C’est en écoutant mon émission littéraire préférée, Le Masque et La Plume présenté par Jérôme Garcin sur France Inter, que j’ai découvert ce court essai L’urgence et la patience – deux notions antinomiques mais pourtant complémentaires et même indispensables pour qui souhaite écrire – aux Éditions de Minuit. L’événement est rare, tous les chroniqueurs de l’émission semblaient s’accorder pour dire que l’essai de Jean-Philippe Toussaint devait impérativement être lu ! Que n’était pas mon étonnement en découvrant pour la première fois, depuis que j’écoute cette émission, que les critiques jetaient leur dévolu sur un même ouvrage 😉 Il me fallait dès lors vérifier par moi-même cet ovni capable de faire converger les avis. La lecture de L’urgence et la patience fut un moment hors du temps. Avec une franchise désarmante, Jean-Philippe Toussaint nous livre un autoportrait emprunt d’humour et terriblement passionnant. Il explique comment il est devenu écrivain, ou plutôt comme l’écriture est venue avec lui. Il évoque les oeuvres qui ont marqué sa vie à jamais, celles de Dostoïevski, Proust, Kafka, Beckett… Il confie au lecteur ses petits secrets de fabrication et s’émancipe du poncif qui veut que les écrivains soient touchés d’une grâce divine leur transmettant l’inspiration. D’anecdotes savoureuses en expériences passionnantes, cet essai sur la passion d’un homme pour l’écriture et la lecture est tout simplement magnifique !
Résumé
L’urgence, qui appelle l’impulsion, la fougue, la vitesse – et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l’effort. Mais elles sont pourtant indispensables l’une et l’autre à l’écriture d’un livre, dans des proportions variables, à des dosages distincts, chaque écrivain composant sa propre alchimie, un des deux caractères pouvant être dominant et l’autre récessif, comme les allèles qui déterminent la couleur des yeux.
Éditions de Minuit
L’autoportrait d’un écrivain passionné
C’est avec une grande honnêteté dans le propos et une simplicité dans l’écriture, que Jean-Philippe Toussaint se souvient de son parcours d’écrivain. L’urgence et la patience est écrit sur un ton léger, pétillant, vif, dénué d’effets de style. L’auteur s’adresse directement au lecteur, dans un style direct sans artifices. Cette manière d’écrire révèle un homme simple et sympathique. J’avais l’impression en lisant ce document d’échanger avec Jean-Philippe Toussaint et de l’interroger sur son métier d’écrivain. Cette netteté dans l’écriture contribue à renforcer l’impact de cet ouvrage. Son projet n’est pas d’écrire une notice dont le suivi à la lettre des indications permettrait à tout un chacun de devenir écrivain. Il livre son expérience propre, qui adaptée aux spécificités de chacun peut s’avérer fructueuse. Avant de devenir écrivain on apprend que Jean-Philippe Toussaint se rêvait cinéaste, sans affinités particulières avec la littérature, sa soudaine vocation n’est pas le fruit d’un long cheminement de pensée mais plutôt une révélation. Elle s’est imposée comme une évidence pour ne plus jamais le quitter. Et c’est sur cette phrase que l’auteur décide de commencer son ouvrage :
J’ai oublié l’heure exacte du jour précis où j’ai pris la décision de commencer à écrire, mais cette heure existe, et ce jour existe, cette décision, la décision de commencer à écrire, je l’ai prise brusquement, dans un bus, à Paris, entre la place de la République et la place de la Bastille.
