Quelle plume ! De Sophie Van Der Linden, je connaissais La fabrique du monde. Un premier roman d’une concision remarquable écrit à la manière d’un conte cruel. Dans ce troisième roman éblouissant, elle réitère un procédé littéraire qu’elle maîtrise parfaitement. Dans une langue imagée à l’esthétisme travaillé, elle embrasse toute la richesse des paysages d’Orient. Début du 19e siècle. Un convoi d’artistes venu d’Occident pose pied à Constantinople. Ensorcelé par l’exotisme des paysages, les effluves entêtants des épices d’Orient, par la beauté des jeux de lumières et des clairs obscurs révélant les subtilités d’une architecture complexe, un peintre français décide de poursuivre son voyage. En réalité, cette décision est le fruit d’une obsession. Son œil exercé a su percevoir, dans le tombé délicat du drapé des fustanelles, un sujet d’étude à la hauteur de son talent. Frustré par ses échecs répétés à fixer le mouvement du tissu sur la toile, lui qui pourtant excelle à reproduire la réalité, entreprend un voyage à destination d’une fabrique de tissu nichée dans les montagnes de l’Empire ottoman. Après Constantinople est un voyage initiatique qui marque la fin d’un ailleurs modelé par notre imaginaire d’étranger, préférant occulter ce qui blesse le regard mais que l’on se contente d’effleurer. Le peintre français au contact d’une femme énigmatique à la sensualité raffinée découvrira l’envers de ce qu’il n’avait jusqu’alors qu’entraperçu. Une vérité d’une violence crue, bien loin de l’image idéalisée du pays des contes des Mille et Une Nuits. L’auteure interroge la facilité avec laquelle l’homme se rend prisonnier d’une réalité fabriquée. La projection occidentale d’un Orient fantasmé. Cette construction de notre esprit est si ancrée, que s’en défaire requiert de fournir un effort, de sortir de notre zone de confort pour aller à la rencontre de cultures inconnues. Et surtout ne pas être tenté de plaquer ce qui nous est familier. L’auteure est une conteuse formidable. Son écriture incarnée recèle une poésie inouïe.
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