Trois mois, c’est l’espĂ©rance de vie d’un nourrisson dans un camp de concentration. Un laps de temps suffisant pour que la mort se saisisse du bĂ©bĂ©, le fasse ressembler Ă un vieillard prĂ©maturĂ©, le visage fripĂ©, le corps rongĂ© par les rats et fin comme une feuille de papier. Mila a vingt ans lorsqu’elle est arrĂȘtĂ©e. AccusĂ©e d’appartenir Ă un rĂ©seau de rĂ©sistants et de transmettre des messages codĂ©s, elle est dĂ©portĂ©e au camp de RavensbrĂŒck. Ătre enceinte dans un camp de concentration, oĂč chaque faiblesse est scrutĂ©e, c’est la mort assurĂ©e. Mila se tait. Elle fait comme toutes les femmes. Elle rĂ©siste, le dos droit, les muscles atrophiĂ©s, le visage dĂ©nuĂ© d’expression. Rien ne trahit son Ă©tat. Elle se fait violence, observe, retient, enregistre tout ce qu’elle voit. C’est pour aprĂšs. Quand on viendra les libĂ©rer, alors il faudra parler. Dire ce qu’elles ont vu. La poudre blanche administrĂ©e aux dĂ©tenues. SomnifĂšre, vraiment ? Du poison, vraisemblablement. La preuve, les vĂȘtements des femmes reviennent, dĂ©lestĂ©s des corps qui les remplissaient. Eux sont brĂ»lĂ©s. Dans cet enfer, Mila porte son enfant. Son ventre est son espace de libertĂ©, le seul endroit que les allemands nâont pas annexĂ©. Cet enfant lui appartient, c’est son pied de nez Ă l’ennemi. Sa maniĂšre Ă elle de rĂ©sister. Elle Ă©volue dans un microcosme oĂč la plus petite once d’humanitĂ© a dĂ©sertĂ©, oĂč la Kinderzimmer, la « chambre d’enfant », fait office de sas de transition du ventre des mĂšres au cimetiĂšre. Un rai de lumiĂšre dans un ocĂ©an de tĂ©nĂšbres, un lieu insolite oĂč les espoirs se cristallisent, oĂč les femmes se relaient pour donner leur lait, mĂšres allaitantes dont les nourrissons n’ont pas rĂ©sistĂ© aux morsures du froid et des rats, ainsi quâau rationnement strict du lait. Un bĂ©bĂ© mort c’est une brique de lait distribuĂ©e. Encore faut-il qu’il ne soit pas confisquĂ© pour nourrir les chats. Kinderzimmer est un roman vertigineux. L’Ă©criture de Valentine Goby Ă©blouit, Ă©pousant merveilleusement le destin de ces femmes qui luttent avec fĂ©rocitĂ© pour leur survie et celle de leur enfant.
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