Quel secret recèle ce tableau ? Les filles au lion, peint en 1936 dans un petit village d’Andalousie juste avant que la guerre civile n’éclate et ne vienne troubler le calme que sont venus chercher les Schloss, une famille viennoise en quête de tranquillité, attise la curiosité d’Odelle. Originaire des Caraïbes, Odelle habite Londres depuis cinq ans. Récemment embauchée dans une galerie d’art, elle se lie d’amitié avec Marjorie Quick, pour qui elle travaille. Au même moment, elle fait la rencontre d’un jeune homme, Lawrie, qui vient d’hériter d’un mystérieux tableau. Lorsque Quick aperçoit Les filles au lion, son sang se fige, ses yeux fixent la peinture avec avidité, le temps semble s’être arrêté. Odelle ne peut s’empêcher de remarquer le bouleversement provoqué. Elle décide d’enquêter pour dissiper le mystère qui entoure l’œuvre, démêler les fils et reconstituer le chemin parcouru par une peinture que l’on pensait disparue. Jessie Burton signe un véritable page turner au dispositif romanesque implacable. Elle fait s’entrelacer les destins en construisant son intrigue sur une double temporalité. Le tableau servant de clé de voûte. En filigrane, elle évoque la condition de l’artiste, pris en étau entre le besoin antagoniste de conserver son anonymat pour pouvoir créer en toute liberté et le désir de voir son travail exposé. C’est sur cette double nécessité que se fonde l’usurpation d’identité, noeud du roman. Olive fera endosser la paternité de son œuvre à son amant. Réalisant que son statut de femme ne ferait que l’entraver, la priver d’une reconnaissance à laquelle son talent devrait lui permettre d’accéder. De peur de voir son travail enfoui, sombrer dans les abîmes de la postérité, elle décide de s’effacer. Jessie Burton explore les origines de la création artistique, la violence qui résulte de se voir déposséder de ce que l’on a créé. Le sacrifice auquel l’on doit concéder pour accéder à la reconnaissance critique. Jessie Burton est une conteuse hors pair.
L’impulsion créatrice et le statut de l’artiste
Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Jessie Burton ne privilégie pas le fond au détriment de la forme, et inversement. Elle excelle dans l’art de faire s’entrecroiser les époques, tout en maîtrisant de bout en bout sa trame romanesque. Avec ce second roman, elle confirme son goût des constructions complexes reposant sur des destins délicatement imbriqués. Si les codes du roman sont parfaitement respectés, l’auteure va plus loin. Et propose une véritable réflexion sur l’art de créer. Sur la place des femmes dans un univers qui était alors exclusivement masculin. Comment devaient-elles se positionner ? Le dilemme consistant à accepter les conditions imposées et tenter de faire vivre son œuvre par personne interposée, ce que fera Olive, ou à revendiquer le droit d’exister en tant qu’artiste. C’est une question qui est abordée de manière subtile et traverse le roman. C’est ce savant dosage entre une fiction romanesque et une réflexion plus poussée qui donne tout son cachet au récit. Au-delà du du sujet de l’émancipation féminine, Jessie Burton explore les origines de la création. D’où vient ce besoin irrépressible de peindre, comment il naît, peut s’essouffler, pour finalement disparaître comme il est arrivé. L’idée qui consiste à faire de l’autre sa source d’inspiration est peut-être galvaudée mais est très bien rendue dans ce roman. Olive se nourrit de l’énergie de son amant. Jeu dangereux qui ne tardera pas à déséquilibrer leur relation. Voir sa source d’inspiration lui échapper provoquera sa frustration, tandis qu’Isaac vivra mal le fait d’être utilisé. Jessie Burton soulève différents sujets, et si elle ne les creuse pas davantage, elle laisse au lecteur le soin de se les accaparer.
Conclusion
Les filles au lion est un roman passionnant, que je ne peux que vous conseiller. Une fois terminé, j’ai immédiatement noté de lire son précédent. Miniaturiste lui ayant valu des critiques dithyrambiques 😉 L’avez-vous lu ? Si oui, lequel avez-vous préféré ?
HISTORIQUE
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