« Pour les adultes de leur génération, le pays comme la famille étaient des notions absolues qui seules soutenaient l’individu. Mais, quelque part, il lui vint comme l’intuition que ce ne serait peut-être pas toujours ainsi. Sans doute cela était-il aussi une vision. » Dans le Japon en reconstruction post Seconde Guerre mondiale, une enfant est abandonnée par « Ceux des Confins » – le peuple des montagnes. Recueillie dans le village de Benimidori par un couple d’ouvriers, rien ne prédestinait Man’yô à épouser l’héritier de la dynastie Akakuchiba, destiné à reprendre les Aciéries. L’arrivée de « la Voyante des Akakuchiba », que la réalisation de prophéties prédisant les morts violentes des membres du clan nimbe d’une aura mystique, initie le début de l’âge du mythe dernier. Le vent de la modernité souffle, faisant de Man’yô le dernier maillon d’une tradition millénaire où les femmes avaient pour mission de « protéger la dynastie et veiller à sa pérennité ». Sa fille Kemari, à la tête d’un gang de filles : les Iron Angels, troque le kimono pour foncer à toute allure sur sa moto. En faisant tournoyer sa chaîne d’acier, l’enfant terrible, loubarde de légende et mangaka à succès, envoie valdinguer des siècles de soumission. Liberté que sa fille cultive en refusant de perdre son identité en se pliant aux diktats du salariat dans une société nippone lancée dans une course effrénée à la réussite. Modèle éducatif ayant pour corollaire craquage scolaire et suicide d’adolescents pressés comme des citrons. Sous la forme d’une fresque sociale instructive et d’une saga familiale addictive, retraçant le destin de trois générations de femmes de la branche aînée d’une famille fortunée, Kazuki Sakuraba embrasse un demi-siècle de l’histoire du Japon en pleine mutation : de l’âge des mythes à un monde désacralisé, plongeant les jeunes générations dans un gouffre d’interrogations. En rédigeant la chronique des femmes de sa famille, enrobée d’une touche de réalisme magique qui n’est pas sans rappeler la patte de Murakami, Tokô interroge brillamment l’évolution des notions de féminité et de virilité, remettant en question les fondements de notre société.
À l’époque, il y avait deux grandes familles au village de Benimidori, département de Tottori. Au pays, on les appelait “les Rouges d’en haut” et “les Noirs d’en bas”. L’histoire que je raconte se passe chez les Rouges d’en haut, dans la vieille famille des Akakuchiba, les “feuilles mortes rougeâtres”, où ma grand-mère devrait plus tard entrer comme épousée et dans laquelle je suis née et j’ai grandi.
Les “les Rouges d’en haut” & “les Noirs d’en bas”
Au pied des monts du Chûgoku et en haut de la montée de Takami, trône souveraine et majestueuse depuis des temps immémoriaux la cité céleste des Akakuchiba. Tandis qu’au bas du chemin, bordé par des logements ouvriers, s’est installée la résidence des Kurobishi. Le noir et or – nouveaux riches – comme un pendant au rouge éclatant d’une lignée ancestrale. Contrairement aux Akakuchiba, dont les aciéries après la Seconde Guerre mondiale ont tourné à plein régime grâce à l’essor de la sidérurgie, les Kurobishi se sont récemment enrichis. Leurs ancêtres, pauvres constructeurs de bateaux, ayant profité de l’essor économique et de la politique militariste du Japon. Bien que rivales, à travers les destins de leurs héritières : Man’yô, belle-fille de Tatsu et épouse de Yôji et Midori, surnommée Gros Yeux, les deux familles verront leurs histoires intimement liées ; partageant l’essoufflement d’un modèle industriel et l’atomisation de la cellule familiale.
Mon évaluation 4/5
Date de parution : 2017. Grand format aux Éditions Piranha, poche chez Folio, traduit du japonais par Jean-Louis de la Couronne, 480 pages.
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