Marie Darrieussecq publie pour la rentrée littéraire 2017 une dystopie formidable intitulée Notre vie dans les forêts. Ouvrage qui paraîtra le 18 août prochain en librairie. Ce roman d’anticipation sous la forme d’une fable fataliste est en lice pour le Grand Prix des Lectrices de ELLE 2018. En effet, faisant partie du jury de septembre je dois m’atteler pour mon plus grand plaisir à la lecture de sept ouvrages au total. Parmi ces sept ouvrages, on trouve trois romans, deux polars et deux documents. Cet ouvrage fait donc partie des trois romans à départager, afin que parmi les trois initiaux, il n’en reste plus qu’un. Marie Darrieussecq s’inscrit en plein dans le renouveau de ce genre littéraire, qui ces dernières années avait connu un léger déclin. Une littérature d’anticipation, de science-fiction projetant le lecteur dans une société imaginaire, basée sur des craintes humaines et reflétant les déviances poussées à l’extrême de notre fonctionnement présent. On observe dans Notre vie dans les forêts la volonté de la part de Marie Darrieussecq de dénoncer le caractère inéluctable du progrès et les effets pervers qu’il engendre. Contrairement à d’autres fameuses dystopies – telles que Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932), 1984 de Georges Orwell (1932) ou encore Ravage de Barjavel (1943) – l’accent n’est pas mis sur un système politique autoritaire mais sur les dangers liés au progrès scientifique. Les problématiques soulevées sont celle de la définition de l’Être, la question de l’éthique, de l’identité, de la liberté… Notre vie dans les forêts présente de nombreux points communs avec le film The Island (2005) de Michael Bay avec Scarlett Johansson.
Résumé
Une femme écrit au fond d’une forêt. Son corps et le monde partent en morceaux. Avant, elle était psychologue. Elle se souvient qu’elle rendait visite à une femme qui lui ressemblait trait pour trait, et qu’elle tentait de soigner un homme.
Éditions P.O.L – Collection Fiction
Parution 23-08-2017
Synopsis
Tout commence par une femme dont on perçoit l’urgence de nous raconter son histoire et l’angoisse de sa situation. Elle s’adresse directement au lecteur, ce qui renforce l’impression de vraisemblance et de réalité. On comprend assez vite qu’elle souhaite laisser un témoignage pour la postérité. Pour laisser une trace de son passage sur terre et de ce dont elle a été témoin. Elle emploie des termes inconnus au lecteur, telle que la notion de moitié, qu’elle prend soin de ne pas expliciter. Tout au long du roman un certain nombre de termes obscurs seront employés. Si l’auteure a fait le choix de ne pas les expliquer tout de suite, il me semble que c’est tout simplement pour renforcer l’idée que nous avons à faire à une femme qui pense se confier aux générations futures. Ces notions leurs seront donc familières, contrairement à un lecteur du 21e siècle. En effet, plus on avance dans la lecture du roman, plus les événements sont contextualisés. Le décor se met peu à peu en place. Contrairement, aux purs romans de science-fiction qui ont tendance à planter le décor dès le début de l’intrigue. Ce n’est pas pour autant que l’on a l’impression d’être perdu, bien au contraire le choix de l’auteure est particulièrement judicieux. Il contribue au suspense et fait travailler l’imagination du lecteur. Il faudra attendre la page 174, soit 15 pages avant la fin du roman, pour véritablement comprendre la société décrite par la narratrice. Marie Darrieussecq tient en haleine le lecteur jusqu’au bout, j’ai pour ma part été réellement surprise. Je ne m’attendais pas du tout à découvrir un fonctionnement si complexe. Aucune précision ne nous est fournie, il n’y a aucune indication de lieu, de date… Néanmoins, la narratrice semble avoir dû fuir et se réfugier dans une forêt. À partir de là, elle va nous raconter son histoire. La société décrite est à la fois glaciale et glaçante. Le virtuel semble avoir pris la place sur le réel et tout est automatisé, robotisé. Aucune indication ne permet de conclure à l’origine de ces changements de civilisation. Y a t-il un événement ou une combinaison d’événements à l’origine de ces changements, comme dans la dystopie écrite par Jean Hegland Dans la forêt ? Ou, cette évolution doit-il être mis sur le compte de la marche naturelle du progrès scientifique et technologique ?
