« Ce soir, Louis n’est pas rentré. » Le roman de Gaëlle Josse s’ouvre sur cette phrase tranchante, qui tombe comme un couperet. Louis a seize ans. Ce qui aurait dû n’être que la fugue d’un adolescent, en conflit avec ses parents, prend, les mois passant, un tour bien différent. Las de se sentir rejeté, d’être la pièce rapportée d’un précédent foyer, Louis décide un matin de partir pour ne plus revenir. Laissant sa mère se consumait à petit feu dans une attente interminable. Le temps s’étire à l’infini. Louis ne donnant aucun signe de survie. Consciente de n’avoir pas su protéger son enfant des griffes d’un mari violent, elle est assaillie par les remords. Elle ne comprend pas là où elle a échoué, laissant une situation intenable s’enliser. Elle évolue comme amputée d’un membre qu’on lui aurait arraché. Elle est mutilée. La douleur contamine chacune de ses cellules pour finir par totalement l’envelopper, la coupant de la réalité. Comme un voile qui se serait déposé sur sa vie. La sensation de manque provoque une douleur physique, provenant de ses entrailles, d’un fils qu’on lui aurait retiré. Gaëlle Josse, dans ce court roman, livre un récit intimiste d’une délicatesse inouïe. Elle esquisse un portrait de femme d’une grande pudeur. Une mère tiraillée par la disparition de son enfant. Une absence qui la renvoie à sa propre culpabilité pour avoir refuser d’interférer. Pour ne pas avoir su tempérer la jalousie irraisonnée de son mari. Puisque c’est la présence de ce fils, telle la preuve irréfutable d’un précédent mariage, qui attise la colère du mari, faisant naître en lui une rage impossible à apaiser. Gaëlle Josse signe un très beau roman sur l’amour maternel, ce lien puissant qui unit une mère à son enfant. Elle dénonce également la société patriarcale des années 50, où le statut de la femme est précaire. Une société où assurer sa sécurité implique de se marier, et donc accepter de perdre sa liberté.
Le statut de la femme en France dans la société patriarcale des années 50
Dès le début du roman, on ressent comme une sorte de malaise, quelque chose qui nous chiffonne. Un point d’interrogation dans le comportement de cette femme. Comment a-t-elle pu laisser son mari lever la main sur son fils, sans chercher à intervenir ? Toutefois, la condamner revient à faire abstraction de l’époque à laquelle se déroule le roman. Il faut re situer l’événement dans le contexte de l’époque. Nous sommes au lendemain de la seconde Guerre mondiale en Bretagne. Anne, la mère de Louis, est veuve. Elle a perdu son mari en mer, son navire après avoir été torpillé, a sombré. La laissant seule élever son enfant en période de rationnement. Mère célibataire est alors un statut peu enviable. Cela signifie être à la merci des allemands et des jugements. Le jour où Étienne, homme éduqué et issu d’une famille aisée, vient lui demander sa main, il n’est pas question de refuser. C’est une délivrance pour elle, comme pour son fils. L’espoir d’une vie meilleure. La grâce des premiers instants s’évapore au fil des ans. Elle fait place à une hostilité à peine cachée entre les deux hommes. Louis le vit comme une injustice. Entre temps, Anne a eu deux enfants. Elle se retrouve dans une situation inextricable, à devoir jongler constamment. À la suite d’une altercation plus violente que les précédentes, Louis met les voiles et quitte le foyer familial sans donner d’explications, ni d’indications. On est partagé entre un sentiment de colère à l’égard de cette femme qui n’a pas su retenir son fils, le soustraire à la violence du mari, et de la compassion, ou du moins de l’empathie. Sa souffrance est visible. Elle l’accapare, la ronge de l’intérieur. Au regard de la condition de la femme à cette époque, elle ne dispose que d’une marge de manœuvre restreinte. Tout plaquer pour rejoindre son fils parti en mer est tout simplement inenvisageable. Elle est rattachée à son foyer par ses enfants. L’idée ne lui traverse même pas l’esprit. La question ne se pose pas. Elle accepte son statut d’épouse, de mère et de femme au foyer avec les contraintes que cela implique. Soit une liberté limitée. Gaëlle Josse décrit merveilleusement bien les sentiments contraires qui l’habitent. Sa condition précaire qui la maintient prisonnière. À travers la douleur de cette mère, ce roman tout en retenu rend compte de la place de la femme dans la société patriarcale du milieu du 20e siècle.
Conclusion
Gaëlle Josse livre un roman délicat. Elle fait preuve d’une grande finesse dans sa façon de décrire les émotions. C’est une jolie surprise !
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