Lettre à D. est une déclaration d’amour d’une beauté inouïe et d’une délicatesse infinie. L’ultime preuve d’amour qu’André Gorz dédie à sa femme. Un an avant qu’ils ne choisissent de se suicider. Atteinte d’une maladie incurable, elle se savait condamnée. Il a fait le choix de l’accompagner, en sachant pertinemment qu’il lui aurait été insupportable de continuer à vivre sans qu’elle ne soit à ses côtés. À l’instar de ces oiseaux qui se laissent dépérir quand ils perdent leur moitié. Il n’aura jamais cessé de l’aimer. Du premier jour, où ils se sont rencontrés, jusqu’au dernier. Et pourtant ce n’était pas gagné. Lui, le juif autrichien sans argent, n’aurait jamais imaginé séduire cette anglaise tout juste débarquée. Il aura suffi d’une invitation à danser. À partir de là, ils ne se sont plus quittés. André Gorz remonte le fil de leur histoire, commencée cinquante-huit ans auparavant, et tente d’en percer le mystère. De trouver les mots justes pour exprimer la magie de leur union. La simplicité avec laquelle cette femme s’est glissée dans sa vie. Lui, pourtant d’un naturel peu enclin à partager son intimité de part ses activités d’écrivain. Il relève dans leur enfance respective des similarités. Un sentiment d’insécurité, les forçant à dissimuler leurs fragilités, qui aura fini par les rapprocher. Leur amour repose sur cet engagement. Protéger l’autre, unir leur individualité pour contrer leur vulnérabilité et ne plus faire qu’un tout inébranlable. L’auteur souligne leur complémentarité, l’impossibilité de vivre séparé l’un de l’autre. Il saisit la chance qu’ils ont eue de vivre un amour absolu. Le seul, l’unique, celui qui s’impose d’emblée comme une évidence. À qui l’on sait que l’on devra tout sacrifier et accepter de ne rien lui privilégier. Au risque de le voir nous échapper. Lettre à D. est un texte qui m’a profondément émue. De part la sincérité avec laquelle l’auteur se livre, se mettant à nu devant son lecteur, et la pudeur avec laquelle il exprime des sentiments que le passage des années n’aura pas su émousser.
Être deux
La littérature regorge d’histoires d’amour. Tour à tour tragiques, comiques, amicales, sentimentales, épistolaires, fictives…et plus ou moins réussites. Il y en a pour tous les goûts. Mais là, vous avez entre les mains, la plus belle déclaration d’amour jamais écrite. L’auteur relate sa propre histoire. Son vécu avec celle qu’il a aimée pendant cinquante-huit ans. Ce texte autobiographique n’est pas une simple déclaration d’amour mais bien le dernier texte publié par André Gorz. Et quoi de plus beau lorsqu’on écrit, que de clore son œuvre en consacrant le dernier opus à l’être aimé. Lui céder cette ultime preuve d’amour. Lui prouver que tout finalement lui était liée. Que rien n’aurait pu exister sans elle. Que même l’écriture à laquelle il était entièrement dévoué, lui consacrant tout son temps, lui était intimement liée. Cette activité n’aurait pas eu lieu d’exister si elle n’avait pas été là. Près de lui. À lui réaffirmer son amour tous les jours. L’apaisant par sa seule présence. Le rassurant lorsque les problèmes d’argent pointeront le bout de leur nez. Acceptant son fonctionnement, ses petites manies. Que de minuit à trois heures du matin, il reste éveillé, retravaillant sans relâche ses textes. Sous la plume de l’auteur, aimer revient à se fondre en l’autre. À ne plus former deux entités distinctes, mais à jumeler. Cette conception de l’amour fusionnel semble aujourd’hui bien lointaine. Sans pour autant que l’effet ne soit recherché, André Gorz nous oblige a nous interroger sur l’évolution du sentiment amoureux. Quelle forme prend-il ? A-t-on définitivement rompu avec cette vision en privilégiant notre individualité et en défendant bec et ongles une conception moderne (peut-être extrémiste) de notre liberté ? Aimer, comme le dit avec justesse son épouse, c’est accepter de s’engager. C’est privilégier un chemin au détriment d’un autre. Ce qui peut impliquer des concessions. En est-on capable aujourd’hui ? En a-t-on seulement l’envie ? Je ne vois pas comment ce texte peut ne pas faire écho en chacun de nous. On ne peut qu’être touché par un homme qui expose ses sentiments avec autant de tact et de sensibilité. On sent que l’amour est là. Ce sentiment indicible, l’auteur parvient très nettement à le poser sur le papier. En lui consacrant son ultime roman, André Gorz fait à son épouse le plus beau des cadeaux qu’il est possible d’espérer.
Conclusion
En moins de cent pages, André Gorz retranscrit le sentiment amoureux dans ce qu’il a de plus puissant. Lettre à D. se lit d’une traite, en apnée. On le finit la larme à l’œil, bluffé devant tant de sincérité. Je remercie de tout mon cœur André Gorz et lui suis infiniment reconnaissante d’avoir écrit ce très court texte avant de faire le choix d’accompagner sa femme. Il nous a légué un petit bijou.
AMOUR
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