« La vie est étrange, murmura-t-il. On a donné la priorité à tout ce qui entoure la chose plutôt qu’à la chose elle-même. Mais peut-être faut-il se retrouver sous d’autres cieux et voir les gens agir exactement de la même manière pour comprendre que quelque chose cloche ? » En quête d’aventures et de sens, Martin, un jeune instituteur danois de trente-huit ans, demande sa mutation pour le district d’Umanaq. Près du cercle polaire, la petite île montagneuse se dresse au milieu d’un fjord groenlandais. À bord du bateau conduisant Martin au village de Nunarqafiq, comptabilisant 150 habitants, un adolescent entame le voyage retour après une année passée sur le continent. Ce déracinement est vécu comme un choc culturel. Au regard de la modernité des villes danoises, le hameau, où l’on vit de la pêche et de la chasse, se nourrit de viande de phoque et circule sur la banquise en traîneaux à chiens, semble bien étriqué. En parallèle, se dessinent deux trajectoires qui finiront par converger : celle d’une réadaptation et d’une acculturation. Le désespoir de Jakúnguak face à la déchéance sociale de son père employé par l’industrie minière. Le combat contre le Ministère d’un professeur de bonne volonté, outil malgré lui de l’impérialisme danois, dont la vie au sein de la communauté Inuit chaleureuse et soudée amènera à questionner la légitimité. En dispensant un enseignement expérimental, Martin, tel le grain de sable perturbant la grande roue du progrès, fait acte de désobéissance civile. Une résistance vectrice de liberté, bien que chèrement payée. Au gré des événements : l’union mixte du narrateur avec la belle Naja, son amitié avec le roublard Gert, le catéchiste alcoolique Pavia ou Álbala, le descendant déchu d’une lignée de chasseurs devenu salarié…Flemming Jensen montre avec beaucoup d’humour et d’humanité comment le mécanisme de la colonisation mène à l’extinction d’une population. Le processus d’effacement culturel et linguistique dépossédant les peuples autochtones de leurs traditions. Ce roman d’apprentissage, dont la douceur ne diminue en rien l’engagement, illustre, par le biais de personnages hauts en couleur et attachants évoluant au cœur d’une nature glacée, comment un microcosme se retrouve chamboulé par la présence d’un corps étranger, même bien intentionné.
Chasseur…
Salarié…
Des normes de valeur qui étaient peut-être en train de changer. Toute la société reposait sur le fait qu’être chasseur était la fonction la plus digne – porteuse de toute la culture.
[…]
Qu’allait-il se passer maintenant si le chasseur était supplanté par le salarié ? Qu’allait-il se passer si ce travail, auréolé du plus haut prestige, qui exigeait un savoir-faire et des connaissances transmises de génération en génération, et constituait le fondement de l’existence des hommes, perdait du terrain au profit des gens qui allaient donner un coup de main à des étrangers entreprenants ?
Mon appréciation : 4/5
Date de parution : 2002. Grand format aux Éditions Gaïa, poche dans la collection Babel, traduit du danois par Inès Jorgensen, 448 pages.
Qu'en pensez-vous ?