« Qu’ont-ils fait de leurs idées pures ? Un pur crime. » Fondé sur une « idéocratie » où l’homme n’est rien, le génocide cambodgien a été perpétué de 1975 à 1979 par un petit groupe d’intellectuels khmers marxistes. De leurs années universitaires à Paris, où leur a été inculquée l’utopie rousseauiste du « Bon Sauvage » sous un angle égalitariste, a germé l’image idéalisée du paysan cambodgien travaillant la terre comme ses ancêtres cent ans auparavant. Pour que la révolution soit totale, la purification doit être radicale. Une véritable saignée à blanc. Se matérialisant concrètement par des coupes systématiques dans la population. Le « nouveau peuple » est déplacé vers les zones rurales, Phnom Penh vidée. Le choix de la terminologie de l’idéologie d’une extrême neutralité (l’Angkar signifiant organisation) reflète cette quête de pureté. Quand Rithy Panh demande à Duch – le directeur du centre de torture S21 – de retenir un des slogans du régime, son choix atteste du peu de valeur accordé à l’être humain : « À te garder, on ne gagne rien. À t’éliminer, on ne perd rien. » Rescapé à l’âge de 17 ans, Rithy Panh témoigne de l’enfer 35 ans après : « je ne connais pas d’exemples, dans l’histoire, d’une telle emprise, presque abstraite à force d’être absolue. […] Dans ce monde, je ne suis plus un individu. Je n’ai qu’un devoir : me dissoudre dans l’organisation. » Son récit formé d’un patchwork de réflexions, de souvenirs d’enfance de son calvaire à trimer dans les rizières, d’extraits de son travail documentaire, est un témoignage édifiant sur le processus de déshumanisation. Intellectuelle dans sa forme primitive, la révolution mise en pratique devient technique, administrative. « Le ressort de la « démocratie pure » : c’est la destruction. Aussi la démocratie pure n’existe-t-elle pas : elle est l’absence d’homme. Une formule mathématique appliquée à l’histoire. » Décousu, à l’image des souvenirs qui viennent le hanter, L’Élimination est un document qui doit être lu, puisque y est révélée la forme la plus aboutie de l’idéologie : l’élimination totale, qui confine à la haine de soi. La fin programmée de l’objet à reformater.
Mon appréciation : 3/5
Date de parution : 2012. Grand format aux Éditions Grasset, poche au Livre de Poche, 264 pages.
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