« Le chagrin, c’est les images qu’on ne peut pas voir, mais qu’il faut porter quand même. » XIXe siècle. Nord de la Norvège, comté de Nordland. Dina voit sa mère mourir ébouillantée. L’eau brûlante de la cuve de lessive qui s’est renversée, lui décollant la peau qui, telle de la cire, glisse le long de ses os, pour former une flaque de chair informe aux pieds de la fillette médusée. Tenue responsable par son père de l’accident, Dina portera toute sa vie dans ses yeux noirs comme des billes ce traumatisme d’enfant. Ravagé par le chagrin, le père abandonne l’éducation de sa fille pour se remarier, attisant en elle un sentiment de culpabilité permanent. Livrée à elle-même, Dina devient rétive, impossible à discipliner. Une orpheline étrangère dans son propre foyer. Même son corps robuste semble se développer en épousant des proportions excessives, érigeant une cloison de protection avec le monde autour. Sa chevelure d’un noir de jais tombe lourdement, accentuant la sensualité outrancière, voire vulgaire, qui émane de cette femme à la poigne de fer. Dina Grønelv fume le cigare comme un homme, écluse les vers de Porto et joue du violoncelle les cuisses outrageusement écartées, avec effronterie, sans se préoccuper de l’effet produit. Le premier livre de l’histoire de sa vie s’ouvre sur le meurtre de son mari, dont le traîneau, dans lequel elle l’a sanglé, est projeté de sa main dans les eaux glacées du fjord norvégien. De petite fille abandonnée, à maîtresse du domaine de Reinsnes, en passant par son histoire d’amour enflammée avec le marin russe Léo Zjukovsky, Le livre de Dina embrasse la vie d’une femme indomptable, dont la sauvagerie scandalise autant qu’elle fascine. Une femme de poigne avec une âme d’enfant. Puisque les cicatrices de l’enfance ne se résorbent jamais complètement… Herbjørg Wassmo a su insuffler la force et le souffle des grandes sagas nordiques dans ce récit d’émancipation féminine flirtant avec le fantastique. L’âpreté des vies minuscules près du cercle polaire, est illuminée par la volonté féroce d’une femme qui a décidé d’aimer et de vivre en imposant sa volonté.
Mon évaluation : 3,5/5
Date de parution : 1989. Poche chez 10/18 traduit du norvégien par Luce Hinsch, 624 pages.
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