Difficile de résister à l’esthétique des couvertures des Éditions Zulma. En particulier celle de La somme de nos folies, qui donne le ton de ce premier roman pétillant ! Récemment auréolé du Prix du Premier Roman Étranger 2018, La somme de nos folies est un petit bonbon acidulé, une lecture doudou, mais surtout une belle invitation à l’évasion. Direction Lubok Sayong. Dans ce petit coin reculé de la Malaisie, des choses surprenantes surviennent. Tout d’abord, il y a cette histoire de poisson dépressif aux tendances suicidaires. Avide de liberté, il refuse de s’alimenter. Sa maîtresse, l’impitoyable Beepi, excédée, se décide à le relâcher. Quelques années plus tard, un touriste américain est englouti au cours d’une partie de pêche. Coïncidence ? Mais revenons à la genèse des événements. Tout a commencé le jour où Beepi apprend le décès de sa sœur, et simultanément se voit confier la garde d’un enfant. Mary Anne, une jeune orpheline que sa sœur venait d’adopter. Baptisée Mary, comme toutes les jeunes filles ayant atterri dans cet orphelinat pour le moins surprenant. Le lieu étant administré par une cougar, à l’esprit pétri par les contes de fées, toute prête à s’illusionner. Personnages clés de cette fresque rocambolesque, Auyung, le directeur de la conserverie de litchi et Miss Boonsidik, lady boy assumé au caractère bien trempé, qui n’entend pas se laisser dicter sa conduite par des mâles testostéronés. Quitte à se mettre en danger. La somme de nos folies est un récit bourré de charme, porté par des personnages truculents et attachants, que l’on peine à quitter. J’ai été éblouie et transportée par la tendresse qui émane de ce texte. Shih-Li Kow s’attache à souligner les traits de ses personnages avec beaucoup de délicatesse, révélant ce qui fait leur singularité, le tout sans aucune vulgarité. Bien au contraire, cette communauté d’êtres bousculés par la vie parvient à créer une bulle préservée. Un lieu chaleureux où l’amitié et la bienveillance règnent sur les relations humaines. Un roman lumineux !
Le réalisme magique au service d’une réflexion sociologique
Sous une apparente légèreté, La somme de nos folies, effleure des sujets de société brûlants. Tels que les mutations politiques en Malaisie, en particulier la constitution d’une opposition en faveur d’un régime plus progressiste. Shih-Li Kow décrit un pays multiethnique, où chacun se définit par son appartenance à une religion, par des croyances et des coutumes spécifiques, conduisant à la stratification de la société. Les malais occupent le haut de la pyramide, tandis que les minorités indiennes et chinoises sont reléguées en bas. L’objectif n’est pas de dénoncer de manière virulente l’existence des inégalités, mais de les évoquer avec subtilité comme une composante de la réalité. C’est grâce à l’incursion de phénomènes à la lisière du surnaturel que l’auteure réussit à toucher du doigt des sujets épineux, sans pour autant basculer dans une critique acerbe de la société. En faisant le choix de ne pas aborder ces sujets frontalement, Shih-Li Kow parvient à montrer qu’ils façonnent la société. Devenant quasiment invisibles aux yeux des protagonistes. Le réalisme magique donne l’impression d’évoluer dans une réalité augmentée. À la recherche de la vérité par l’auteure, s’ajoute la volonté de transporter le lecteur dans un univers qui échappe à la réalité. Shih-Li Kow est non seulement engagée politiquement mais également socialement. L’engagement du ladyboy Miss Boonsidik envers la communauté transgenre est un acte politique fort. Shih-Li Kow dénonce des êtres forcés à se renier. Ce qui aurait pu revêtir un caractère dramatique, en faisant prendre au roman un tournant plus tragique, est évité de justesse par la plume de l’auteure, qui maîtrise parfaitement le ton de la narration. La somme des nos folies est un roman plus profond qu’il n’y paraît. L’auteure malaisienne propose une réflexion sous-jacente pertinente.
Conclusion
La somme de nos folies offre des clés de lecture multiples. Il revient à chacun de saisir ce qu’il souhaite approfondir. Shih-Li Kow mérite son Prix du Premier Roman Étranger. Elle signe un roman abouti tant du point de vue du fond que de la forme. Je vous le conseille vivement, surtout en cette période de fin d’année !
PREMIER ROMAN
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