Tessa Hadley imagine un huis-clos familial évoluant dans un temps suspendu, une sorte de sursis, un temps de latence, qu’elle nous octroie avant l’issue inéluctable de cette réunion de famille. Le prétexte à cette réunion est la mise en vente de la maison de leurs grands-parents, lieu où se cristallisent toutes les tensions. Maison dotée d’un certain magnétisme où les souvenirs affluent. Réminiscence confuse d’une enfance mouvementée mais heureuse. D’un passé révolu auquel chacun se rattache imperceptiblement sans en avoir pleinement conscience. Un passé qui entrave leur liberté d’action.Tessa Hadley plante le décor de son roman en plein cœur de la campagne anglaise, dans un cadre bucolique typique de la littérature victorienne. Une végétation luxuriante propice à une certaine effusion des sentiments, l’austérité morale incarnée par la présence silencieuse d’un bâtiment religieux. Dans cette ambiance crépusculaire, on observe la lente déliquescence de cette bourgeoisie anglicane de campagne. Une mélancolie diffuse s’inscrivant dans la tradition romantique. L’explosion d’une cellule familiale à bout de souffle, soumise à une promiscuité qui coûte à chacun de ses membres et qui accélérera le processus déjà entamé. Cette proximité non désirée agira comme un catalyseur, libérant les névroses de chacun. Il émane de ce roman une sensualité rance accentuée par le style chargé de l’auteure. Tessa Hadley dresse des portraits psychologiques extrêmement fins. Sa plume souligne avec subtilité les traits de caractère de chacun des membres de la famille. Elle s’évertue à décortiquer chacune des aspérités des personnages avec le plus de justesse possible. Dans ce temps en suspens déconnecté de la réalité, la tension monte. Les enfants s’initient à des jeux dangereux, des adolescents découvrent les joies de la sensualité, tandis que des pulsions violentes secouent le quotidien morose de ceux qui s’étaient résignés. L’ambiguïté s’insinue dans les rapports, la tension est palpable, jusqu’à atteindre son paroxysme.
Un huis-clos familial dans la veine de la littérature victorienne
Tessa Hadley a conçu un roman qui s’inscrit dans la plus pure tradition de la littérature victorienne avec un soupçon de modernité. Le récit oscille entre passé et présent, entre mai 68 et l’époque actuelle. L’auteure jongle habilement entre ces deux époques, les imbriquant avec doigté pour mieux souligner les implications de l’une sur l’autre. Le lieu de l’intrigue, soit la campagne anglaise, est emprunt d’un charme désuet. Le climat, oscillant entre chaleurs estivales et averses interminables, imprègne le récit d’un certain romantisme. Le tempérament des personnages se fixant au diapason du climat ambiant. Le lieu dans lequel chacun évolue occupe une place prépondérante. Il confère au récit une dimension énigmatique, une aura mystérieuse. Il agit sur l’état psychique de chacun, laissant infuser une tension sourde. Les descriptions sont d’une telle précision, que les images se fixent sur la rétine du lecteur. Les relations complexent qui lient chaque membre de la famille sont soumises à l’œil scrutateur de l’auteure. Révélant leur caractère malsain, quasi incestueux. La mise à nue des angoisses de chacun rend les personnages à la fois attachants, mais également irritants. Les jalousies enfantines se sont muées en rancunes féroces. La frustration a laissé place à un ressentiment tenace que chacun finit par expérimenter. Tessa Hadley excelle dans l’art de révéler les émotions imperceptibles, les maux qui pourrissent les relations familiales. On assiste en qualité de témoin à la lente dissolution du noyau familial. À la coupure salvatrice du cordon ombilicale.
Un style lyrique (un peu trop) chargé
Adepte d’un style plus concis et percutant, j’ai trouvé la plume de l’auteure quelque peu filandreuse par moment. Certains passages traînent en longueur, l’auteure pêche par manque de clarté. Certains détails s’avèrent inutiles et ne font qu’alourdir le propos de l’auteur, sans rien apporter à l’intrigue. L’écriture lyrique contribue à l’impression d’être hors du temps, isolé, retranché dans cette maison de campagne. Néanmoins, j’ai relevé quelques maladresses. Certaines métaphores tombent à plat. Le roman ayant été traduit de l’anglais, il est possible que ces détails soient imputables au travail de traduction, cela dit ne l’ayant pas lu dans sa version originale je ne pourrais aucunement trancher.
Conclusion
Malgré quelques bémols, je trouve ce roman plutôt réussi. L’auteure parvient à créer une atmosphère lourde, oppressante. L’analyse psychologique des personnages contribue au sentiment de malaise qu’éprouve le lecteur à la lecture de ce roman. Les personnages tiraillés par leurs névroses se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît. Je vous conseille ce roman en cette période de fêtes de fin d’année, muni d’un verre de vin chaud, d’un plaid, les pieds au chaud près d’un feu de cheminée 😉
Qu'en pensez-vous ?