« Elle a expédié la question en une phrase simple et sèche : il n’y a pas de père. » Et pourtant, un père il y en a un, et même deux : biologique et d’adoption, celui qui a permis la conception, et celui qui pendant des années a donné son affection pour se retrouver du jour au lendemain dépossédé de son statut, en vertu (in)justement de la seule chose que l’autre a apportée. Aymeric a vingt-cinq ans. Paumé après avoir passé dix-huit mois en prison, il se met à fréquenter une femme de quinze ans son aînée, enceinte d’un homme marié. Loin de l’effrayer, la situation lui offre une chance de s’ancrer à nouveau dans la société. De reprendre pied, en campant un nouveau rôle : celui de beau-père. Mais, lorsque Jim naît, Aymeric est loin de s’imaginer à quel point son monde est sur le point de chavirer. La distance des débuts – liée au laps de temps nécessaire pour appréhender la situation et définir sa position dans la vie du garçon – se transforme au fil des moments partagés en une affection profonde. Les tâtonnements laissent place à un sentiment puissant, s’apparentant à celui d’être parent. Puisque Jim est son fils. Son garçon, son petit, celui qu’il veille jour et nuit, celui qui donne un sens à sa vie, celui pour qui il se met à suivre le foot de près – sport pour lequel il n’a aucun intérêt, espérant ainsi fortifier un lien fragile que rien ne pourra abîmer. Jusqu’au jour, où le « vrai » père réapparaît. L’intrusion entraîne une reconfiguration. La place qui jusqu’alors ne lui avait jamais été disputée, lui est retirée. Sur quoi se fonde la légitimité des liens de parenté ? Les gènes ou l’expérience ? L’amour ou la génétique ? Qui est Aymeric pour Jim ? Dans ce texte bouleversant, d’une simplicité exemplaire, que l’on achève le cœur serré et la gorge nouée, Pierric Bailly montre la difficulté de trouver sa place dans une famille recomposée et les souffrances endurées par l’enfant ballotté, en crise d’identité. Séquence émotion avec ce beau roman de filiation !
La situation n’était pas banale pour moi c’était ce qu’il me fallait. Il me fallait du lourd, il me fallait une histoire dense, une aventure, comme elle disait, pour recouvrir les deux années qui venaient de s’écouler et remiser la prison au rang des vieux souvenirs.
Les choses se sont vite arrangées de mon côté. Je ne peux pas vraiment parler de déclic, mais le fait est que l’indifférence, enfin l’indifférence c’est peut-être un peu extrême mais disons la gêne, voilà, la gêne s’est rapidement dissipée, pour laisser place à un sentiment beaucoup plus tendre, beaucoup plus attentionné. Je me suis mis à être touché par ce petit bonhomme qui changeait de jour en jour, je me suis mis à être passionné par son évolution, justement. Il existait à mes yeux. Je gardais une forme de distance mais ce n’était plus de la gêne, plutôt de la pudeur. On prenait le temps de s’apprivoiser l’un l’autre. On faisait connaissance.
La question de la responsabilité
La question qui traverse le roman de Pierric Bailly est celle de la responsabilité à l’égard de l’enfant. La responsabilité de sa mère, Florence, qui décide unilatéralement d’élever seule son enfant, le privant d’office d’un père. C’est toute l’ambivalence de la situation qui est reproduite avec subtilité. Fait-elle preuve de courage ou agit-elle dans son intérêt ? La responsabilité de son père biologique Christophe, qui refuse de reconnaître la paternité et par lâcheté poursuit de son côté sa vie d’homme marié et de père. Ce n’est que lorsqu’un accident grave le prive de sa « famille officielle » qu’il décide de s’impliquer, raflant la vie d’Aymeric qu’il a pourtant dédaignée pendant des années. Fait-il enfin face à ses responsabilités ou agit-il par opportunisme entrevoyant dans cette « seconde famille » la possibilité de se réinventer ? Et enfin Aymeric, qui malgré tout l’amour qu’il éprouve pour Jim, n’a pas suffisamment confiance en son statut pour se battre et revendiquer sa paternité. Une posture qui peut s’expliquer par la volonté de privilégier le bonheur de son fils, lui évitant d’être tiraillé entre différentes identités. Le pire étant les mensonges distribués à Jim. Une histoire familiale falsifiée, qui ne peut que lui sauter plus tard au visage. Si derrière chaque action, on entrevoit l’intention première de ne pas blesser, de composer en conciliant ses intérêts personnels avec ceux de Jim, la conséquence de cette recomposition est l’éviction de celui qui a tout donné, et qui se retrouve comme effacé. Un arrachement douloureux impossible à panser.
Cela faisait plus de quatre ans qu’on était ensemble, et pourtant j’avais toujours du mal à y croire. Je ne doutais pas d’elle, je doutais de mois. Ça me fait chier de le dire mais c’est aussi bête que ça : pur et simple manque de confiance en soi. Manque d’aplomb, manque d’assurance. Je ne croyais pas assez à mon personnage. Je n’étais pas assez investi dans mon rôle. Comme si je n’avais pas les épaules pour l’incarner pleinement. Comme si je n’étais pas tout à fait la bonne personne, ou pas tout à fait à la bonne place.
Elle voulait lui faire une place, elle voulait l’aider. Elle avait bien conscience que c’était dur pour mais elle ne se voyait pas lui refuser ce droit, cette possibilité, enfin, de faire connaissance avec son…fils…
Avec son fils ?
Oui, bon, avec Jim.
Donc avec mon fils.
Ton fils. Notre fils, oui.
Tu dis notre fils, mais tu considères que c’est notre fils à tous les deux ou à tous les trois ?
À tous les deux, oh. Mais bon, sans Christophe, Jim ne serait pas là…
Je me demandais vraiment dans quoi on s’embarquait. Je n’étais pas son père, on n’avait jamais fait les démarches pour que je le devienne, et c’était moi qui ne voulais pas. J’avais peur que ça modifie notre rapport, comme si ça m’aurait transformé en une personne plus sérieuse, plus autoritaire, et lui en un gamin soumis à ma droiture. Mais j’aurais peut-être dû le faire.
Est-ce qu’ennobli par ce statut officiel je me serais permis de foutre Christophe à la porte ? Est-ce qu’en tant que père homologué je me serais senti plus fort, plus puissant ? Évidemment que non.
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 2021. Grand format aux Éditions P.O.L, 256 pages.
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