L’inéluctabilité du progrès scientifique et l’éthique : deux notions centrales du roman
Si la marche naturelle du progrès scientifique est le moteur de ce changement de civilisation, se pose la question du sort inexorable que nous réserve la science. Marie Darrieussecq expose une vision pessimiste du futur de la science, lié à une désintégration, décomposition des corps et à la perte d’identité. Les propos énoncés par l’auteure sont très forts. Les humains disposeraient de clones. Ces clones sont des « assurances-vie », des « réservoirs de pièces détachées », des « sarcophages », des « non-personnes ». Je pense que vous avez saisi l’idée, les êtres humains sont clonés afin de leur permettre en cas de problèmes de santé de subir des greffes d’organes. L’enjeu pour l’homme est d’augmenter sa longévité. C’est ici que se pose le dilemme entre éthique et science. Je rappelle juste que l’éthique peut se définir comme une réflexion sur le rapport entre moi et autrui, sur les valeurs de l’existence. Ainsi comment se fait la distinction entre un être et un non-être ? Le clonage est-il justifiable pour des raisons thérapeutiques ? Un être humain cloné, donc produit par la science, peut-il être envisagé comme une simple boîte à outils ? Autant de questions éthiques relatives au clonage humain, sujet épineux et controversé. Si la distinction entre sujet et objet, fin et moyen, que soulève la notion d’éthique est centrale, le rapport entre le corps et l’esprit est également important dans ce roman. La réalité qui nous est présentée est désincarnée et fait froid dans le dos. Les membres de cette société sont suivis à la trace. On leur incorpore dans la boîte crânienne un boitier, ainsi que deux implants « un sous la peau de l’avant-bras, et un sous l’oreille, sans compter le badge du Centre sous le poignet. » Marie Darrieussecq aborde un sujet d’actualité : la liberté vs la sécurité. Sous couvert d’une sécurisation du monde dans lequel on vit, se mettent en place des dispositifs de sécurité quadrillant le territoire quitte à mettre en péril la libre circulation de ses citoyens.
Un choix judicieux de construction narrative et une plume nerveuse
Notre vie dans les forêts commence par une phrase choc qui capte immédiatement l’attention du lecteur et annonce une prise de conscience de la narratrice. Dès la première phrase, j’ai senti que j’allais tout de suite apprécier la plume de Marie Darrieussecq et rentrer dans le récit. Parvenir en une seule phrase à créer une tension grâce à une plume que l’on sent nerveuse relève d’un talent littéraire indéniable je trouve.
J’ai ouvert l’oeil et boum, tout m’est apparu.
Le ton de la dystopie est emprunt d’humour. Marie Darrieussecq arbore un discours caustique pour mieux faire passer son message. Et c’est ce qui rend la lecture du roman jubilatoire. Ainsi la narratrice qui se désagrège peu à peu – elle perd son poumon, son rein puis son oeil – en parle avec détachement. De plus, pour ne pas être repérée, elle prend des précautions de langages. Elle évite de donner trop de détails pour ne pas mettre la communauté nomade qu’elle a rejoint en danger vis-à-vis des autorités. Le lecteur baigne par ces procédés dans une atmosphère électrique, sous tension.
Conclusion
J’ai beaucoup aimé ce roman signé Marie Darrieussecq, tant pour l’écriture mordante que pour la manière d’aborder un sujet qui peut sembler galvaudé. En traitant avec humour un sujet sérieux, elle fait mouche. Notre vie dans les forêts est une très belle découverte de la rentrée littéraire et je le conseille vivement. Dans la même veine, vous retrouverez ma critique du roman Dans la forêt de Jean Hegland. La forêt, qui pourtant dans l’imaginaire collectif apparaît comme une source d’angoisse, puisqu’elle est sombre et mystérieuse, dans ce roman tout comme Dans la forêt est synonyme de protection. Actuellement, de plus en plus d’auteurs mettent en scène un retour à l’état de nature et une communion avec celle-ci. Néanmoins, l’écriture chez Jean Hegland s’avère plus lourde et le ton plus dramatique que chez Marie Darrieussecq. À vous de faire votre choix, ou de lire les deux 😉
Ouvrages en lice pour le Grand Prix des Lectrices de ELLE 2018 jury de septembre :
Catégorie « Romans » :
- Summer, Monica Sabolo
- Ma reine, Jean-Baptiste Andrea
- Notre vie dans les forêts, Marie Darrieussecq
Catégorie « Polars » :
- Inavouable, Zygmunt Miloszewski
- Le diable en personne, Peter Farris
Catégorie « Documents » :
- La tête et le cou, Maureen Demidoff
- Un jour, tu raconteras cette histoire, Joyce Maynard
>>> RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017 (#RL2017)
>>> GRAND PRIX DES LECTRICES DE ELLE 2018
DYSTOPIE
CATHY LARRIEU
septembre 6, 2017J’ai lu ce roman à la suite d’une rencontre dans ma librairie préférée avec l’écrivaine qui est vraiment une jeune femme adorable et brillante, je me suis par contre terriblement ennuyée à cette lecture que j’ai menée à son terme quand même … je ne suis pas très portée sur les dystopies en général ce qui explique peut-être les choses, mais dans ce style j’avais par contre adoré ‘Dans la forêt’ de Jean Hegland, je ne sais pas si vous connaissez, totalement haletant et passionnant. Histoire différente de retour dans la forêt mais un roman qui va au bout du bout !
Je vais regarder la suite de vos critiques sur le grand prix Elle dont j’ai été jurée il y a trois ans ; quelle merveilleuse expérience !
Books'nJoy
septembre 6, 2017J’ai l’impression que vous n’êtes malheureusement pas la seule, les critiques concernant ce roman sont plutôt mitigées… 🙁 Pourtant dans mon cas je ne me suis pas du tout ennuyée, ce que je consens néanmoins à lui reprocher, c’est que Marie Darrieussecq ne va pas totalement au bout de son idée. Elle aurait pu aller plus moins, prendre plus de risques. Vous trouverez une chronique du roman Dans la forêt de Jean Hegland dont vous m’avez parlé 😉 les grands esprits se rencontrent !