Winter is coming, n’est pas un roman mais un témoignage. Une confession, un cri de douleur, celui d’un père qui perd son fils. Pierre Jourde n’est pas seulement père, il est également écrivain, et c’est par les mots, l’écrit qu’il a choisi d’exprimer l’indicible, sinon l’impossible. Son fils, Gabriel Jourde – surnommé Gazou, à qui l’on diagnostique en juin 2013 un cancer du rein extrêmement rare – seulement douze personnes dans le monde en sont atteints, s’est éteint onze mois plus tard, à seulement vingt ans. Vingt ans, l’âge où l’on est invincible, imperméable à la maladie, indestructible, où tout est possible. Pierre Jourde nous fait pénétrer dans cette intimité douloureuse où l’inévitable est inacceptable, cette année de combat perdue d’avance contre une maladie incurable. Ce qui frappe à la lecture de ce témoignage, c’est cette colère sourde que l’auteur tente d’endiguer mais qui surgit au détour d’une phrase, qui transparaît au fil du récit. Ce sentiment brut d’injustice et de rage face à l’impuissance du père à protéger son fils. Pierre Jourde livre un texte puissant et sublime, dénué de pathos, dans une langue brute qui va à l’essentiel et parvient à toucher le lecteur en plein cœur. On assiste démuni à l’essaim de sentiments contradictoires qui submergent le narrateur, sentiment d’injustice, de peur, d’amour, d’espoir, d’aveuglement, de résignation, de rage puis de résilience. Personne ne peut sortir indemne d’une telle lecture, à l’instar du père on ne peut s’empêcher d’éprouver de l’espoir, d’y croire, de se rattacher à la moindre petite inflexion, nuance, même si au fond l’issue on la connaît. On ressort harassé, accablé, car malgré l’inéluctabilité du combat, personne ne peut se faire à l’idée qu’un père enterre son enfant d’à peine vingt ans.
Un témoignage d’amour brut
Le sourire de Gazou, c’est ce qui reste dans l’esprit du lecteur quand il referme Winter is coming. Un sourire énigmatique, bienveillant, doux, celui qu’évoque son père quand Gazou est petit, puis adolescent, hospitalisé et dans les derniers moments. Celui qu’on imagine, puisqu’on n’a pas eu la chance de l’apercevoir. Le sourire d’un jeune homme mélomane et passionné de dessin. Lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’un carcinome médullaire du rein, Gabriel est sur le point d’entrer à la Fabrique de l’image et d’entamer un cursus formant dessinateurs et plasticiens. Touche-à-tout, c’est également un musicien accompli, Winter is coming est le titre d’un de ses morceaux. Pierre Jourde évoque sans artifices le chemin parcouru pendant ces onze mois. L’incompréhension face à la soudaineté de la maladie, le doute quant aux différents diagnostics avancés, l’espoir alimenté par le corps médical. Pierre Jourde nous confie ses errances de père, ses maladresses. Comment se comporter, quelle attitude adopter ? A t-il toujours bien agi ? N’a t-il pas été trop dur, trop brusque avec son fils ? Dans ces moments, on remet tout en perspective, on trouve des signes annonciateurs dans le moindre événement, on se flagelle à coup de reproches. Les mots de Pierre Jourde laisse s’exprimer cette douleur sourde qui le ronge.
Le choix des mots
En tant qu’écrivain, Pierre Jourde n’avait pas de plus belle manière que dire au revoir à son fils, de lui rendre hommage, que par les mots. Le narrateur oscille en permanence entre prise de distance avec son sujet et proximité. Entre la troisième personne du singulier et le « je ». Ce basculement d’un sujet à l’autre témoigne de la difficulté à écrire sur un tel sujet. Un événement terriblement intime. Winter is coming, je l’ai pris comme un cadeau que nous ferait Pierre Jourde, qui s’adresse à lui-même, à son fils, à son lecteur. En le lisant, j’ose espérer avoir pu le délester, le soulager d’un millionième de ce fardeau si lourd qui doit peser sur lui. La littérature c’est aussi ça, se mettre à nu, avoir suffisamment confiance en ses lecteurs pour leur confier une blessure profonde, la partager avec eux. Et cela Pierre Jourde l’a parfaitement compris et on le remercie de cette confiance maintes fois renouvelée à travers ses écrits.
Conclusion
Malgré le sujet qui, je le conçois, peut décourager les lecteurs, les rebuter, passer à côté de Winter is coming, serait une erreur. Ce court récit est tout simplement magnifique. Pierre Jourde ne fait en aucun cas étalage de ses sentiments, mais les formule avec justesse, sans pathos. Il laisse s’exprimer sa douleur avec pudeur. On ne peut que lui souhaiter de trouver la paix.
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