Cependant, toute inattendue qu’elle est, cette vocation n’apparaît pas ex-nihilo. C’est après avoir lu Dostoïevski et s’être identité au personnage de Raskolnikov, que Jean-Philippe Toussaint s’est mis à écrire. L’auteur emploie à plusieurs reprise le terme « d’infusion ». Je le trouve très juste, on lit un ouvrage, on entend une phrase, un mot, puis cet ouvrage, cette phrase, ce mot, se met à infuser jusqu’à faire émerger quelque chose en nous. Ici, la lecture du génie russe a fait sortir à la surface une vocation d’écrivain. C’est cette force qu’à la littérature qui explique la passion que j’ai pour elle. Sans que le mécanisme soit conscient, la lecture d’un ouvrage peut ouvrir des espaces mentaux, faire évoluer les mentalités, avoir des conséquences incroyables sur nos vies… Bref, je m’éloigne du sujet qui nous intéresse 😉
Une sélection de passages savoureux
Ne sachant pas exactement comment aborder l’ouvrage sans tout vous raconter, j’ai décidé de choisir quelques passages qui m’ont particulièrement touchés. Tout d’abord pourquoi ce titre ? Deux notions antinomiques l’urgence et la patience. L’urgence suppose une rapidité d’exécution, quand la patience est synonyme de réflexion. Finalement on pourrait tout aussi nommer l’ouvrage Action et réflexion. Mais bon la encore je m’égare 😀 En réalité Jean-Philippe Toussaint lie les deux notion par une relation de complémentarité qu’il résume page 34 :
L’idée, c’est de durcir toujours les conditions d’entraînement pour n’atteindre l’aisance que le jour venu […]
La patience est un travail en amont, qui bien exécuté permettra une aisance rédactionnelle décuplée lors de la rédaction de l’ouvrage. Tout comme un étudiant s’entraîne pour un concours, il va intensifier son travail à mesure qu’il se rapproche de l’échéance, pour une fois l’échéance atteinte être au summum de ses capacités. La « phase d’infusion et de maturation » , selon les termes employés par l’auteur, passée, arrive l’urgence. L’urgence, c’est cet élan nécessaire à la rédaction d’un ouvrage. En rien inée, Jean-Philippe Toussaint balaie « le grand mythe romantique de l’inspiration » associé à l’idée de « passivité ».
[…] l’urgence n’est pas un don, c’est une quête. Elle s’obtient par l’effort, elle se construit par le travail, il faut aller à sa rencontre, il faut atteindre son territoire.
L’auteur utilise la métaphore du tennis pour évoquer l’aisance rédactionnelle consécutive d’un travail sérieux en amont. Le joueur fourbu d’un entraînement intensif, verra tout d’un coup son jeu se délier, ses gestes devenir fluides, son jeu s’améliorer. On voit tout de suite ce que veut dire Jean-Philippe Toussaint, tout le monde a déjà fait cette expérience, au tennis ou ailleurs.
L’autre association qui m’a beaucoup plue est le couple littérature et cinéma. Jean-Philippe Toussaint affirme que le cinéma est à la littérature ce que la biologie sont aux mathématiques. D’un côté nous avons des disciplines – littérature et mathématiques – purement intellectuelles, qui supposent une certaine solitude, une coupure avec le reste du monde et donc avec le réel. Ce qui permettrait d’expliquer l’éventuelle inadaptation dont sont frappés les acteurs de ces deux disciplines. À contrario, le cinéma et la biologie suppose un lien constant et ténu avec le monde. Le travail se fait en équipe, le contact avec autrui est donc au coeur de l’activité même.
Conclusion
Comme je ne souhaite pas vous gâcher le plaisir de découvrir ce merveilleux petit essai, je ne vous en dirai pas plus – d’ailleurs je n’en ai presque rien dit, juste de quoi j’espère aiguiser votre curiosité. Il est d’ailleurs surprenant qu’en 107 pages, Jean-Philippe Toussaint parvienne à réunir autant d’anecdotes délicieuses et de réflexions pertinentes. Je vous conseille vraiment de lire et relire L’urgence et la patience, tout comme La conquête du bonheur, il ne quittera pas ma table de chevet. C’est tout simplement un indispensable !
Mon évaluation : 4/5
Date de parution : 2012. Éditions de Minuit, 116 pages.
Mes recommandations
- Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke
joe
juillet 13, 2017Et en effet a a titillé ma curiosité. Merci pour ces quelques lignes sur cet essai. En passant, la couverture du livre est très belle.
Books'nJoy
juillet 13, 2017Je vous en prie, je suis ravie que cette chronique vous ait plu. Et en effet la couverture est particulièrement réussie 😉
Emmanuel
août 18, 2017Vous rendez très bien compte de ce passionnant essai – Toussaint étant de ceux que je suis le plus fidèlement, depuis longtemps et avec (im)patience – bravo donc pour ce choix (et pour l’ensemble de votre beau travail) !
Books'nJoy
août 19, 2017Merci beaucoup pour ce beau commentaire, je suis ravie que cette chronique vous plaise 🙂 c’était la première fois que je lisais un ouvrage de cet auteur, d’autres suivront 😉