« Il faut que tu arrives en bas pour y triompher de la tempête qui t’agite, c’est ta lutte personnelle et, là, tu devras te battre à la vie à la mort. Les chances de victoire et de défaite me semblent égales. Mais si tu n’entreprends rien, tu ne gagneras rien. Si tu restes les bras croisés, tu trahiras tous ceux qui te sont chers et probablement jusqu’à la vie elle-même, bien que je n’en sache rien. Tu es chanceux, peut-être pas béni, non, pas du tout, mais tu as de la chance, car le destin t’offre une occasion. » Au cœur de l’interminable hiver islandais, deux silhouettes solitaires, blanches de neige, se fraient un chemin dans la tempête. Avançant au coude-à-coude, les deux hommes traversent des fjords à la barque, voguent sur les eaux lisses et sombres du Dumbsfjörður, gravissent des landes le visage fouetté par les vents violents, luttant pour gagner les coins les plus reculés du territoire islandais, où des êtres isolés attendent les nouvelles du vaste monde. Le postier officiel étant cloué au lit par la grippe, Jens accepte le remplacement jusqu’à Vetrarströnd. L’extrémité du monde, « là où l’Islande prend fin pour faire place à l’éternel hiver ». Accompagné du gamin, l’homme bourru s’enfonce dans le monde blanc, fuyant dans un même élan la femme qu’il aime et lui-même. Peu à peu, les épreuves et le désespoir soudent le duo et la rudesse de Jens fond sous la pression des questions de l’adolescent orphelin, qui trois semaines auparavant a perdu son meilleur ami en mer. Dans Entre ciel et terre – premier volet de la trilogie romanesque, Bardur l’avait initié à la poésie et, l’esprit engourdi par les vers du recueil du Paradis perdu de John Milton avait oublié sa vareuse sur son lit. La poésie tue. Preuve en est, le pêcheur grelottant sur sa barque a succombé à une hypothermie. Roman après roman, Jón Kalman Stefánsson sculpte des personnages à l’image de son île natale : de feu et de glace, endurcis parce que contraints de s’adapter à la rudesse d’une terre inhospitalière. Armure que la poésie fend de son pic aiguisé révélant leur vulnérabilité. « Il peut y avoir un tel abîme entre la surface d’un homme et sa vie intérieure, et cela devrait nous apprendre quelque chose, cela devrait nous enseigner à ne pas trop nous fier aux apparences, celui qui le fait passe à côté de l’essentiel. » De sa langue lyrique et hypnotique, Jón Kalman Stefánsson transforme un périple épique en une magnifique méditation sur l’essence de notre existence. Quelle intensité souhaitons-nous lui donner ? À quoi tient la valeur d’une vie ? Allons-nous abdiquer face aux difficultés ou lutter ? Laisser nos démons nous submerger ou avoir « la force de se battre comme des lions » ? La tempête de neige, s’étalant sur 200 pages sous la plume poétique du romancier, figure les luttes intérieures que l’homme doit mener pour accéder au bonheur. Les épreuves, les lâchetés à surmonter. Sur le chemin, Jens le postier de campagne et le gamin amoureux des livres fendent pas à pas les ténèbres qui tentent de les avaler, puisant dans la chaleur de leur compagnonnage et le souvenir de ceux qui les ont quittés le courage d’avancer.
Mon appréciation : 4/5
Date de parution : 2009. Grand format aux Éditions Gallimard, poche aux Éditions Folio, traduit de l’islandais par Éric Boury, 432 pages.
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