« Du reste, c’est toujours pareil. On se démène pour rester à l’écart et puis un beau jour, sans savoir comment, on se retrouve embarqué dans une histoire qui nous conduit tout droit à la fin. » Roman culte publié en Italie en 1973 enfin traduit en français, Le dernier été en ville de Gianfranco Calligarich met en scène les amours impossibles dans l’Italie des années 60 du jeune Leo Gazzara et de l’évanescente Arianna. Journaliste en dilettante, Leo avance avec indolence dans l’existence : entre des repas pris dans les trattorias, ses errances nocturnes alcoolisées et des visites sporadiques à la rédaction del Corriere dello Sporte où il officie en temps que gratte-papier. Mais cette inertie s’achève le jour de ses trente ans. Alors qu’il échoue dans une soirée mondaine organisée par un couple d’amis, il la voit. Elle est là, l’air « crâne », assise en équilibre sur le canapé, le regard perdu, superbe, altière, un oiseau de nuit avec quelque chose d’instable qui suffit à accrocher le regard et à piquer la curiosité. Arianna est troublante. Sous ses airs détachés, elle cache une profonde fragilité, une propension à passer de la joie au désarroi en un claquement de doigts. Dans la Rome de la Dolce Vita, les angoisses existentielles quoique réelles se dissimulent sous une apparente légèreté et une frivolité forcée. La vie nocturne est bouillonnante. L’amour un jeu de chassé-croisé qu’il n’est pas recommandé d’appréhender avec trop de gravité. Au risque de s’y brûler. C’est dans cette ambiance crépusculaire des journées d’été, où l’ivresse succède à l’allégresse, la fébrilité à la gaieté, que la vie de Leo va peu à peu s’effilocher. À l’instar des héros des romans de Fitzgerald et de Salinger, Leo possède la même douceur mâtinée de candeur, la même mélancolie désespérée, une manière d’être absent à sa propre vie, la laissant s’écouler sans chercher à la rattraper. Il y a une forme de grâce dans cet abandon face au vertige de la solitude, que dès le début on le comprend il épousera complètement. Un aveu d’impuissance et un abîme de souffrance impossible à combler d’une cruelle beauté. Gianfranco Calligarich magnifie le dernier été d’un jeune homme désœuvré.
Je décidai d’attendre que quelque chose advienne. Comme un aristocrate assiégé.
Rome porte en elle une ivresse particulière qui brûle les souvenirs. Plus qu’une ville, c’est un repli secret de soi, une bête sauvage dissimulée. Avec elle, pas de demi-mesures, ou bien c’est le grand amour ou bien il faut s’en aller, car la tendre bête exige d’être aimée.
Si on est ce que l’on est, ce n’est pas grâce aux personnes que l’on a rencontrées mais à celles que l’on a quittées.
Cette réflexion de Leo traduit une certaine clairvoyance quant à sa situation. En quittant sa famille installée à Milan et par la force des choses son précédent emploi, Leo a fait le choix de s’émanciper. De prendre une autre direction que celle qui lui était proposée. En cela, il émet un refus, clôt un chapitre et se met en danger. Puisque dorénavant il est seul. Et cela va le définir. Par la négative il se rapprochera de ce qu’il est. Mais encore faut-il être animé par des « idéaux » – « idéaux » qui lui font cruellement défaut – pour ne pas lentement s’effacer face à la vacuité d’une existence vide de sens. La fin tragique de Leo est une conséquence logique de ces liens tissés avec les gens et qui se sont étiolés l’isolant complétement.
Pourquoi est-ce que les gens vivent toujours comme si la vie pouvait se répéter ?
C’était l’aube, et tout ce qui restait de la nuit, c’était deux ombres sous les yeux de la drôle de fille qui m’accompagnait.
– Elle est belle, très cher, et les gens beaux sont toujours imprévisibles. Ils savent que quoi qu’ils fassent ils seront pardonnés.
Ah, très cher ! la beauté c’est même mieux que la richesse, parce que la beauté ne pue jamais la souffrance et la conquête. Elle vient directement de Dieu. Ça suffit à en faire la seule véritable aristocratie humaine, non ?
Quels drôles de gens, ils passaient leur temps à essayer de se quitter, terrorisés à l’idée d’y parvenir.
Il n’avait pas d’idéaux. On ne peut pas ivre sans idéaux.
J’étais las des mots d’esprit et des salons où l’on tuait sans faire couler de sang, à sec, comme si les hommes étaient des vêtements.
Je découvris que, de ma vie, je n’aimerais jamais plus une autre femme. […] En peu de temps, je fus chaviré par une avalanche d’émotions oubliées, de souvenirs de ma vie avec elle durant le dernier été de ma vie.
Je ne l’avais jamais autant sentie mienne que maintenant qu’elle était à quelqu’un d’autre. Quel manque de pot. Je savais ce que ça voulait dire, qu’elle ne pouvait m’appartenir qu’en appartenant à un autre. Quand elle aussi était en reste.
Comme je l’ai dit, je n’en veux à personne. J’ai eu mes cartes en main et je les ai jouées. Personne ne m’y obligeait. Je n’ai pas de regrets.
Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être…
- L’Attrape-cœurs de J. D. Salinger
Date de parution : 2021. Éditions Gallimard, traduit de l’italien par Laura Brignon, 224 pages.
AMOURCULTEPREMIER ROMAN
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