anecdotes savoureuses. Elle se met littéralement à nu et n’omet aucun détails. On assiste à des scènes surréalistes racontées avec un détachement et un flegme sidérants. Elle évoque sans complexes sa vie sexuelle débordante, ses doutes, ses échecs et ses réussites. Sans complaisance, ni fausse pudeur, elle nous fait vivre à travers ses yeux une époque où tous les excès étaient permis. Où le sexe et l’argent étaient roi. Le parallèle avec les affaires qui secouent Hollywood est plus que tentant.

Hedy Lamarr, une femme de tête…

Cette époque charnière de l’âge d’or du cinéma hollywoodien a maintes et maintes fois était racontée mais les confessions d’Hedy Lamarr apporte cette note détachée qui manquait. Il suffit de lire les nombreuses biographies de Marilyn ou le roman Platine de Régine Detambel sur Jean Harlow, pour saisir l’ampleur de la machine à brasser de l’argent que fut l’industrie du cinéma du milieu du vingtième siècle. Hedy Lamarr semble avoir toujours su garder une certaine distance avec sa notoriété. Contrairement à celles qui furent broyées par le système et virent leur carrière stoppée net, Hedy Lamarr a su se préserver. N’étant pas de nature torturée, elle n’était pas obnubilée par l’image qu’elle renvoyait, ni emprisonnée dans une éternelle quête de la perfection. Elle avait conscience d’être belle mais n’en faisait pas grand cas. C’est cette distance, chez l’une des plus belles femmes du monde, que je trouve frappante. Être capable d’en user sans en abuser. Elle conserve en permanence la bonne distance. Ne se vexe pas inutilement. On sent chez elle une certaine légèreté. Un détachement qui la rend plaisante. Hedy Lamarr aime être aimée, mais ne s’en cache pas. Dans son autobiographie, elle se montre d’une sincérité surprenante. Elle revient sur sa rencontre avec le magnat du cinéma Louis. B Mayer, cofondateur de la MGM. Hedy Lamarr était alors fraichement divorcée de son premier mari, Fritz Mandl, un puissant fabricant d’armes en Europe, connu notamment pour avoir tenté de détruire toutes les copies du film Extase qu’il jugeait indécent. Ce dernier faisait preuve d’une jalousie maladive, allant jusqu’à suivre sa femme dans la rue et à enregistrer ses conversations. Certains souvenirs semblent tout droit tirés d’un film burlesque. Tel celui où Hedy Lamarr se retrouve à avoir une relation dans un bordel où elle s’était réfugiée pour échapper à son mari, ou le jour où elle sauta par la fenêtre pour ne pas être trouvée dans une situation embarrassante qui aurait prêté à confusion et nécessité des explications. Finalement, c’est déguisée en gouvernante qu’elle parviendra à lui échapper. Le divorce sera prononcé peu de temps après. Une fois les formalités réglées, elle embarque pour les États-Unis avec la ferme idée de décrocher un contrat avec la MGM tout en ne renonçant pas à ses revendications. Avant la fin de la traversée, Louis B. Mayer lui cédera. Il lui fabriquera par la suite une image de toute pièce. C’est ainsi que l’obscure Hedwig Kiesler laissera place à Hedy Lamarr, la beauté froide comme le marbre. Ce contrat annonce le début d’une carrière fulgurante. Contrainte au début de sa carrière de céder à certaines exigences, elle jouera dans un premier temps les rôles qui lui sont imposés, mais par la suite elle s’émancipera de la houlette du patron de la MGM. Maniant l’art de la manipulation à la perfection, elle finira par obtenir ce à quoi elle aspire, imposant même ses conditions. Malgré l’aura dont elle jouit, Hedy Lamarr a la sincérité de remettre en doute ses talents de productrice et reconnaît son manque de flair lorsqu’il s’agit de dénicher un scénario bankable. C’est cette capacité à garder les pieds sur terre et à se montrer flexible qui lui permit de ne pas sombrer, là où d’autres y ont laissé des plumes. D’ailleurs, cet aspect cérébral de la star, n’est malheureusement que traité en superficialité, à mon goût. Puisqu’il est de notoriété publique, que l’actrice concevait toutes sortes d’inventions. L’une d’entre elles n’est autre que l’ancêtre du wi-fi. Cette partie de sa vie est abordée de manière extrêmement brève dans la postface. C’est bien dommage, cela aurait mérité bien plus que quelques lignes en fin d’ouvrage.

…mais pas que

Le timing est amusant, puisque la sortie de cet ouvrage coïncide avec l’explosion à Hollywood du nombre de plaintes posées à l’encontre des pontes du cinéma, exerçant leur pouvoir despotique sur les actrices. Ce qui choque aujourd’hui, semble avec les mots d’Hedy Lamarr n’être qu’un des aspects avec lesquels il fallait composer. D’ailleurs, l’actrice ne cherche pas à dénoncer les pratiques sexuelles de l’époque, elle parvient à s’en accommoder. Flirtant avec ses prétendants, les repoussant si l’envie n’y était pas ou se laissant aller avec délectation. Le ton n’est jamais véhément. En la lisant, on finirait par croire qu’un simple non serait accueilli comme une fin de non recevoir.

Conclusion

Ecstasy and me est une lecture parfaite pour la plage. À la fois divertissante et bourrée de réflexions pertinentes, on passe un très bon moment en compagnie de celle qui fut considérée comme « l’une des plus belles actrices de monde ». Si vous souhaitez en découvrir plus sur la femme de science, notamment sur son rôle d’inventrice, je vous conseille d’écouter en podcast l’émission sur France Inter Autant en emporte l’histoire Hedy Lamarr, la plus belle femme du monde avait aussi un cerveau, qui lui est consacrée.


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