Charif Majdalani nous offre avec L’empereur à pied un authentique roman d’aventures, une fresque familiale dense et passionnante qui s’étend sur cinq générations, soit un siècle et demi. Ce récit qui s’inscrit dans la plus pure tradition du roman épique s’ouvre au milieu du 19e siècle sur l’arrivée de Khanjar Jbeili dans les montagnes libanaises, pour se clore de nos jours avec l’un de ses derniers descendants. L’homme qui surgit de nulle part, accompagné de ses trois fils, suscitera toutes les attentions et catalysera tous les fantasmes des habitants de la région de Massiaf. Mu par une soif de pouvoir inextinguible, Khanjar Jbeili fondera un empire colossal. Afin d’éviter la dissolution de l’empire familial, il promulguera une loi, qui prendra la forme d’une malédiction planant sur ses descendants telle une épée de Damoclès, visant à encadrer la perpétuation de la lignée. Seuls les aînés mâles seront autorisés à se marier et à avoir une descendance. Cette clause testamentaire sera à la source de l’inimitié qui régnera entre les membres du clan, des luttes fratricides et du destin tragique des Jbeili. Bercés par le récit héroïque de leur aïeul et un mythe fondateur mystérieux, les membres de cette fratrie seront tous animés de velléités conquérantes. Tout en s’attaquant au poids ancestral des traditions familiales qui pèsent sur chacun des membres du clan, Charif Majdalani nous fait voyager des confins de l’Orient, aux sommets du Liban, du Mexique, à la Grèce communiste en passant par les Balkans, Naples, Rome et Venise. L’auteur laisse s’exprimer son talent de conteur formidable, qui donne au récit ce souffle symptomatique des grandes sagas familiales.
Le come-back réussi du roman d’aventures !
La disparition du roman d’aventures des étals de librairie laissait supposer qu’il n’avait pas survécu au triomphe de l’exofiction, la biographie, l’autobiographie, l’autofiction… centrant la narration sur le narrateur lui-même et ancrant l’action narrative dans le réel, ne laissant ainsi que peu de place à l’imagination. C’était sans compter sur Charif Majdalani dont l’ouvrage souffle un vent d’air frais sur cette rentrée littéraire particulièrement sombre. Les sujets de prédilection des auteurs étant principalement le nazisme, la seconde guerre mondiale et l’Algérie. De toute évidence, le roman n’avait plus pour vocation de nous émerveiller, de nous faire voyager et de nous faire rêver. L’empereur à pied, récit de pure fiction, ressuscite le genre épique pour notre plus grand bonheur !
Une saga familiale riche & dense
Le lecteur pénètre les secrets de la famille Jbeili, les rivalités qui lient chacun des membres entre eux. Charif Majdalani a imaginé un clan soumis à une malédiction qui pèsera sur chacun de ses membres avant que Raëd Jbeili ne s’en déleste. Une lignée exclusivement masculine, qui confère à cette fratrie une aura mystérieuse, quasi mystique. Les femmes ne joueront qu’un rôle subalterne dans l’histoire de cette illustre famille, cantonnées aux rôles d’épouses et de mères. Seul bémol de ce récit. Les cadets frustrés par leur condition imposée par le « Serment de l’arbre sec » n’auront de cesse de chercher à s’émanciper de l’autorité paternelle, sillonnant le monde en quête de reconnaissance et d’aventures. Les hommes de cette fratrie connaîtront des destins tragiques couronnés de morts violentes pour la plupart, supposément orchestrées par leur propre famille. Il y a quelque chose d’ironique dans le destin de cette famille qui repose sur une décision prise un siècle plus tôt par un patriarche despotique et tyrannique et que l’un de ses derniers descendants balaye d’un revers de main. Charif Majdalani parvient à faire de cet inextricable enchevêtrement de destins épiques, une fresque riche et dense. L’auteur se concentre sur la narration plus que sur le style et cette simplicité confère au roman une certaine fluidité. Il porte un regard critique sur la haute société libanaise, sa propension à l’ostentation, le règne de l’argent roi. Il décrit une société déliquescente qu’accompagne la déchéance de cette famille sclérosée par le vice, l’appât du gain et les jeux de pouvoir.
Conclusion
Charif Majdalani nous fait renouer avec le roman épique, le lecteur part sur les traces des descendants de l’empereur à pied, qui érigea son empire sur les hauteurs du Liban. On assiste à la diaspora de la tribu Jbeili, chacun de ses membres tentant de se distinguer en conquérant de nouveaux espaces. Je recommande vivement ce roman à ceux qui souhaitent voyager. Charif Majdalani signe un très beau roman de cette rentrée littéraire 2017.
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)
CONTE
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